Le Credo du Tueur (Nouvelle)

De Omnis Bibliotheca
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Les ruses des ennemis de l’Humanité sont subtiles. La philosophie de l’Empire T'au, le soi-disant "Bien Suprême", et les rites religieux pervers des Sectes Génovores peuvent être présentés aux populations sans méfiance de nombreuses façons. Pour un Assassin Vindicare, sa dernière mission consiste à découvrir si c’est le cas. Il a un prédicateur dans sa ligne de mire. S’il prononce la parole de l’Empereur, sa vie sera sauvée. Si son sermon a été corrompu par une volonté étrangère, il mourra…

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Je suis surveillé par des gargouilles alors que je me prépare à tuer. 

Leurs yeux de pierre me fixent, sans cligner des yeux, alors que j’étire chaque muscle à tour de rôle, avec une lenteur délibérée. Ils m’observent alors que je rétablis ma respiration et que je sens mon cœur battre plus vite dans ma poitrine.

Ils m’ont observé pendant seize jours, et pendant tout ce temps, j’ai à peine bougé plus qu’eux. La pluie est venue et repartie, lissant leurs peaux de pierre et la texture noire mat de ma combinaison. Le tonnerre a fait rage et les éclairs ont scintillé, leur éclat vicieux étant atténué par les déflecteurs de mon Masque d'Espion, de sorte que j’ai été à peine plus conscient de la fureur de la nature que ne l’étaient mes compagnons de pierre. Ils ne se soucient pas du monde qui les entoure, et moi non plus.

Nous sommes semblables.

Mais maintenant, notre affinité doit prendre fin. Leur indifférence envers la population humaine grouillante peut continuer, mais je n’ai pas ce luxe. Si les Auspex bio-choraux de mon appareil sont corrects - et ils le sont toujours - alors mes affaires avec les gens de ce monde vont commencer sérieusement.

Trois cent cinquante-deux pieds en dessous de moi. Soixante-dix pieds à ma gauche. Il est là. Les résonances cardio-spectrales m’apportent ses battements de cœur distincts, tamisés parmi des centaines de milliers. Il y a l’arythmie à peine perceptible qui indique un corps humain soutenu au-delà de sa portée naturelle par des traitements de rajeunissement répétés, la minuscule faiblesse de la valve mitrale laissée par un cas de sanguamori infantile. 

Une jeunesse aux moyens moins généreux n’aurait pas survécu à une maladie aussi impitoyable. La famille du Cardinal Jenguai était prête à dépenser des ressources prodigieuses pour assurer la survie de leur progéniture.

Ils avaient des projets pour lui. Des ambitions.

Je m’élève lentement, en douceur. Le mouvement est liquide comme du mercure fondu, et s’effectue sur trois minutes complètes de manière à confondre les Auspex de détection de mouvement. Tout aussi lentement, je porte mon long Fusil Exitus à mon épaule, et laisse l’Esprit de la Machine de mon Masque d’Espion communier avec celui de mon arme. Ce sont de vieux alliés, ces esprits. Ils tuent bien ensemble.

Parfois, pendant les semaines tranquilles de longue attente d’une cible ou d’une autre, je me demande si je ne suis pas simplement le moyen de locomotion par lequel mes armes et mon matériel de guerre traquent leur proie.

De telles pensées flirtent avec l’hérésie, bien sûr. Mon esprit, mon corps et mon âme ont été aiguisés à la perfection grâce aux efforts déployés pendant des décennies par le Temple Vindicare. Je suis une arme vivante de l’Officio Assassinorum, aussi supérieure au bétail humain qu’aux Grox qu’ils élèvent ou aux parasites qu’ils brûlent dans les cales de leur vaisseau spatial. Je n’ai pas besoin de mes armes ou de mon matériel pour tuer. Leurs Esprits de la Machine sont soumis à ma volonté, comme toutes les machines doivent toujours être soumises à la volonté de l’Humanité.

Je dirige l’attention de mon Masque d’Espion.

Sans moi, ils ne sont rien. Pourtant, avec eux, je suis plus grand et plus périlleux que je ne le serais sans eux.

J’ai mis de côté de telles inutilités mentales, en éteignant une à une les étincelles aléatoires d’une conscience indisciplinée pour me concentrer sur ma marque. Il en est toujours ainsi après une longue période d’hibernation mentale.

Je regarde en bas du perchoir de cette gargouille et je vois les pétitionnaires remplir la Place de la Sainte Address. Ils attendent que le Cardinal Jenguai prenne la parole. Des milliers et des milliers de présences secondaires s’écrasent entre les épaules du Cathedrum Redemptor Immorti, jusqu’à ce qu’il semble qu’ils puissent se piétiner mutuellement.

Peut-être que certains d’entre eux le font.

Cela ne me concerne pas.

Tout ce qui m’importe, c’est le petit homme au visage sombre et à la parure de Cardinal qui, aujourd’hui encore, descend de son servo-palanquin pour s’adresser à la foule. Il se tient sur une scène de discours crénelée, à vingt-deux pieds au-dessus de son troupeau. De son pupitre blindé, il a déployé les ailes dorées de l’Aquila. De son centre est projeté un puissant champ de force protecteur.

Ce ne sera pas un obstacle.

Des croisés de l’Ecclésiarchie avec des lames et des Boucliers Tempêtes gardent le pied de la scène du Cardinal. Les Adepta Sororitas s’alignent sur ses ailes, les canons sont prêts et les yeux sont vigilants. Au-dessus de la scène, les vaisseaux de la milice planétaire rôdent comme des ombres vigilantes dans le ciel du soir. Casthac se trouve au cœur même d’une zone de guerre. Le Cardinal doit être protégé à tout moment.

Ils ne peuvent pas le protéger contre moi.

Lui seul peut le faire ; alors que Jenguai s’éclaircit la gorge, saisit les bords de son lutrin et rayonne sur la foule en bas, il n’a aucune idée que ce sermon est aussi son témoignage pour sa défense.

En ce moment, je ne suis pas Kharun Shase. Je ne suis pas un assassin du Temple Vindicare. Je ne suis qu’un intermédiaire pour le jugement de l’Empereur. Si Jenguai parle faussement, c’est l’Empereur qui le frappera ; mon corps, mon fusil, seront Ses instruments.

Il est inhabituel que je doive attendre de cette manière. Mes victimes sont normalement des cadavres au moment où elles se présentent à moi. Bien sûr, normalement mes maîtres sont déjà certains de la perfidie de la cible avant que je ne sois envoyé.

Le Cardinal Jenguai est différent. Il ne s’agit pas d’une action de l’homme lui-même, car le Cardinal n’est guère unique. C’est plutôt une facette de la zone de guerre dans laquelle il prononce ses sermons, car ici trois croyances concurrentes s’affrontent jusqu’à ce qu’il soit difficile de distinguer l’hérétique diabolique du fanatique loyal.

Ainsi, j’ai reçu une consigne très inhabituelle dans l’exécution de cette mission. Je dois écouter l’allocution du Cardinal. Je dois évaluer par moi-même s’il dit la vraie parole de l’Empereur ou si son message a été entaché par l’une des deux xenocréatures déviantes qui prolifèrent dans ce sous-secteur. D’autres ont essayé, sans succès, de discerner l’hérésie dans les prédications de cet homme, mais des soupçons subsistent.

C’est un grand orateur.

Il est aimé de son troupeau, au point qu’ils risqueraient d’être piétinés par leurs pairs, simplement à la vue de cet homme qu’ils saluent comme un futur saint.

S’il prêche vraiment la volonté de l’Empereur, alors cet homme est certainement autant un canal pour la volonté de l’Empereur que je le suis. Si, comme certains le craignent, il est subtilement et astucieusement souillé, alors chacune de ses paroles est une goutte de poison de plus aux oreilles des masses. Si c’est le cas, il est de mon devoir de le faire taire.

Il parle, et alors que ses mots jaillissent des hauts-parleurs des lions à chaque extrémité de la scène, un silence s’abat sur la foule.

Moi aussi, je suis silencieux, silencieux comme les gargouilles au milieu desquelles j’attends. J’écoute les paroles de ce soi-disant saint homme, et j’attends de voir comment l’Empereur le jugera.

Son sermon flotte vers moi, capté avec une telle clarté par les récepteurs audio de mon masque que je pourrais aussi bien me tenir à l’épaule gauche du Cardinal. Il parle bien. Il prêche contre l’ennemi du dehors, la vigilance envers l’ennemi du dedans. Il parle des périls du Xenos. Il parle de l’hérésie de l’incrédulité et réprimande son public pour sa capacité à nourrir le péché. Il exige davantage d’eux. Ils écoutent, s’extasient, et je crois vraiment - autant que je puisse penser à l’existence de présences secondaires - qu’ils chercheront à suivre les instructions de cet homme.

Pendant qu’il parle, j’accède à des augmétiques neuronales microscopiques dans mon cervelet, chirurgicalement insérées là pour cette mission. J’implore leurs Esprits de la Machines de passer au crible les centaines de milliers d’heures d’enregistrements vidéo, d’enregistrements audio et de transcriptions inquisitoriales. Ils n’infectent pas mon esprit avec le dogme hérétique qui a été minutieusement chargé en eux. Au lieu de cela, les micro-cogitateurs absorbent le sermon prononcé en dessous de moi, puis comparent et mettent en contraste chacune des déclarations du Cardinal avec les discours et sermons hérétiques qu’elles contiennent.

L’un d’eux, je le sais, a été entaché par les divagations déviantes du credo de l’Empire T’au, à savoir le Bien Suprême. L’autre contient les oratoires empoisonnés et les écritures trompeuses de la Culte des Enfants des Étoiles, eux qui polluent volontairement leur corps avec le gène Xenos du Grand Dévoreur.

Je sens le muscle de l’œil droit tiqué alors que le processus se poursuit. Il s’agit d’un mouvement minuscule, mais je le déteste et je lui en veux pour l’énormité de ses implications. C’est la preuve qu’à l’heure actuelle, la machine nettoyée et aiguisée qu’est mon esprit souffre de la présence de choses impures. J’attends avec impatience le moment où les micro-esprits pourront être purgés et mon corps restauré à une pureté spirituelle absolue.

Cependant, comme mon Maître du Temple aime tant répéter, les besoins sont nécessaires.

Le Cardinal Jenguai continue de parler, ignorant qu’un microgramme de pression de mon doigt de gâchette est tout ce qui se tient entre lui et l’anéantissement. Comme il prêche, mes augmétiques cérébraux me rendent leurs conclusions. Ils le font avec soin, en livrant chaque phrase ou ligne de dogme correspondante suffisamment censurée et dépourvue de contexte, afin d’éviter tout risque de corrompre mon esprit bien trop précieux. Pourtant, pour tout cela, je vois une tapisserie de similitudes se tisser devant mes yeux.

Servir une plus grande cause semble être un thème fort dans le discours du Cardinal, et bien sûr en surface il parle de l’Empereur. Pourtant, l’Empire T’au loue son Bien Supérieur, alors même que les Sectes Génovores offrent tout ce qu’ils ont à leurs Enfants des Étoiles impurs. Cette corrélation n’est pas concluante.

Les augmétiques me mettent ensuite en garde contre plus d’une centaine de points de corrélation linguistique entre les paroles du Cardinal et la notion de tyrannie de la vérité. Le Credo Impérial est la seule vraie religion dans la galaxie. Tous les autres systèmes de croyance sont faux, leurs adhérents sont au mieux des imbéciles trompés, mais plus probablement de dangereux déviants qui doivent être excisés du royaume de l’Empereur. Tous le savent. Pourtant, en regardant les points de données s’entrelacer, je vois que cette croyance, elle aussi, traverse profondément les deux croyances Xenos qui menacent de corrompre les peuples de Casthac. Cette corrélation doit donc également être mise de côté.

Cela continua ainsi : vigilance contre les ennemis de la foi, droit absolu de gouverner, garantie que ce credo est la seule vraie solution aux maux de la galaxie, garantie que seule cette voie peut sauver l’Humanité, alors que toutes les autres croyances conduiront l’Humanité vers un précipice d’où il ne peut y avoir de retour. Un système de croyance et un autre se confondent, jusqu’à ce que je ne perçoive plus qu’une seule vérité.

Toutes les autres croyances existant dans la galaxie ont volé leurs principes et leurs convictions à la parole de l’Empereur. Toutes ne sont que des échos creux de Sa parole.

Mais alors, qu’en est-il de la cible en dessous de moi ? Le sermon du Cardinal touche à sa fin et, bien qu’il soumette ses paroles à une analyse des cogigateurs qui ferait honte à la valeur des agents de renseignement d’une salle de guerre, je ne peux pas être plus certain de son allégeance. S’il parlait ouvertement de se débarrasser des chaînes de l’oppression impériale ou de se convertir au culte du Bien Suprême, alors la question serait bien sûr facile. S’il était si effronté, rien de tout cela ne serait nécessaire, sauf ma présence et ma balle.

Peut-être que si mes augures cérébraux étaient autorisés à me présenter des exemples plus explicites du langage ou de l’imagerie en corrélation, je serais capable de mieux distinguer... mais non, cela représenterait un risque inacceptable pour ma sainteté en tant qu’atout du jugement impérial.

Sous le regard des gargouilles, je tiens mon corps dans une immobilité absolue, mon arme dans une disponibilité absolue, alors même que mon esprit s’active à traiter tout ce que j’ai vu, entendu et appris.

Le fait est que, bien que beaucoup puissent qualifier cette affirmation d’hérétique, les différents systèmes de croyance adoptés par les prédicateurs de l’Imperium, de la Secte Génovore et de T’au sont si étroitement liés les uns aux autres que, sans certaines déclarations explicites, il est pratiquement impossible de les séparer.

Pas étonnant que cette zone de guerre soit un tel désordre alambiqué. 

En fin de compte, ma décision est simple.

Je ne peux pas m’appuyer sur des preuves empiriques pour condamner, ni pour sauver l’homme dont j’ai été chargé de tuer. Mes sens mortels, aussi superlatifs soient-ils, sont encore faillibles. Ils laissent place au doute. J’ai été placé dans une position impossible par ceux qui auraient dû savoir qu’il ne fallait pas corrompre la perfection de mon service à l’Empereur.

Je suis dans l’impossibilité de rendre un verdict définitif. Seul le Maître de l’Humanité peut le faire.

Si je ne suis pas en mesure de rendre un verdict, l’acte de jugement m’a été retiré. Je retrouve mon véritable objectif, une simple arme, un lieu de jugement pour l’Empereur.

Il ne m’aurait pas placé ici, maintenant, sans raison.

Le Cardinal peut être corrompu, que ce soit par une croyance Xenos ou une autre. Il est condamné en ce moment par ma seule présence.

Mon doigt se resserre légèrement sur la gâchette. Le fusil se tortille minutieusement sous ma main, son énorme recul est freiné par une technologie si sacrée que je ne peux même pas commencer à en comprendre les mystères les plus profonds.

Au-dessous de moi, sur la scène, le sermon du Cardinal s’achève soudainement.

Le jugement de l’Empereur est prononcé.

Le doute est un péché qui ne peut être supporté.

Jenguai ne prêchera plus.

Source

  • Warhammer Community - Psychic Awakening : Killing Creed de CLARK ANDY[1] (traduit de l’anglais par Trazyn l'infini)