La Fracture de Biel-Tan
UN ÂGE DE FUNESTES ÉVÉNEMENTS
- Inexorable, la Fin des Temps resserre son emprise sur le crépuscule du 41e Millénaire. Elle étreint notamment les Aeldaris, une race d’extraterrestres aux pouvoirs psychiques développés qui régnaient jadis sur les étoiles. Précipités vers l’extinction à cause de leur orgueil et de leur hédonisme, ils luttent désormais en élaborant des plans désespérés pour survivre.
- Même si les Aeldaris apprirent jadis comment éviter d’attirer l’attention de l’Assoiffée qui dévore les âmes, et que les hommes appellent Slaanesh, ils n’ont pas pu échapper totalement à cette divinité qui naquit de leurs propres excès. Les Asuryanis des Vaisseaux-Mondes cherchent à se préserver en pratiquant l’ascèse et le contrôle de leurs pulsions. Ils ont recours à des Pierres-Esprits et à des Circuits d’Infinité en guise de refuge contre les prédations de Slaanesh. Pour leur part, les Commorrites n’ont pas renoncé aux vies de débauche qui ont précipité le déclin de leur espèce, et infligent des souffrances aux autres pour échapper à leur destin. Les énigmatiques Arlequins ont voué leurs âmes à Cegorach, le Dieu Trompeur, et esquivent Slaanesh en le devançant dans ses manigances. Enfin, les Exodites sont des puritains qui ont été les premiers à fuir les anciennes planètes des Aeldaris. Ils ont tourné le dos à la technologie et cherchent à atteindre l’harmonie avec les Esprits-Mondes de leurs paradis verdoyants.
- Quelles que soient les méthodes qu’ils utilisent pour échapper au dieu qui les traque, tous les Aeldaris doivent renoncer à une partie d’eux-mêmes. Aucun d’eux ne peut se vanter d’être l’égal de ses ancêtres, qui combinaient la perfection martiale et des talents psychiques prodigieux, car ils avaient l’assurance qu’une fois morts, ils resteraient dans le cycle éternel avant de renaître. Toutefois, certains Aeldaris aspirent à revenir à cet âge d’or. Leurs pairs considèrent qu’ils se laissent dangereusement aveugler par leurs rêves, car retrouver l’existence exaltée des temps anciens reviendrait à attirer l’attention de Slaanesh, ce qui conduirait inévitablement au désastre.
- Certains Aeldaris refusent de renoncer au rêve de rebâtir leur empire de jadis, ou du moins de vivre pleinement avant de s’éteindre. C’est notamment le cas d’Eldrad Ulthran, le Grand Prophète du Vaisseau-Monde Ulthwé. Il manipule les fils du destin depuis une époque antérieure à l’Imperium de l’Humanité. Ses talents de prescience sont aussi acérés qu’une lame en diamant, aiguisée par sa détermination sans faille. Il guide son peuple en évitant les futurs les plus sombres.
- Eldrad perçoit depuis longtemps une présence latente dans les Circuits d’Infinité des Vaisseaux-Mondes, un cœur qui bat faiblement au rythme des énergies de cette dimension psychique. C’est la manifestation des centaines de milliards d’âmes d’Aeldaris morts à travers toute la galaxie. Leurs échos, normalement imperceptibles, se combinent pour former quelque chose de si puissant que s’il s’éveillait, il serait capable de lever la malédiction qui pèse sur les Aeldaris. Cette entité se nomme Ynnead, le Dieu des Morts endormi. La prophétie du légendaire Kysaduras affirme que lorsque tous les Aeldaris auront transcendé leur existence mortelle, Ynnead se réveillera et vaincra Slaanesh.
- Ce fut Eldrad Ulthran qui mit en branle un plan visant à réveiller Ynnead, mais dont l’ampleur était telle qu’il risquait fort d’ébranler la structure de l’espace-temps. S’alliant aux Arlequins du Chagrin Nocturne, il vola dans des Vaisseaux-Mondes les statues fossilisées de Prophètes morts et les amena sur Coheria, une lune recouverte de sable psychoactif. Il se servit alors de ces alliés cristallins comme lien hyperspatial vers tous les Vaisseaux-Mondes, et canalisa les âmes contenues dans leurs Circuits d’Infinité vers Coheria. Cette explosion psychique aurait dû suffire à réveiller Ynnead, toutefois l’intervention impromptue de la Deathwatch fit échouer ce plan, et Ynnead ne se réveilla que partiellement.
Chapitre I : LA FRACTURE
- « Pour les Aeldaris, la vie était un cycle commençant par une naissance, puis l’assouvissement de tous leurs désirs, achevé par une mort paisible, puisqu’ils savaient que leur âme renaîtrait. La création de Slaanesh brisa cette harmonie. Aujourd’hui, cette race de voyageurs stellaires se terre dans l’ombre, trop effrayé par ses désirs pour oser les satisfaire. Ils n’ont que ce qu’ils méritent, et ne peuvent échapper au destin qu’ils se sont façonné, du moins, pas de ce côté-ci de la tombe. Le destin est un maître cruel dont il ne faut pas provoquer le courroux. »
- - Ahriman, Archisorcier des Thousand Sons.
Les Lames de Commorragh
Des cris fusaient dans l’air, certains emplis de douleur, d’autres d’extase. L’élite de la Cité Crépusculaire s’était rassemblée dans l’arène Crucibael pour assister au spectacle le plus raffiné du Culte de la Discorde.
Les spectateurs Commorrites présents sur les immenses gradins avaient payé une somme royale pour avoir le droit d’entrer par les portes flanquées de statues. Certains avaient cédé une partie de leurs domaines pour avoir une place, d’autres avaient offert des milliers d’esclaves, ou perpétré des actes atroces pour le compte des maîtres de l’arène, juste pour pouvoir assister au spectacle pendant quelques heures. Malgré tout, ces sacrifices étaient librement consentis, car ils n’étaient pas là que pour se divertir, mais aussi pour se nourrir.
En effet, ces Aeldaris au cœur sombre se sustentaient de souffrances. Leurs âmes avaient été condamnées depuis longtemps par la naissance de l’Assoiffée. Elles étaient lentement mais constamment drainées de leur force vitale. Ce n’était qu’en contemplant la douleur des autres qu’ils pouvaient échapper au néant qui menaçait de les engloutir. Et plus ils vieillissaient, plus ils avaient besoin de spectacles atroces… À cause de ce sadisme nécessaire, les arènes de Commorragh remplissaient à la fois le rôle de divertissement et de banquet dépravé. Leurs spectacles étaient paroxystiques, et il fallait un afflux constant de guerriers réduits en esclavage et de champions d’autres espèces à sacrifier sur l’autel de la faim insatiable de la foule. Dans les arènes les plus prestigieuses, le nombre de victimes était effarant tandis que les Cultes Cérastes rivalisaient en talent et en imagination sanglante. Grâce à eux, les Commorrites étaient momentanément rassasiés.
La plus grande des arènes de Commorragh était celle de Crucibael. C’était le domaine du Culte de la Discorde, propriété de Son Excellence Lelith Hesperax. Ce site accueillit de nombreux invités légendaires, parmi lesquels la Seigneur Phénix Jain Zar, première des Banshees. Capable de recevoir plus d’un million de spectateurs, le Crucibael donnait des représentations nocturnes particulièrement lucratives d’une ampleur délirante. Une grande partie des recettes revenait à Lelith en personne, car la Reine des Poignards régnait sans partage depuis plus longtemps que ses rivales Succubes pouvaient se le rappeler. Chaque nuit, elle se nourrissait de milliers d’âmes, et ferait tout ce qui était son pouvoir afin de préserver sa beauté.
Depuis le raid dans l’espace réel du Culte contre la planète Valedor, le Crucibael bénéficiait de victimes particulièrement convoitées. Valedor était autrefois connue sous le nom de Dûriel, avant qu’elle soit infectée par la société de l’Imperium. Elle fut dévastée par non pas une, mais deux Flottes-Ruches Tyranides, puis détruite par une alliance de Vaisseaux-Mondes et de Drukharis, lorsqu’ils eurent recours à l’arme antique appelée le Cœur-de-Feu. Cependant, avant l’annihilation de Valedor, le Culte de la Discorde avait capturé des nuées de Tyranides pour ses arènes.
Ce fut cette horde vorace que Lelith Hesperax libéra de ses cages de stase à l’occasion de la Nuit des Révélations, car même si les Tyranides étaient connus pour être des créatures mortelles, étranges et immunisées à la douleur, ils n’étaient pas la principale attraction cette nuit-là.
En effet, une des Succubes présentes s’était hissée hors de la fange sous le mécénat de l’aristocrate Dame Malys. La renommée de cette gladiatrice était telle qu’une troupe d’Arlequins était venue la voir se battre, elle et ses Bloodbrides. Certains affirmaient même qu’elle aurait été capable de se mesurer à Lelith Hesperax en personne. Un tel combat signifiait pourtant la mort du malheureux se retrouvant face à Lelith, car elle était si douée dans l’art de donner la mort que son adversaire ne tenait jamais plus d’une poignée de secondes. Néanmoins, cette nouvelle Succube était si douée qu’elle semblait capable de relever ce défi.
Connue à Commorragh sous le nom de Dame des Ombres, d’Amharoc pour les Corsaires qu’elle avait commandés jadis, et d’Yvraine pour les habitants du Vaisseau-Monde où elle était née, cette Succube était courtisane dans les cercles les plus opulents. Elle n’était pas véritablement une Commorite, ce qui rendait son aura d’autant plus sulfureuse. Elle était connue pour son élégance, son tempérament versatile et ses accès de violence. Lorsqu’elle se mettait en colère, elle abandonnait toute contenance et égorgeait sans hésiter ceux qui l’avaient offensée. Cela s’était déjà produit sur le pont du vaisseau corsaire Lanathrialle, dans la galerie de trophées du Archonte Abrahak, et même dans le Jardin des Prophètes de Biel-Tan. Ainsi, Yvraine suscitait l’admiration de ceux qui respectaient l’usage de la violence, en l’occurrence l’immense majorité des habitants de la Cité Crépusculaire.
La nuit où Yvraine affronta Lelith en combat singulier, le Crucibael avait déjà été le lieu de plusieurs massacres. Une bande d’élite de Sslyths, les mercenaires ophidiens populaires dans les cours des Drukharis, avait mitraillé, empalé et empoisonné une meute de Bêtes Griffues Donoriennes au milieu d’une forêt de lames antigrav tournoyantes. Seul le vieux patricien Sassarassen avait survécu à l’affrontement. Trois conclaves de [Hémoncule]]s avaient ensuite exhibé leurs dernières créations, envoyant des horreurs aux masques lisses contre les plus agiles gladiatrices de la galaxie, au cours d’un combat classique opposant la laideur à la beauté. Ensuite, une escouade de combat de Space Marines en Armures Énergétiques avait été libérée de ses vex-prisons pour se joindre au carnage. Même s’ils n’avaient reçu que des poignards pour se battre, ils survécurent plus de trois minutes et tuèrent treize Cérastes avant de périr sous les vouges de Hellions. Au cours d’un final en apothéose, les vivats fusèrent, alors qu’au début de la représentation, la foule avait été lente à sortir de son apathie.
C’est à cet instant que les Tyranides avaient été lâchés. C’étaient des hybrides obtenus en croisant des spécimens des Flottes-Ruches Kraken et Léviathan, clonés à grands frais dans les laboratoires des Hémoncules. Ils jaillirent de tunnels cachés et commencèrent à semer la mort sur le sable déjà rouge. Le plus gros, un Prince Tyranide aux pattes terminées par des faux, se rua avec ses bêtes gardiennes sur Yvraine. Celle-ci ôta sa robe d’un geste, révélant une combinaison de Céraste, tandis que ses Bloodbrides se mettaient en position autour d’elle. Yvraine bondit et tua trois des monstres qui accompagnaient le Prince Tyranide en autant de secondes. Sa lame dessiccante frappait avec une précision inouïe dans les interstices des carapaces, et les créatures réduites en poussière étaient dispersées aux quatre vents. Le Prince Tyranide se rua en feulant. Yvraine s’inclina, comme si elle allait saluer son adversaire, puis elle sauta, prit appui sur un des bras du monstre et atterrit sur son dos dans une pirouette. Elle dégaina un poignard de Céraste et l’enfonça dans l’excroissance en forme de cerveau sur la nuque de la bête.
Le Prince Tyranide poussa un cri de défi et fit volte-face avec une rapidité surnaturelle compte tenu de sa taille. Il se précipita de nouveau vers Yvraine, qui avait sauté de son dos. Celle-ci se glissa sous le ventre du monstre alors qu’il chargeait, et porta une estocade avec son épée. La lame dessiccante fit son office, et le Prince Tyranide commença à se décomposer à partir de l’abdomen. Il fut rapidement réduit en poussière ocre qui fut emportée par le vent, et laissa un goût âcre sur le palais des spectateurs qui la respirèrent Le rugissement d’approbation de la foule fut tel qu’il attira l’attention d’une nouvelle adversaire redoutable…
Lelith Hesperax s’approcha en tailladant, en mutilant et en décapitant ceux qui passaient à sa portée. Elle dansait à travers le carnage en direction d’Yvraine, faisant preuve d’une certaine nonchalance dans sa façon de donner la mort. La foule se redressa. Certains se penchèrent en avant avec intérêt, d’autres restèrent hypnotisés, un sourire cruel aux lèvres. Yvraine était occupée à affronter un Lictor aux attaques foudroyantes qui venait de gravir les piles de cadavres. Elle ne pouvait pas s’en éloigner sans prendre le risque d’être agrippée par les tentacules épineux du Tyranide. Lelith atterrit gracieusement entre les deux combattants. Elle trancha le visage du Lictor, qui se détacha de sa tête dans une giclée d’ichor, et porta en même temps un coup vers le cœur de sa rivale. Yvraine l’esquiva de justesse et recula pour mettre de la distance entre elle et la derviche mortelle qui achevait le Lictor en le décapitant pour de bon. Lelith fit volte-face vers Yvraine et s’avança en faisant jouer ses poignards, un sourire méprisant aux lèvres tandis qu’elle lançait une de ses armes en l’air avant de la récupérer. Yvraine fit signe à ses Bloodbrides de rester en retrait et chargea Lelith avant qu’elle ait le temps de rattraper sa lame. Elle fonça tête baissée dans une riposte qu’elle parvint tout juste à parer.
Les deux combattantes menaient une danse de mort. Leurs armes filaient avec une précision telle que les spectateurs étaient en transe. Même les Arlequins restaient ébahis. Lelith combattait avec une efficacité dédaigneuse. Elle était indiscutablement la plus talentueuse, et Yvraine en avait conscience. Pour sa part. celle-ci était animée par une fureur froide qui conférait à ses attaques force et létalité.
Le duel se poursuivait à une vitesse de plus en plus hallucinante. Les attaques, les parades, les pirouettes, les feintes et les esquives s’enchaînaient à un rythme effréné. De temps à autre, un coup bénin porté par Lelith à un point vital montrait qu’elle jouait avec son adversaire. Finalement, l’enthousiasme de la foule diminua lorsqu’elle comprit que ce combat qu’elle avait repéré âprement contesté n’était qu’une mascarade. C’est à cet instant que le couteau d’Yvraine lacéra l’avant-bras de Lelith.
Une réplique holographique parfaite du Crucibael apparut dans le hall de vision embrumé de la forteresse flottante de Vect, sous la forme d’un petit microcosme grouillant. Les minuscules duellistes doppelgangers n’étaient pas plus grandes qu’un doigt, pourtant les sensations procurées par leur douleur et leur extase étaient décuplées par les relais spirituels qui ceignaient les murs. Au milieu de ce spectrale se trouvait Vect en personne, tel un géant au milieu d’insectes. À ses côtés lévitait une créature qui semblait sortie d’un cauchemar, Urien Rakarth. Ils se penchaient au-dessus de l’arène tels des dieux, captivés par le combat des gladiatrices.
« C’est… hummm… un excellent… humm… spectacle, » souffla Rakarth d’une trois rauque. « Cette Yvraine est intéressante, » acquiesça Vect. « Il va falloir garder un œil sur elle. » Une pluie de diamants scintilla dans la brume d’un recoin de la salle. Elle se conglomérat en une Arlequin au masque lisse. « Je suis l’annonciatrice de vérités. » annonça-t-elle. « Elle doit mourir pour renaître. L’Écho du Spectre ne saurait mentir. » « Si tu parles du Spectre d’Inriam, Marchemonde, il est mort sur Coheria, » répliqua Vect. « Et ce faisant, il n’a pas rejoint Cegorach, mais le Dieu qui Murmure. » « Ynnead n’est qu’un mythe, rien de plus, » dit Vect en haussant les épaules. « Ne me fais pas perdre mon temps avec tes illusions. Qui serait assez stupide pour vouloir vaincre son ennemi en se condamnant lui-même ? » Rakarth plissa ses lèvres décharnées en un sourire et fit un signe discret. À l’insu de tous, un de ses acothystes s’esquiva, de même qu’un des Incubes qui gardaient les lieux. « Suivez-les, » murmura Vect. Des taches d’un noir d’encre apparurent à ses pieds et formèrent six ombres qui poursuivirent silencieusement leurs proie. |
La foule rugit d’excitation, mais là encore, ce n’était qu’une ruse. Hesperax avait volontairement laissé une ouverture à son adversaire afin de raviver l’ardeur de la foule. Lelith n’était pas pressée de mettre un terme à ce duel, car cela aurait déplu à Asdrubæl Vect. En effet, l’Archityran observait le combat depuis sa forteresse pyramidale qui flottait dans le ciel.
Le cri d’agonie d’une monstruosité Tyranide résonna dans l’arène. Devinant l’attaque suivante de son adversaire, Lelith s’autorisa à jeter un coup d’œil aux alentours. En un éclair, Yvraine inversa sa prise et décocha un coup de poing dans le ventre de son ennemie. Lelith tituba en arrière, les yeux écarquillés et son sourire narquois se mirant en un rictus de colère. Le duel reprit de plus belle. Yvraine se retrouva immédiatement en difficulté. Lelith la poursuivait implacablement, enragée par l’humiliation qu’elle avait subie.
Soudain, ce fut au tour d’Hesperax de reculer face aux contre-attaques d’Yvraine. En réalité, elle l’attirait vers une pile de cadavres de Tyranides. Avec une agilité féline, Lelith bondissait d’un cadavre à l’autre pour gravir le monticule. Yvraine la suivait, sa colère balayant toute prudence. C’est alors que le Lictor qu’elle avait affronté plus tôt eut un spasme et la déséquilibra. Lelith fondit sur elle et enfonça sa dague dans son sternum.
Jugeant que l’ironie de la mort d’Yvraine était une fin appropriée à ce duel, Lelith s’éloigna à la recherche d’une nouvelle proie. Yvraine tituba mais ne s’écroula pas. Elle cacha sa blessure derrière sa garde, car faire preuve de faiblesse signifierait une mort instantanée.
Malgré tout, le sang la trahit. Même si elle poursuivit le combat, et se fraya un chemin à travers une horde d’Hormagaunts en laissant un nuage de poussière de cadavres derrière elle, une tache écarlate ne tarda pas à se former sur son abdomen et ses cuisses. La vue du sang et les signes de fatigue d’Yvraine attirèrent l’attention d’une bande de Hellions. Toutefois, la gladiatrix n’avait aucune intention de périr face à cette racaille. Elle ramassa un Pistolet Éclateur et abattit trois Hellions en une poignée de secondes. Les survivants s’enfuirent en poussant des cris indignés. Néanmoins, ces jeunes prédateurs ne furent pas les seuls attirés par le sang.
Une guerrière élégante aux doigts terminés par des serres affilées se présenta devant Yvraine. Son corps cadavérique était emmailloté dans une tuile de soie noire et l’icône de la déesse morte Morai-Heg était tatouée sur son front. Dans un sursaut de dégoût mêlé de mépris, Yvraine reconnut ce costume cérémoniel, car elle l’avait vu dans le statuaire des jardins de Biel-Tan. Il s’agissait d’une prêtresse dont l’existence précédait la chute de l’empire Aeldari.
Les aiguilles de la prêtresse étincelèrent et forcèrent Yvraine à la défensive. Elle avait l’impression d’être assaillie par les rapières de deux maîtres escrimeurs. En n’importe quelle autre occasion, Yvraine l’aurait surclassée sans difficulté, mais en cet instant, elle était gravement blessée, et ses forces l’abandonnaient inexorablement.
Une des aiguilles lui transperça le poignet et la força à lâcher son éventail-rasoir. Elle fit un pas en avant et frappa du poing la prêtresse pour l’obliger à reculer d’un pas. Elle eut l’impression de heurter une statue en marbre. L’autre serre de son adversaire s’abattit et trancha la main tenant son épée. Poussée par le désespoir, Yvraine sauta sur la prêtresse et lui mordit la joue.
Des hurlements de dérision et d’amusement explosèrent dans l’arène tandis qu’Yvraine continuait de mordre son adversaire. Elle enroula son bras autour du cou de la prêtresse et entreprit de l’étouffer. Ses jambes se dérobaient sous elle, ses poignets la faisaient souffrir atrocement, cependant la colère et la peur lui donnaient de la force. La prêtresse poussait des râles sans pouvoir se libérer, et ses propres forces l’abandonnaient. Des point dansaient dans la vision d’Yvraine, jusqu’à ce qu’elle n’y voie plus rien. Les deux combattantes se perdirent dans l’étreinte de la mort, poussèrent un ultime soupir et trépassèrent.
C’est alors qu’une étoile minuscule jaillit du sable et les consuma toutes deux. Yvraine rouvrit des yeux laiteux, et hurla tandis que son esprit était submergé par une conscience nouvelle qui effaça toutes les préoccupations de sa vie passée. Quelque chose s’était manifesté à la mort de la prêtresse-guerrière, et s’immisçait dans l’âme d’Yvraine sans qu’elle puisse l’en empêcher.
Yvraine vit Ynnead à l’intérieur de son esprit. Il était une étoile née d’une lune cristalline, puis une constellation, un milliard de points lumineux qui formaient les traits d’un visage solennel. Les immenses yeux du Dieu des Morts se posèrent sur elle, et même s’ils n’étaient qu’entrouverts, l’étincelle de conscience qui y brillait lui provoqua une douleur spirituelle intense. Ce simple regard mit son âme à nu, et en cet instant, elle devint sa servante pour le reste de l’éternité.
Il était telle une légende qui prenait vie, une naissance défiant toutes les probabilités et les lois naturelles. Cette apparition était si éclatante qu’elle marqua au fer rouge l’esprit d’Yvraine, la laissant aveugle de tout en dehors de sa gloire divine.
L’effigie stellaire murmura deux mots d’une intensité assourdissante.
« Mon enfant… »
Des vagues d’énergie mystique jaillirent du corps d’Yvraine alors qu’elle était soulevée par une main invisible. L’onde de choc blanche se répandit comme une pulsation électromagnétique dans l’arène et vers les spectateurs abasourdis. Quand elle touchait un Aeldari, son corps se racornissait en un instant, si bien qu’une partie de la foule fut réduite à l’état de squelettes sanguinolents. En revanche, les plus gros Tyranides furent simplement étourdis, et ils se jetèrent ensuite sur les survivants, provoquant un carnage. Les tireurs d’élite postés en hauteur ouvrirent le feu à coups de Lances de Ténèbres et de Canons Éclateurs pour les abattre. Certains prirent pour cible Yvraine, la Succube maudite responsable de la mort de leurs maîtres, mais leurs tirs furent sans effet contre son corps étincelant. Elle continuait de s’élever dans une aura de puissance surnaturelle. Un feu blanc jaillissait de ses blessures. Celles-ci se refermèrent, et sa main gauche tranchée se reconstitua sous la forme d’un gantelet d’aspect antique.
Lelith Hesperax bondit telle une mante religieuse sur la selle d’une Motojet dont elle venait de décapiter le pilote, puis elle s’éloigna à toute allure du cataclysme. Son sourire était un collier de perles dans les ténèbres.
Le Fléau de Commorragh
Loin au-dessus du carnage, la gigantesque pyramide d’Asdrubæl Vect s’élevait en bourdonnant. Le ronronnement sourd des moteurs antigrav se réverbérait dans les tripes de tous les Aeldaris des environs alors que l’édifice se dirigeait vers le district du Grand Éperon. Si le Tyran de Commorragh régnait depuis si longtemps, c’était parce qu’il savait se trouver au bon endroit au bon moment, et qu’il savait aussi quand il était temps de filer discrètement. Néanmoins, il avait envoyé des subalternes afin de restaurer l’ordre. Des appareils élancés sortaient des hangars de la pyramide et se dirigeaient vers l’arène.
Un sixième sens sortit Yvraine de son apothéose funeste. Le sol tremblait sous ses pieds tandis qu’elle retrouvait ses esprits. Même si elle ne le réalisait pas encore, son explosion métaphysique avait eu des effets bien plus graves sur la Cité Crépusculaire que la simple destruction de la majeure partie du Crucibael. Ses Bloodbrides encore en vie la rejoignirent sitôt que les énergies de sa transformation se furent dissipées. Non loin, des guerriers franchirent les parois hérissées de lames de l’arène et se précipitèrent vers elle en brandissant leurs armes et en vociférant de façon menaçante.
L’instinct d’Yvraine reprit le dessus. Elle esquiva une salve de projectiles empoisonnés et effectua une pirouette pour éviter un tir de lance de ténèbres. Elle se retrouva dans l’ombre d’un Tyrannofex qui projetait des nuées de scarabées carnivores dans la foule. La masse de la créature lui fournissait un couvert idéal. Elle rassembla ses pensées et jeta un coup d’œil en direction de ses attaquants.
La situation était grave. Ses assaillants étaient des Immaculés, et ils étaient accompagnés par plusieurs temples d’Incubes. D’ordinaire, ces tueurs chevronnés ne daignaient pas combattre dans l’arène, car ils considéraient ce spectacle comme un avilissement, qui de plus risquait de dévoiler leurs techniques de combat tout autant que leurs talons d’Achille. Mais pour une fois, ils semblaient prêts à faire une exception…
Yvraine comprenait progressivement l’ampleur de la menace. Elle venait de tuer involontairement plusieurs centaines des membres les plus influents de la Cité Crépusculaire, avait été possédée par une force surnaturelle et, si on en jugeait aux remous du sable de l’arène, c’étaient les fondations de tout le district qui faiblissaient. Pour couronner le tout, des Hémoncules commencèrent à arriver, sans doute dans l’intention de la capturer pour la disséquer.
Ses Bloodbrides couraient en zigzaguant vers les Incubes, et se mesurèrent à leurs Klaives avec leurs Fléaux-rasoirs, leurs Empaleurs et leurs Filets acérés. Le sang gicla de façon artistique dès les premières secondes. Pendant quelques instants, le combat parut équilibré. Les denses métallofibres des armures des Incubes les protégeaient de la plupart des coups, tandis que les Klaives peinaient à toucher les Hekatarii à l’agilité et à la rapidité surnaturelles.
C’est alors que le Klaivex de chaque temple activa sa gemme de sang. Des ondes de douleurs s’emparèrent des Bloodbrides et les firent chanceler. Les Incubes saisirent cette occasion avec une telle efficacité qu’on devinait qu’ils avaient peaufiné cette ruse au cours d’innombrables combats. Une dizaine de Bloodbrides périrent en quelques secondes. Lorsque les Immaculés intervinrent en ouvrant le feu, le combat se mua en carnage.
Yvraine sentit la pression augmenter à l’intérieur de son crâne à chaque nouvelle mort. Cette sensation menaçait de l’aveugler, de la rendre sourde, voire de la précipiter dans l’inconscience. Tant d’âmes étaient arrachées de leurs corps que c’en était insupportable. Le sol lui-même se mit à enfler sous l’effet des énergies psychiques dégagées. Yvraine prononça alors six mots, sans même s’en rendre compte.
Les lumières de l’arène, qui étaient si vives que les spectateurs pouvaient admirer toutes les nuances des combats, diminuèrent jusqu’à devenir de pâles lueurs. Les costumes chamarrés des Cérastes semblèrent soudain fades. Même les giclées de sang qui paraissaient jaillir au ralenti prirent une teinte sombre sous l’effet d’une explosion monochromatique. Yvraine sentit une bouffée d’énergie s’échapper de son corps, une force presque palpable qui la laissa pantelante, mais l’esprit aussi clair que celui d’une néophyte sur le point de célébrer son rituel d’initiation.
La gladiatrix surgit du couvert que lui offrait le cadavre du Tyrannofex et récupéra sa lame dessiccante. À l’instar d’Yvraine, l’épée avait été transformée. Sa forme élégante entrait en résonance avec son esprit, et alors qu’elle la serrait avec le gantelet qui lui servait de main, elle irradiait de pouvoir. Elle observa les alentours pour trouver la meilleure échappatoire, et vit alors une scène ressemblant à un rêve dérangeant.
Les cadavres de plusieurs dizaines d’Aeldari jonchaient le sol autour d’elle. Il y avait non seulement ceux de ses Bloodbrides, mais aussi ceux d’Incubes et d’Immaculés qui ne portaient aucune blessure apparente. Yvraine sentit sa gorge se serrer. Ses yeux lui faisaient mal tant le spectacle lui paraissait insoutenable. Les balcons et les gradins de l’arène étaient toujours le théâtre d’âpres combats tandis que les Tyranides se frayaient un passage sanglant à travers les spectateurs. Yvraine tonna un ordre à l’encontre de ses rares Bloodbrides encore en vie et courut là où la foule était la plus dense. Sa lame dessiccante brillait dans sa main gauche, et de la main droite, elle récupéra prestement son éventail.
Yvraine et une vingtaine de Bloodbrides se dirigèrent aussi rapidement que possible vers le bord de l’arène. Leur chemin était barré par un mur de Kabalites, mais lorsqu’elle poussa un cri de colère, la plupart d’entre eux furent jetés au sol, comme s’ils étaient agrippés par des mains invisibles. Leurs camarades furent tétanisés, horrifiés à l’idée que ces pouvoirs interdits attirent l’attention de Slaanesh et suscitent une catastrophe à grande échelle.
Ils ne savaient pas que le cataclysme se produisait déjà, car une invasion démoniaque grondait sous leurs pieds.
Alors qu’Yvraine courait, un Hellion portant les couleurs du gang des Chauves-souris plongea vers elle dans l’espoir fou de la capturer ou de la tuer afin de se couvrir de gloire. Se baissant pour esquiver le vouge, Yvraine porta une estocade avec sa lame dessiccante et l’empala. Le jeune guerrier chuta de son surf, qui s’arrêta aussitôt. Le Drukhari ne se décomposa pas en poussière, comme c’était le cas d’ordinaire, mais en minuscules braises scintillantes.
Étrangement, Yvraine perçut le cri de l’âme du Hellion lorsque celle-ci fut arrachée de son corps. Même s’il diminua, ce hurlement ne s’estompa pas totalement : l’âme n’avait pas été soufflée, ni dévorée par l’Assoiffée, comme c’était le cas pour les Drukharis. Pendant un bref instant, Yvraine éprouva de l’empathie pour cette âme. Un battement de cœur plus tard, une nouvelle voix effrayée résonnait dans sa tête.
Yvraine en fut si perturbée que seule la lourdeur des pas la prévint du danger et lui évita de finir décapitée. Le Klaive de l’Incube la frôla au moment où un autre s’abattait. Elle le para avec son épée et la détourna afin qu’il heurte le premier, ce qui lui offrit une précieuse seconde de répit. Elle décocha un coup de pied dans le ventre d’un de ses assaillants et un coup de coude à l’autre. C’est alors qu’elle s’aperçut qu’elle était entourée par huit assaillants, et que ses Bloodbrides étaient elles aussi encerclées et prises au piège.
Les tueurs se rapprochèrent, les lames brandies dans une posture de combat rituelle. Ils allaient tous attaquer en même temps, comme une meute de prédateurs se jetant sur sa proie, plutôt que les uns après les autres, à la façon des Cultes Cérastes. Face à une telle attaque, même une Succube ne pourrait survivre plus de quelques secondes. Yvraine se mit en garde et fit signe à ses ennemis d’approcher.
Elle vit un éclair rouge derrière les Incubes, et deux d’entre deux furent soudainement décapités. Les casques cornus rebondissaient encore sur le sol lorsqu’un troisième fut coupé en deux au niveau de la taille. Saisissant cette occasion, Yvraine sauta sur le surf du Hellion qui lévitait au-dessus du sol, tout en gratifiant un quatrième Incube d’un coup de pied en pleine tête. Elle se positionna sur le surf comme si elle savait le piloter depuis son enfance, alors qu’elle n’avait jamais chevauché un tel engin auparavant. Activant le module éclateur, elle abattit un cinquième Incube alors que le dernier était tranché de l’épaule jusqu’à l’aine par le combattant écarlate et insaisissable. Les deux survivants battirent précipitamment en retraite.
Aussi désemparée que courroucée, Yvraine sauta du surf et pointa son épée en direction du nouveau venu tandis que celui-ci était rejoint par ses propres guerriers. Il était équipé dans le style de Bel-Anshoc, un artisan talentueux. Yvraine reconnut son style en se rappelant les sculptures et les peintures Aeldaris qu’elle avait vues par le passé. De plus, la pose martiale de ce guerrier lui était familière. Elle avait pu entrapercevoir sa technique de combat, qui était similaire à celle qu’elle utilisait lorsqu’elle était encore une Guerrière Aspect. Visiblement, ce bretteur n’était pas son ennemi.
Le nouveau venu esquissa un salut, et offrit son épée alors qu’un groupe d’Incubes venait se placer à ses côtés. Les mercenaires l’imitèrent, en présentant leurs propres lames à la hauteur de leurs casques cornus.
« De nouveaux mercenaires, » cracha Yvraine. Elle secoua la tête et se dirigea vers la sortie de la grande arène. S’ils n’étaient pas là pour la tuer, au moins ils ne la ralentiraient pas. Le nouveau venu et ses guerriers la suivirent sans hésiter. Elle lui jeta un regard courroucé alors qu’approchait un groupe de Reavers des Spectres de Chair, à en juger à leurs couleurs. Des laquais de Vect. « Je n’ai pas besoin de la protection d’un mâle, » lâcha Yvraine en se cambrant pour éviter un aileron affidé, avant d’enfoncer une pointe de son éventail dans le dos du pilote. Il s’écrasa avec son engin, qui fit plusieurs tonneaux sur le sable. Non loin de là, le guerrier écarlate enfonçait sa lame dans le torse d’un autre Reaver. La Motojet hors de contrôle alla percuter le balcon de l’arène. Le bretteur pivota sur lui-même, se baissa et empala un second motard alors qu’il passait juste au-dessus de lui, dans l’intention de le décapiter avec son aileron. |
« Tu copies mon style de combat… » lui lança Yvraine froidement.
« C’est le contraire, jeune fille, » rétorqua l’étranger. Il avait une voix d’aristocrate. Yvraine sentit des souvenirs resurgir de sa mémoire. Une seule personne pouvait s’adresser à elle de cette façon. « Tu combats bien, imposteur, » poursuivit-elle. « Je vais peut-être te laisser vivre. Mais je vais prendre cette lame en guise de tribut, en mémoire de l’Exarque Laarian. » « Même si j’en cherche une autre depuis que j’ai arpenté les sables cristallins de Coheria, je ne vais pas renoncer à telle épée. Pas encore. C’est Kbra-vir, bénite par Ynnead. Comme tu as été bénie, Véritable Enfant des Aeldaris. » Yvraine serra les dents et réduisit un autre Reaver en cendres rougeoyantes. « Ynnead ? C’est donc bien lui que j’ai vu. Comment le sais-tu ? Est-ce Dame Malys qui t’envoie ? » « Je m’appelle le Visarque, car j’ai renoncé à mon nom il y a bien longtemps. Cependant il te serait familier, Yvraine la Biel-Tani, car nos chemins se sont déjà croisés… » |
Grâce à ces nouveaux alliés, Yvraine et ses Bloodbrides triomphèrent dans la mêlée qui se poursuivait au cœur de l’arène. Telle une rivière, cette coterie de combattants se déplaça en direction de la sortie la plus proche, en évitant les affrontements qui opposaient les Drukharis aux Tyranides, afin d’atteindre les rues de la ville. Yvraine se dirigea alors vers Sec Maegra, un quartier mal famé grouillant de mercenaires et de vauriens. Elle comptait y trouver d’autres alliés, comme des princes corsaires, des Cérastes défigurées et des parias. Si elle parvenait à distancer ses poursuivants pendant que Commorragh était secouée par les événements de la nuit, elle pourrait peut-être atteindre les docks et recruter les Corsaires de son ancien navire, le Lanathrialle.
La possession d’Yvraine par le sinistre dieu Ynnead avait déchiré la toile de la réalité dans la Cité Crépusculaire. Très loin de là, un rituel avorté célébré par Eldrad Ulthran sur la lune cristalline Coheria avait décidé du destin d’Yvraine choisie par une force inconnue, elle était morte au moment exact de l’éveil d’un dieu. Elle avait été au confluent des énergies de l’Empyrean et de l’univers réel, et à l’épicentre d’un tremblement hyperspatial nommé disjonction. Des centaines de tours de Commorragh s’étaient effondrées et des glissements de terrain avaient ravagé les quartiers. Des millions d’habitants étaient morts, mais un destin encore pire attendait les survivants du désastre.
Car sous la ville se trouve un portail scellé nommé la Porte de Khaine. Il existe depuis des temps immémoriaux, et a été fermé par des moyens ésotériques pour éviter l’intrusion de Démons. Ces derniers n’ont toutefois jamais perdu espoir de mettre pied dans la Cité Crépusculaire, au point que Vect a récemment rétrocédé le territoire du portail, pourtant précieux, à un de ses rivaux.
Alors que la disjonction secouait la ville, les salles abritant la Porte de Khaine s’effondrèrent, tuant les annulateurs psychiques enfermés dans des cages qui évitaient toute propagation du Warp. La Porte se mit à luire, avant de céder dans un craquement assourdissant. Des milliers de Démons jaillirent en hurlant cruellement, avides d’enfoncer leurs lames, leurs griffes et leurs crocs dans leurs victimes.
Les Kabales, les Cultes Cérastes et les conclaves d’Hémoncules furent rapidement attaqués par toutes sortes de Démons. Vect s’était déjà mis à l’abri dans un sanctuaire aménagé dans un recoin de la Toile : Commorragh était vaste, elle survivrait à l’incursion. Cependant, Vect savait qu’avant cela, ses rivaux souffriraient grandement, et lorsqu’il reviendrait, il s’emparerait du pouvoir laissé vacant.
La fuite d’Yvraine vers Sec Maegra l’obligea à affronter des Gorgones, des Khymeræ intangibles et même une coterie de Démonettes, toutefois elle parvint à atteindre les docks. Le Visarque et ses mercenaires l’avaient aidée, à chaque fois de façon décisive. Elle n’avait pas le temps ni l’envie de remercier ses sauveurs, et se satisfaisait pour l’instant qu’ils combattent dans son camp.
Même si elle ne le réalisait pas encore pleinement, Yvraine était la clé de voûte d’un plan galactique qui venait de changer le destin de milliards d’individus. Elle avait été ressuscitée sous une forme plus étrange et plus puissante que la plus terrifiante création des Hémoncules qui la traquaient. La Dame des Ombres venait de connaître une seconde naissance, et son odyssée vers une existence de demi-déesse était intimement liée à Ynnead, qui l’avait choisie alors qu’elle était au seuil de la mort. Mais ce faisant, elle venait de jeter la Cité Crépusculaire dans les affres d’une invasion démoniaque.
La Danse du Destin
Pendant que Commorragh était ravagée, Yvraine rejoignait les Corsaires qu’elle commandait autrefois. Toutefois, leur navire ne put quitter ses amarres en toute quiétude, car nul n’échappe aisément aux griffes du Tyran Suprême.
Tandis que les voiles du Lanathrialle captaient les vents des soleils volés de Commorragh, une flottille d’appareils sous les ordres de Vect décolla des dock-spires du Grand Éperon. Elle arriva près du navire d’Yvraine au moment où la flotte corsaire qu’elle avait appelée de Sec Maegra apparaissait à l’horizon, mais était trop loin pour intervenir.
Un ultimatum fut envoyé. Il intimait aux Corsaires de livrer Yvraine à la Kabale du Cœur Noir. Ces derniers avaient le choix entre tenter de s’échapper et se faire écharper par les armes de leurs adversaires, ou livrer Yvraine et devoir retourner dans le chaos qui avait envahi la ville.
Ils choisirent une troisième solution. Ils se trouvaient non loin du principal portail sur la Toile de Commorragh, bien que celui-ci fût barré par des intercepteurs de Vect. Ils se dirigèrent alors vers un portail mineur, par lequel seul un vaisseau de la taille d’une frégate pouvait passer, et entamèrent une manœuvre suicidaire.
Même si le blocus de Vect détruisit la plupart des escorteurs de la flotte corsaire, il ne put stopper le Lanathrialle dans son élan. Ce dernier enfonça sa proue dans le portail. Le reste du bâtiment ne pouvait pas passer et resta coincé. Une dizaine d’explosions aveuglantes le meurtrirent à l’impact, et les forces métaphysiques libérées par le choc furent si violentes que l’intérieur du vaisseau fut ravagé. Des Corsaires furent brûlés vifs ou projetés hors des flancs déchiquetés du navire, et tombèrent dans le vide avant d’être désintégrés par les tirs des armes des appareils de Vect. Quelques instants plus tard, l’épave du Lanathrialle fut retirée du portail par les rayons tracteurs des vaisseaux de réparation de la flotte du Grand Éperon. Il allait être dépecé et son équipage massacré. Tel était le destin de ceux qui osaient défier Vect.
L’emprise du Tyran Suprême sur la Cité Crépusculaire était amoindrie à cause de la disjonction, si bien que Vect tenait à punir comme il se devait la responsable de la catastrophe. Il regardait la scène depuis les galeries d’observation de sa forteresse flottante, et réprima un cri de rage et de frustration lorsque la proue du Lanathrialle fut retirée du portail. Elle était intacte, en dehors d’un trou circulaire découpé au niveau du pont de commandement. Vect n’avait pas besoin de la moindre confirmation de la part de ses agents : Yvraine et sa garde rapprochée s’étaient échappés dans les tunnels labyrinthiques de la Toile. Le reste de l’équipage du Lanathrialle allait subir les pires tortures dans les donjons de Rakarth, mais cela n’y changerait rien.
Dans la Toile, des galeries translucides s’étiraient sous les yeux d’Yvraine tandis que ses Bloodbrides et elle arpentaient des lieux à l’architecture impossible. L’étranger écarlate et ses Incubes la suivaient de près. Alors que l’invasion démoniaque ravageait Commorragh, Vect était sans doute occupé à prendre des décisions difficiles, cependant il enverrait sans nul doute des agents à leur poursuite. Le sacrifice du plus gros bâtiment de la flotte corsaire leur avait permis de gagner du temps, mais cette avance ne leur serait guère utile si leurs poursuivants réagissaient rapidement, voire avaient recours à des moyens ésotériques pour les retrouver. Ils étaient donc forcés de s’enfoncer de plus en plus profondément dans les circonvolutions de la Toile.
Les tunnels anguleux de cette dimension labyrinthique semblaient happer les intrus, les attirant irrésistiblement par des lueurs stroboscopiques qui les hypnotisaient. L’avant-garde d’Yvraine, qui comptait à peine une cinquantaine de guerriers, se déplaçait dans de vastes artères aussi bien que dans des passages secondaires si étroits qu’elle était obligée de se mettre en file indienne. Les parois étaient perturbantes, chaque recoin surnaturel et chaque porte scellée et couverte de runes leur rappelait qu’ils n’appartenaient pas à ce monde. Bien souvent, ils sentaient des yeux se poser sur eux, sans jamais apercevoir ceux qui les observaient. Les voyageurs étaient conscients que s’aventurer loin des principales galeries dans les tunnels les plus étroits signifiait une mort certaine. Des Bêtes Donoriennes, des Medusae dévoreuses d’émotions, des Khymeræ et des nids de Psychneuein infestaient ces lieux oubliés de tous.
Lorsque le refrain d’une chanson étrange et entêtante s’éleva dans les tunnels, Yvraine craignit quelque chose d’encore pire. La plus grande partie de la Toile était en ruine depuis la Chute, dévastée par les énergies délirantes qui avaient rasé l’empire des Aeldaris. Les lieux les plus dangereux avaient été scellés lors des raids de cautérisation des Commorrites ou bloqués par des portails érigés par les habitants des Vaisseaux-Mondes, car ces galeries menaient droit vers le Warp. En théorie, les passages aux alentours de Commorragh étaient sûrs, mais depuis la Chute, ce labyrinthe n’était plus que l’écho de sa grandeur passée. Seul Cegorach, le Dieu Moqueur, et le seul du panthéon originel des Aeldaris à avoir survécu à la naissance de Slaanesh, connaissait la Toile sur le bout des doigts, et savait quels tunnels menaient vers le domaine du Grand Ennemi.
Plusieurs des Bloodbrides d’Yvraine avaient commencé à vieillir de façon accélérée. Elles se plaignaient de la faim qui les tenaillait, et jouaient avec leurs lames en s’observant mutuellement d’un air mauvais.
Sans souffrance pour se nourrir, les Drukharis allaient lentement dépérir jusqu’à devenir des Décharnés, c’est-à-dire des goules avides de se sustenter de la moindre émotion négative. Même la plus belle des Cérastes deviendrait ainsi une mégère décrépite en l’espace de quelques nuits. Une voix dans la tête d’Yvraine se moquait de leur détresse. Celle d’un jeune homme, calme mais cruelle.
La gladiatrix se demanda si elle avait réellement absorbé l’âme du Hellion qu’elle avait tué. Si c’était le cas, alors elle l’avait sauvée de l’Assoiffée. Si elle parvenait à maîtriser ce phénomène, voire à l’enseigner à d’autres, elle pourrait effectuer une avancée miraculeuse dans la sauvegarde de son espèce. Cela épargnerait aux Drukharis la malédiction de leur faim inextinguible, mais aiderait aussi les habitants des Vaisseaux-Mondes, car n’importe quel Aeldari pourrait devenir un sanctuaire pour les âmes de ses congénères. Ils n’auraient plus besoin de pierres gardiennes ou de Circuits d’Infinité. Plus elle y réfléchissait, plus cette pensée l’exaltait. Il y avait là une possibilité, voire un espoir. Elle marchait donc d’un pas de plus en plus déterminé, imitée par son avant-garde qui percevait ce changement.
Le groupe s’aventura de plus en plus profondément dans la Toile, le chant entêtant continuant de les hanter dans leur progression. Peu à peu, les tunnels froids et stériles devinrent un enchevêtrement anarchique.
ADDENDA INQUISITORIA MISSIVE ASTRALE <cf. SECTEUR OBERON> <GUERRIER CERBERAX/ Une nouvelle tempête Warp près d’Oberon a été nommée Cerberax, car elle ressemble à un chien tricéphale qui dévore le ciel. Elle a occulté trois systèmes solaires depuis la Nuit des Mille Failles. Les Saints Réquisiteurs de Mars ont mis en évidence les effets du Monolithe d’Ymga, car une sphère d’ordre est centrée autour de celui-ci et stoppe net la progression de Cerberax. Le dernier rapport des Technoprêtres décrits cette roche comme un noyau de phase Nécron au pouvoir immense. Son intensivité est telle qu’elle apparaît comme une aurore boréale verte dans les cieux proches d’Attila. Au cours du dernier mois, des milliers de pyramides volantes de la Dynastie Sautekh ont été aperçues dans le ciel d’Attila, volant en formation pour former une cage autour du Monolithe d’Ymga. Selon les autovisions des Psychoprédicteurs de Corinthe, une guerre silencieuse fait rage entre les Démons ailés et les Nécrons dans le vide spatial. Ils affirment aussi que tout navire Nécron entrant en contact avec le Monolithe n’est pas détruit mais qu’il se duplique. Ce conflit s’est étendu à l’espace impérial. Chaque planète a quatorze cent Terra-Solis a été le théâtre d’affrontements entre les Nécrons de la Dynastie Sautekh et une force décrite par l’Astra Militarum comme des "légions de Xenos à peau rouge". Je crains qu’il s’agisse en réalité de Démons du Dieu du Sang (cf. Tigurius). Si c’est le cas, la mission des Ultramarines et des Mortifactors sera une purge plutôt qu’un sauvetage, car ils auront sans doute recours à l’Exterminatus. Le futur nous dira si ces domaines pourront être un jours recolonisés. |
Les guerriers du groupe hétéroclite d’Yvraine s’aventurèrent dans des passages tortueux où ils marchaient tantôt sur les parois, tantôt au plafond. Ils empruntèrent des escaliers intangibles, et pourtant capables de soutenir leur poids. Des tunnels s’élargissaient avant de se rétrécir. Certains étaient sombres et humides, d’autres étaient constitués d’un cristal transparent à travers lequel on pouvait voir les étoiles et des phénomènes cosmiques. Ce lieu situé entre l’univers réel et le Warp était si bizarre que même un Aeldari ne pouvait l’appréhender. Parfois, l’esprit transformait ce qu’il voyait en un paysage analogue à ceux qu’on pouvait voir dans le monde réel, mais dans une profusion de couleurs et de formes inhabituelles. A d’autres moments, le ciel devenait un amas de visages moqueurs, qui fusionnaient. et formaient un tableau grotesque qui griffait le cerveau des spectateurs. Et pendant tout ce temps, le chant étrange se poursuivait.
Yvraine comprit qu’elle était totalement perdue. Elle ne savait pas où elle allait, car elle avait cherché uniquement à semer ses poursuivants au lieu d’anticiper ce qu’elle allait trouver. Désormais, ses Bloodbrides se disputaient ouvertement, s’insultaient et prenaient des poses agressives en dégainant leurs lames. Epherea Naptha lança un chapelet de grossièretés concernant les ancêtres de Vyllia la Griffe. La réplique de celle-ci fut si surréaliste et imaginative qu’Yvraine se prit à sourire en l’entendant. Malgré tout, elle savait que le temps leur était compté. Les Drukharis devaient se nourrir, sinon leurs disputes dégénéreraient en bain de sang très rapidement.
Autour d’eux, les parois de la Toile luisaient comme si elles étaient humides, et ressemblaient à la peau écorchée d’un animal. Ils arrivèrent finalement dans un cul-de-sac au fond duquel était aménagée une porte. Des runes d’avertissement autour de son chambranle ovale fumaient, comme si elles venaient de surchauffer. Le chant était désormais plus fort, et mettait les nerfs d’Yvraine à vif. Cette porte était le seul moyen de continuer à avancer. Elle poussa donc le battant de vif-argent, suivie de près par ses Bloodbrides, avides de massacrer quiconque apparaîtrait ensuite.
Elles débouchèrent devant une scène de démence, le tableau cauchemardesque d’un artiste dérangé. Une centaine de Démonettes dansaient et se trémoussaient avec les cadavres d’Drukharis portant les couleurs de la Kabale de Vect. Chaque demoiselle de l’Assoiffée semblait livrer un ballet en enlaçant un Kabalite mort comme s’il s’agissait de son amant. Leur danse était accompagnée par le son de flûtes taillées dans les ossements d’Aeldaris ayant vécu avant la Chute. Tout en se dandinant, les Démonettes écorchaient tendrement les cadavres avec leurs griffes, chacun de leur geste étant une caresse sensuelle qui dégoulinait de sang. Au cœur de cette sarabande se trouvait une danseuse élégante qui portait le masque de la tragicomédie au bout d’une hampe. C’était le Masque de Slaanesh. Yvraine la reconnut grâce à la description que lui en avait faite Sassarassen, son acolyte Sslyth.
L’estomac d’Yvraine se noua alors que le cri de panique du Hellion lui revenait en mémoire. Ses guerriers étaient deux fois moins nombreux que les Démonettes, et elle allait donner l’ordre de battre en retraite lorsqu’elle vit le Masque de Slaanesh, qui était particulièrement grande et altière, redoubler ses ondulations frénétiques. Sa pavane était si hypnotique qu’Yvraine ne pouvait détourner le regard. Elle sentit une plénitude assommante l’envahir, une apathie insurmontable qui l’obligeait à fermer les yeux. Autour d’elles, les Incubes et les Bloodbrides s’affalaient ou s’asseyaient en tailleur, s’adossant à la paroi tandis qu’une fatigue surnaturelle les engourdissait. Vyllia la Griffe poussa un gémissement et s’allongea au sol. Si cela continuait, ils rejoindraient les cadavres participant à cette fête ignoble.
Soudain, une pluie de cristal luminescent tomba du plafond et s’aggloméra en troupes d’Arlequins qui poussèrent des cris de jubilation. Yvraine sentit une bouffée d’énergie la sortir de sa transe. Elle avait espéré que la présence de son groupe attirerait l’attention des guerriers-danseurs de Cegorach, et leur intervention arrivait à point nommé. Elle brandit sa lame dessiccante, salua les nouveaux venus et décapita promptement une Démonette.
La doyenne qui dansait au cœur de la horde se démenait de plus belle, un rictus de colère déformant son visage. Elle bondit vers l’Incube le plus proche, et fut aussitôt imitée par ses sœurs démoniaques. Les mercenaires, les Bloodbrides et même quelques Arlequins succombèrent à son sommeil mortel. Même le Visarque se tenait la tête, comme s’il était en proie à une migraine atroce. Yvraine était déjà au milieu de la mêlée, et n’avait aucun moyen de lui venir en aide.
Alors que le Masque de Slaanesh bondissait par-dessus le cadavre d’un Incube portant la livrée de la Kabale du Cœur Noir, ses jambes se retrouvèrent empêtrées dans le Klaive du guerrier. Ce dernier se releva en poussant un rire caverneux. Sa silhouette scintillait comme s’il était pris dans un mirage. Il s’ébroua pour se débarrasser du voile d’illusion, et prit l’apparence d’un Arlequin encapuchonné : un Solitaire, un marcheur de la Voie du Damné.
Le Masque de Slaanesh poussa un cri de désarroi et de détresse, et le gratifia d’un coup de griffe au thorax. Cependant, son adversaire était déjà en mouvement. Il pressa son baiser d’Arlequin contre le cou du Masque et y déroula plusieurs centaines de mètres de monofilament. Il se rua ensuite vers les autres Démonettes, les tuant si rapidement que l’œil avait du mal à suivre ses mouvements. Chacune de ses victimes explosait dans une gerbe d’ichor violacé.
Yvraine et ses Bloodbrides étaient désormais libérées de la malédiction du Masque et fondirent sur les Démonettes. Celles-ci sourirent d’un air sardonique à la vue de ces nouvelles victimes et s’élancèrent à leur rencontre. Au début, les deux camps faisaient jeu égal, et les pertes s’accumulaient d’un côté et de l’autre. Même Yvraine reçut une légère entaille à la gorge. Bien qu’elle fût extrêmement douloureuse, cette coupure n’était pas assez profonde pour être dangereuse. Elle prononça involontairement quelques mots de pouvoir, sans comprendre ce qu’ils signifiaient, et immédiatement, des nappes de brume grise s’étirèrent de sa blessure. Elles sapaient les forces des Démonettes qu’elles touchaient, et leur peau rose prenait soudain une teinte livide.
Yvraine était abasourdie, toutefois elle ne prit pas le temps de réfléchir et profita de cet avantage pour repartir à l’attaque. Les Démonettes étaient désormais prises de panique en constatant les pouvoirs magiques d’Yvraine. Ses guerriers et les Arlequins combattaient avec la même vivacité que leurs ennemies, voire plus. Le sang coulait à flots, les gorges étaient tranchées, et les Démonettes se dissipaient dans des nuages de fumée rose à l’odeur tenace. Sur le flanc gauche, les Incubes faisaient des ravages avec leurs Klaives, tandis qu’à droite, les illusions d’un Prophète des Ombres forçaient les Démonettes à se frapper les unes les autres au lieu de s’en prendre à leurs adversaires. Inexorablement, les Aeldaris prenaient l’avantage sur les servants de Slaanesh.
Le Masque poussa alors un cri horrible, si puissant qu’il fit s’effondrer un pan de mur derrière elle. La tempête d’émanations psychiques rugit dans les tunnels et emporta les Démonettes et leur reine à travers la brèche et hors de vue des Aeldaris en l’espace de quelques instants. Ces derniers luttaient pour conserver leur équilibre, et plantaient leurs armes ou leurs ongles dans les parois en cristal psychoplastique pour ne pas tomber. En revanche, le Solitaire marchait à travers la tornade comme si ce n’était qu’une brise d’été. Il tendit la main pour dessiner dans l’air une rune de protection, afin de refermer la brèche. Finalement, poussant un soupir de soulagement, le Prophète des Ombres parvint à calmer le vent violent, qui se désagréa en une fine poussière lumineuse.
Yvraine et ses guerriers retrouvèrent peu à peu leurs esprits et se regroupèrent. Le combat avait duré moins d’une minute. Plusieurs Aeldaris étaient morts, et sans l’intervention des Arlequins, ils auraient sans doute péri jusqu’au dernier. Yvraine restait à l’affût de la moindre menace et allait remercier ses sauveurs, mais il ne restait déjà plus que le Solitaire. Ce dernier avait senti le pouvoir d’Yvraine, et avait décidé de rester pour lui servir de guide. Les autres Arlequins s’étaient évanouis dans les profondeurs de la Toile afin d’aller à la rencontre d’une légende vivante, une matriarche guerrière dont le rôle allait s’avérer décisif dans les événements à venir.
Les Malheurs de Biel-Tan
Les Arlequins du Chagrin Nocturne étaient déjà à des kilomètres lorsque le groupe d’Yvraine se remit en route, guidé par le Solitaire. Leur destination était le cœur du royaume humain, dans l’Ultima Segmentum, car c’était là que se trouvait un ancien joyau de l’empire Aeldari : Biel-Tan, un Vaisseau-Monde qui cherchait à unir toutes les factions de son espèce dans une cause que beaucoup considéraient utopique.
En effet, Biel-Tan pouvait se traduire par "Renaissance des Jours Anciens", et c’était le Vaisseau-Monde le plus militariste et le plus orgueilleux. Ses habitants étaient xénophobes à l’extrême, et protégeaient ce qu’il considérait comme leurs domaines avec une violence vengeresse. Biel-Tan avait adopté le rôle de gardien des Mondes Vierges, ces planètes où les Aeldaris Exodites vivaient en harmonie avec leur environnement, et rejoignaient l’Esprit-Monde la planète lorsqu’ils mouraient. Le peuple belliqueux de Biel-Tan pensait que les mondes Exodites seraient les graines d’où germerait un nouvel empire lorsque les Aeldaris retrouveraient leur suprématie. La plupart des autres Vaisseaux-Mondes considéraient que Biel-Tan se berçait d’illusions, car les ressources nécessaires pour transformer ces mondes et fonder un nouvel empire n’étaient plus à la disposition des Aeldaris depuis bien longtemps. Loin de se laisser décourager par ces détracteurs, Biel-Tan s’accrochait à ses convictions.
Même si peu d’Aeldaris de Commorragh le savaient, Biel-Tan était le foyer originel de celle qu’ils appelaient la Dame des Ombres. C’était sous ses dômes scintillants et au pied de ses spires élégantes qu’elle avait été élevée, et qu’elle avait appris les us et coutumes des Vaisseaux-Mondes. Au début de sa vie, elle avait suivi la Voie de l’Acteur, et ses acrobaties avaient ébloui la haute société aussi bien que ses camarades aventureux qui préféraient rester dans les zones désertes du Vaisseau-Monde. Ses performances devenaient de plus en plus violentes et débridées au fil du temps, alors qu’elle gagnait en confiance. Lorsque l’Avatar de Khaine avait été réveillé au cœur du Vaisseau-Monde lors de l’invasion de Gnosis Prime, elle avait choisi de suivre la Voie du Guerrier en devenant Vengeur Lugubre, sous la tutelle de Laarian Parle-aux-Étoiles, un Guerrier Aspect du temple de la Lame Argentée.
Les années avaient passé. Le sang qu’Yvraine avait fait couler au sein de la célèbre Lame du Vent de Biel-Tan aurait pu étancher la soif de sang du guerrier le plus sauvage, mais cela ne lui suffisait pas. Elle chercha donc ailleurs une façon de s’accomplir. Pendant quelque temps, la Voie du Psycharque lui offrit le savoir ésotérique qu’elle désirait, et elle put affiner ses talents psychiques tout en continuant de combattre avec les armées de Biel-Tan. Finalement, elle quitta cette Voie et devint une paria, puis une chef corsaire, et enfin, après que son orgueil l’eût poussé à se mutiner, elle devint gladiatrice à Commorragh. Malgré tout, Biel-Tan occupait toujours une place dans son cœur. L’intervention du Solitaire allait enfin permettre le retour de la fille prodigue dans son Vaisseau-Monde.
Ildraesci Lancerêve effectua une révérence théâtrale, les bras écartés. L’Autarque Meliniel répondit par son propre salut rituel. Les deux gestes étaient empreints de nervosité. L’Autarque était accompagné de Vengeurs Lugubres qui serraient leurs armes. Aux côtés de Lancerêve se trouvaient une dizaine d’Arlequins à la pose exagérément décontractée.
« Il est étrange de se présenter ainsi, sans l’avoir annoncé, » déclara Meliniel. « Même s’il est notoire que la Chagrin Nocturne est tel le zéphyr stellaire, qui va et vient comme bon lui semble… » « Il est tout aussi inhabituel d’accueillir des ambassadeurs avec une escorte en armes, » rétorqua Lancerêve. « Cependant, en cette sombre époque, nous suivons tous des voies obscures. » « Certes… néanmoins, cela ne doit pas nous aveugler. La moindre provocation, comme le vol par Cegorach des joyaux d’Isha, serait interprétée comme une déclaration de guerre… » « Certains disent que Cegorach a été poussé par le désespoir, qu’il poursuivait un noble but, » répondit Lancerêve. « Peut-être. Il est si facile de se tromper en temps de guerre. » « Espérons simplement que le prochain acte ne se termine pas en tragédie. Seul le fou ignore les avertissements d’un prophète. » « Ces avertissements, » dit l’Autarque en se tournant pour cueillir une rose de cristal avant de faire jouer la lumière sur ses pétales, « concernent-ils le Dieu des Morts ? C’est ce que pense Lathriel. » |
« Indirectement. Ils concernent surtout tous les Aeldaris du passé, du présent et du futur. Y compris vous et votre peuple. »
« C’est pour cela que votre troupe, connue pour avoir profané le Dôme des Prophètes de Cristal, a décidé de passer par un portail secondaire au lieu d’obéir aux règles ? » feula l’Autarque. « Nous n’avions pas le choix. L’ichor des Démons imprègne encore nos lames. La fille de l’Assoiffée est au courant de l’existence de la Dame des Ombres. » « Vous avez donc risqué le tout pour le tout pour nous convaincre ? Vous savez que les Démons ne peuvent briser les sceaux… » « Hélas, non, » dit l’Arlequin en riant sans joie. Son masque prit l’apparence du visage de l’Avatar de Khaine alors qu’il esquissait le signe de clé noire. « Ils ne peuvent attaquer directement Biel-Tan, mais comptent passer par une planète. C’est là que va se jouer notre destin. » « Connaissez-vous le nom de ce monde ? » L’Arlequin tendit sa paume ouverte. L’Autarque toisa la rune un long moment avant de faire un signe à son Exarque. « Rassemble la Lame du Vent et informe Lathriel. Nous attaquons à l’aube. » |
ADDENDA INQUISITORIAL MISSIVE ASTRALE (NIVEAU FUNESTE) <ANOMALIE DU GOLFE Monseigneur Inquisiteur, Comme vous le savez sans doute déjà, le Golfe de Damoclès a été ravagé par des armes ésotériques suite à la reconquête d’Agrellan, que les T'au nomment Mu’galath Bay. L’Adeptus Mechanicus, l’architecte de cette mesure préventive, a commis cet acte de vandalisme cosmique pour éviter d’autres incursions des T’au dans l’espace impérial, vers le cœur du Golfe. Il est probable que les T’au vont abandonner leurs tentatives visant à traverser cette région et concentrer leurs efforts ailleurs. Malheureusement, la nébuleuse de flammes du Golfe s’est mêlée aux nouvelles tempêtes Warp qui dévastent l’Imperium depuis quelques cycles. Ces orages éthériques ont envahi une grande portion de l’univers réel, et ont transformé les feux du Golfe de Damoclès en brasiers inextinguibles dotés d’une conscience qui les pousse à attaquer les flottes des T’au et de l’Humanité qui passent proximité. Même si les visions des Astropathes de Damoclès indiquent que ces phénomènes tendent à diminuer en amplitude, ils restent excessivement dangereux. Scoria Prime, Duala et Vonsha Smyde IX ont subi des invasions démoniaques. Seule bonne nouvelle, une vaste flotte d’expansion T’au a été détruite elle aussi, si on en croit les rapports de nos agents. Je recommande en toute urgence la reclassification en Perdita de cette région, voire en Quarantine Extremis. |
Biel-Tan n’avait jamais caché ses ambitions. Le Masque du Chagrin Nocturne pensait qu’Yvraine était un moyen de les réaliser, car le Prophète des Ombres avait remarqué l’aura étrange qui émanait d’elle. Les pouvoirs funestes d’Yvraine, manifestés lors du combat contre les Démonettes, avaient confirmé ce que pensait le maître de cette troupe d’Arlequins, Eldrad Ulthran. Le point de causalité s’était trouvé exactement là où le Grand Prophète l’avait prédit, et Yvraine avait eu recours à des pouvoirs d’une autre dimension, comme il l’avait annoncé. Il était donc essentiel qu’elle soit accueillie par des alliés bienveillants. Ainsi qu’Eldrad l’avait dit, les Arlequins devaient délier les fils du destin pour tisser une nouvelle trame favorable, jusqu’à obtenir un nœud capable d’étrangler Slaanesh.
Quelques mois plus tôt, dans des cryptes de Moelle Spectrale noire, au plus profond du Vaisseau-Monde Ulthwé, Eldrad avait vu les événements à venir. Suivant les ondes des possibles qu’il avait lui-même suscitées sur Coheria, il devina l’avènement d’une force nouvelle, incarnée dans celle qu’on nommait la Dame des Ombres. Elle était la clé de l’ascension d’Ynnead, ce tsunami cosmique qu’Eldrad et Kysaduras prédisaient depuis longtemps.
Suivant dans ses méditations les pérégrinations d’Yvraine, Eldrad conclut que le sanctuaire le plus approprié pour l’accueillir était Biel-Tan. Eldrad avait déjà vu la gladiatrix renaître et les classes dominantes du Vaisseau-Monde s’allier à elle, aussi bien physiquement que spirituellement. Un événement majeur approchait. Eldrad avait vu la rune de la Dame de la Nuit entourée par celle de la Grâce Déchue, toutes deux en suspension autour de la rune héraldique de Biel-Tan. Le cœur stylisé de celle-ci avait noirci et de la fumée s’en était échappé. En dépit de cette menace évidente, Eldrad savait qu’il fallait consentir à de terribles sacrifices pour parachever son œuvre.
Le Grand Prophète avait envoyé un signal psychique à travers la Toile, et ordonné à ses serviteurs d’agir. Le Masque du Chagrin Nocturne s’était donc rendu à Biel-Tan pour annoncer la venue d’Yvraine. Même si ces Arlequins avaient une réputation de voleurs et d’oiseaux de mauvais augure, leur message était si important que nul ne put l’ignorer. L’Autarque Meliniel consulta la Grande Prophète Lathriel pendant que les osts de guerriers Aspects de la Lame du Vent se mobilisaient.
Les propres divinations de Lathriel, interprétées à l’aune des nouvelles colportées par les Arlequins, s’avérèrent sinistres. Comme Eldrad, elle vit un carrefour majeur dans le destin de son peuple. Une des voies menait vers un brasier et le symbole du Rhana Dandra, la fin des temps, alors que l’autre se dirigeait vers des ombres et le son funeste d’un tocsin. Les implications étaient claires. Peut-être que l’avènement d’Ynnead pourrait ralentir le déclin des Aeldaris, et même calmer les tempêtes Warp qui secouaient la galaxie. Yvraine aurait un rôle déterminant à jouer, car elle était liée aux runes du Grand Ennemi et de Biel-Tan. Les agents de Slaanesh étaient sans doute au fait de son importance, et tenteraient sûrement de la capturer.
Jusqu’alors, les runes de protection du Vaisseau-Monde avaient évité toute incursion démoniaque. Cependant, les tempêtes qui faisaient rage dans l’Empyrean décuplaient les risques d’intrusion à travers la Toile. Si un ost du Warp se manifestait à bord du Vaisseau-Monde, le désastre serait sans précédent. Biel-Tan risquait de ne jamais s’en remettre.
Le Masque de Slaanesh était pleinement consciente de cette éventualité, et s’en réjouissait. D’ailleurs, elle avait découvert une route secrète menant directement à Biel-Tan, un tunnel de la Toile qui avait été scellé et abandonné depuis des éons. Il débouchait dans une zone reculée et méconnue du Vaisseau-Monde, et permettait aussi d’accéder à un portail situé sur le Monde Vierge d’Ursulia.
Un Paradis Corrompu
Ursulia, nommée d’après une nymphe des mythes, était un petit monde verdoyant, célèbre chez les Asuryanis pour ses bois de ronces magnifiques et ses cités arborées. Les Aeldaris en avaient fait un paradis, toutefois la planète avait été mutilée jusqu’à devenir méconnaissable. Après avoir traversé la couche de nuages argentés, le cœur du voyageur se serrait à la vue du triste spectacle qui s’offrait à lui. Des tempêtes Warp apparues subitement avaient scarifié la surface d’Ursulia au cours des derniers mois. Les cataractes de la planète étaient devenues des monticules de verre rouge, tandis que les prairies verdoyantes s’étaient muées en désolations constellées de crânes.
Dans une des vallées se trouvait un cercle de pierres moussues appelé la Porte d’Obsidienne. Cette ancienne entrée vers la Toile avait été scellée des milliers d’années plus tôt par mesure de précaution, afin d’éviter toute invasion, car c’était aussi une porte qui menait directement vers Biel-Tan. La décision de la fermer avait été contestée au moins une dizaine de fois au cours de l’histoire, car Ursulia avait connu de nombreuses guerres. Néanmoins, il était théoriquement possible de la rouvrir par le biais de forces ésotériques, même si les Biel-Tani auraient tout fait pour l’éviter.
Les guerriers de Biel-Tan qui atterrirent sur Ursulia eurent l’impression de contempler une femme qui aurait terriblement souffert des épreuves de la vie, et ils en furent horrifiés. Les Rangers affichaient des mines sombres sous leurs capuches tandis qu’ils cherchaient des Exodites survivants dans les bois corrompus. Ils ne découvrirent que des cadavres. Le temps que les premiers éléments de Biel-Tan arrivent à Ursulia, la planète avait été défigurée.
Suivant les instructions de l’Autarque Meliniel, les guerriers de la Lame du Vent se préparaient à tendre des embuscades aériennes à bord de leurs Faucons et de leurs Serpents. Ils arboraient des expressions sévères sous leurs casques, car ils s’étaient transformés en tueurs chevronnés dès qu’ils les avaient enfilés, et ils ne retrouveraient leur personnalité et leur capacité à faire le deuil d’Ursulia qu’une fois la bataille terminée.
La pluie se mit à tomber alors que les transports de la Lame du Vent filaient à travers le ciel. Le convoi était presque invisible, ayant adopté une formation Cloudstrike. C’était une tactique courante des Biel-Tani, qui savaient qu’une arme invisible est d’autant plus mortelle. Un orage grondait autour des véhicules antigrav, et le sifflement surnaturel du vent suggérait le déferlement d’énergies mystiques. L’odeur de l’ozone était tenace, et l’atmosphère particulièrement lourde.
La Lame du Vent de Biel-Tan avait envoyé plus de mille combattants sur Ursulia, pourtant ces derniers savaient au fond de leur cœur qu’il n’y avait plus rien à sauver. Ils avaient protégé cette planète pendant des millénaires, face aux invasions d’Orks, aux infestations de Hruds, aux conquêtes impériales et aux raids des Drukharis. Cependant, face à la puissance brute et spontanée d’une tempête du Chaos, ils étaient impuissants. La tempête Warp Balamet avait éclaté si rapidement que même les Asuryanis n’avaient pu réagir à temps. La mission de sauvetage était devenue une quête de vengeance, afin d’éviter qu’un sort similaire arrive au Vaisseau-Monde Biel-Tan.
Pourtant, c’était exactement ce que le Masque de Slaanesh complotait. Même si elle avait eu du mal à atteindre ce premier objectif, elle était parvenue à orchestrer une attaque démoniaque de grande envergure contre Ursulia. Une fois la planète conquise, elle comptait s’en servir de tête de pont. Si elle réussissait à rassembler suffisamment de troupes pour briser les défenses de la Porte d’Obsidienne, elle atteindrait Biel-Tan avant Yvraine, et pourrait non seulement récolter d’innombrables âmes d’Asuryanis, mais aussi mettre un terme à la principale menace qui guettait Slaanesh. Elle avait fait de son mieux pour organiser la conquête à venir, en s’assurant que les factions sous ses ordres agiraient le plus efficacement possible en dépit de leurs rivalités. En effet, le Masque avait non seulement amené sa parade de l’excès, c’est-à-dire un rassemblement de Démonettes, de Veneuses de Slaanesh, d’auriges sur des chars démoniaques et de Chars de Slaanesh à moitié mortels, mais elle avait aussi persuadé un bataillon de Démons de Khorne de se joindre à sa cause.
Les rivalités entre les Dieux du Chaos font rage depuis la nuit des temps, aussi bien dans le plan matériel que dans le Warp. Ces frères ténébreux s’affrontent sans cesse dans le cadre du Jeu Divin et se méprisent ouvertement, au point qu’ils guerroient fréquemment les uns contre les autres. Slaanesh, le Maître des Excès, est considéré comme un imposteur et un sycophante par Khorne, le Dieu du Sang. Inversement, Slaanesh voit Khorne comme un imbécile dénué d’imagination. Bien entendu, leurs Démons partagent ces sentiments, car ce sont des parcelles de leurs dieux, uniquement chargées d’accomplir leurs volontés.
Toutefois, le Masque de Slaanesh savait se montrer persuasive, et ses talents allaient au-delà des simples plaisirs de la chair. Elle savait exploiter les désirs des autres, car elle était l’incarnation de toute forme d’obsession. Ainsi, les âmes les plus fortes étaient souvent les plus faciles à berner, car elles étaient guidées par une détermination obsessionnelle. Et nul n’était plus orgueilleux que les Seigneurs Démons de Khorne…
Avec les tempêtes Warp qui faisaient rage, les Démons pouvaient aisément se déplacer à travers la galaxie, surtout quand il s’agissait de créatures aussi rusées que le Masque. Malgré cela, elle n’avait pas la puissance brute nécessaire pour briser les runes de protection qui scellaient le portail menant à Biel-Tan. Cependant, elle connaissait un Démon suffisamment fort pour avoir une chance de broyer ces défenses arcaniques : Skarbrand l’Exilé, le plus terrible des Buveurs de Sang de Khorne.
Skarbrand était un Démon si arrogant qu’il s’était jadis attaqué à son propre maître. Ce dernier l’avait alors projeté à travers les dimensions, lui brisant le corps et l’esprit. Désormais, Skarbrand était perpétuellement enragé. Le Masque avait vu en lui un instrument brutal. Elle avait dansé à travers le Royaume du Chaos pour le trouver et le convaincre de la suivre.
Au début, Skarbrand avait tenté de la faucher avec ses haches, Massacre et Carnage, toutefois la Démonette avait esquivé les coups du Buveur de Sang avec une telle élégance que Skarbrand ne l’avait plus perçue comme une adversaire, mais comme une simple nuisance, à la façon d’un étalon furieux qui dévisage une mouche sur son flanc. Lorsqu’il avait fini par se désintéresser d’elle, le Masque lui avait parlé de son propre exil, car elle avait été bannie par son dieu, exactement comme Skarbrand avait été rejeté par le sien. Cela lui permit de capter son attention. Elle lui proposa alors un pacte au cours duquel les osts de Slaanesh et de Khorne pourraient se mesurer à un adversaire commun. La compétition se déroulerait sur la planète Ursulia. Celui qui parviendrait à récolter le plus de vies Aeldaris au nom de son dieu avant la fin de la nuit serait déclaré grand vainqueur.
Les paroles du héraut de Slaanesh étaient judicieusement choisies. Elles parvinrent à éclaircir momentanément l’esprit de Skarbrand en dépit de la rage qui le consumait, sans pour autant le pousser à se lancer à l’assaut contre les Aeldaris de façon irréfléchie. Le Démon Majeur fulminait, car les disciples de Khorne ne peuvent ignorer un défi lancé. Une fois son plan mis en branle, le Masque se mit en devoir de rassembler ses serviteurs pendant que le Buveur de Sang beuglait à ses guerriers de le rejoindre.
Une semaine après ce pacte incongru, les osts démoniaques du Masque et de Skarbrand piétinaient les clairières herbeuses des forêts d’Ursulia. Leurs séides étaient des centaines de milliers, car la nouvelle du pacte avait attiré de nombreux champions, tous déterminés à prouver leur valeur aux yeux de leur dieu en massacrant autant d’Exodites Aeldaris que possible.
Alors que les Démons jaillissaient de l’œil du cyclone psychique qui faisait rage au-dessus d’Ursulia, l’invasion débuta. Les Exodites utilisèrent toutes les armes et toutes les ruses à leur disposition. Ils lâchèrent des hardes de Mégasaures, menèrent des charges de cavalerie au cours desquelles des maisonnées entières de Chevaliers Dragons ravagèrent les phalanges de Démons. Malgré tout, leur résistance était vouée à l’échec. Les envahisseurs les surclassaient en nombre, et la présence du Masque et de Skarbrand fit davantage pencher la balance en leur faveur. Les Exodites furent submergés et massacrés en l’espace de quelques jours.
Lorsque la Lame du Vent de Biel-Tan arriva, les Exodites avaient été éradiqués. Des Démons dansaient au milieu des charniers et se gorgeaient de sang dans les ruines. Beaucoup comptaient les morts et se disputaient pour savoir lequel d’entre eux avait été le plus méritant aux yeux de son dieu. Le Masque poursuivait sa traque et coordonnait ses plans avec l’élégance d’une chorégraphe. Ses groupes de Veneuses avaient localisé la Porte d’Obsidienne sur une crête dominant la Vallée Verdoyante. Le Masque connaissait bien les Aeldaris. Elle se doutait que les cousins des Exodites attaqueraient bientôt, et que dans leur empressement de défendre le portail vers la Toile, ils lui offriraient une chance inespérée de l’ouvrir… Les rumeurs à la cour de Slaanesh affirmaient que la déchéance de Skarbrand n’avait fait que le rendre plus puissant à cause de l’amertume et de la frustration qu’il ressentait. Quand les troupes de Biel-Tan tenteraient de le bannir, sa colère, décuplée par la tempête Warp, lui donnerait la force de briser n’importe quel sceau de protection.
Le carnage n’était donc pas terminé. Lorsque la tempête Warp d’Ursulia prendrait fin, le nombre de pertes dans les deux camps aurait atteint des proportions épiques.
« Pourquoi ne l’avais-tu pas vu, ma sœur ? » siffla Meliniel en pointant un doigt accusateur à l’apparition qui s’était manifesté dans le Serpent. « Les runes ne t’ont rien dit ? »
« Elles ont montré bien des futurs, » répondit Lathriel, qui était en lien psychique avec Meliniel. « Parfois, le destin a des caprices que même les prophètes ne peuvent anticiper. » « Je sais que tu n’es pas infaillible. Mais dans ta jeunesse, jamais tes erreurs ne nous ont coûté aussi cher… » « Nul ne l’avait prédit, mon frère. Un événement psychique d’une magnitude galactique a eu lieu, et nous en ressentons ses effets. Les fils du destin délient et se renouent si vite que même le Grand Prophète d’Ulthwé ne connaît plus l’avenir. » |
« Comme notre hôte, tu me parles du Dieu qui Murmure. Il arrive trop tard, aussi bien pour le peuple d’Ursulia que pour nous. »
« Même s’il me peine de l’admettre, je crois effectivement que Biel-Tan va payer le prix du sang." Le Serpent passa au-dessus d’un lac couleur de jade. Meliniel vit que ses berges étaient écarlate, « Nous devons punir ceux qui ont provoqué notre courroux. » Sa voix était aussi impavide et impersonnelle que celle d’un Exarque. « Les machines de Vaul iront au nord-ouest du portail, à huit lieues. Les Windriders se rendront au nord-est. Les Faucons seront les crocs du serpent, les Guerriers Aspects seront ses anneaux. » « On ne peut gagner seuls. Il faut semer la discorde chez l’ennemi, » suggéra Lathriel. « Garde tes conseils, ma sœur. L’heure du prophète cède la place à celle de la lame… » |
Orage Démoniaque
MISSIVE ASTRALE (NIVEAU TERRA MAJORIS) <cf. La Morsure Noire> <ACTIVITE HERETICUS Ce que notre ordre redoute depuis longtemps est sur le point d’arriver. Une Secte Génovore a été découvert sur Terra, sous le complexe polaire Inwit. Des organismes allant de la première à la quatrième génération ont été aperçus et traqués jusque dans leurs repaires. Au cours des trois dernières semaines, six nids ont été purgés dans la Ruche Zhaero grâce aux efforts de l’Adeptus Arbites et de l’Adeptus Custodes. Les conséquences sont terrifiantes à envisager. Par le biais de quelque subterfuge, une forme de vie Xenos est parvenue à infiltrer les systèmes de sécurité concentriques de Terra, à passer les innombrables checkpoints et à tromper les auspex les plus performants. Des groupes d’interventions de l’Adeptus Custodes et même de l’Officio Assassinorum ont été envoyés pour tenter de trouver la faille de sécurité, pendant qu’une enquête inquisitoriale s’affaire à effacer toute trace de cette contamination survenue au cœur même du berceau de l’Humanité. Les opérations ont été menées dans le plus grand secret. La Ruche Zhaero et ses environs ont été mis en quarantaine en prétextant une épidémie de sclérose épidermique surnommée la Morsure Noire. Même si un tel événement est terrible à avouer, il reste pourtant moins grave que l’horrible réalité… |
Les hordes de Démons de Slaanesh et de Khorne parcouraient les forêts mutantes d’Ursulia à la recherche de nouvelles victimes. Ces créatures étaient en proie à une frénésie terrifiante, et leurs cris de défi prouvaient leur désir de suprématie. La tempête Warp faisait rage autour d’eux, si bien qu’ils ne prêtèrent pas attention aux forces du Vaisseau-Monde qui tombaient du ciel
Seule le Masque observait les cieux du coin de son œil noir de jais. Elle savait que Biel-Tan allait mordre à l’hameçon. Les Asuryanis allaient attaquer férocement, comme toujours, et ce faisant, ils n’allaient pas repousser leurs ennemis, mais susciter une violente contre-attaque. Slaanesh se réjouit de toutes les formes d’excès, particulièrement celles qui permettent de répandre les fluides corporels. Quant à lui, Khorne est galvanisé autant par le massacre de l’ennemi que par celui de ses propres troupes. Et il en allait de même pour ses serviteurs. Le sang de toute provenance était bienvenu aux yeux du Seigneur des Crânes.
L’attaque des Asuryanis fut aussi subite que dévastatrice. Sur ordre de l’Autarque Meliniel, la Lame du Vent plongea du ciel en déchaînant les tirs de ses lasers à impulsions et de ses armes à plasma. Les rayons d’énergie étaient si nombreux qu’ils ressemblaient à une pluie de lumière s’abattant des masses ectoplasmiques des nuages. Les explosions illuminèrent la canopée et les corps désarticulés des Démons furent projetés dans les airs.
Les salves ne visaient pas les rassemblements d’ennemis, mais ceux qui étaient les plus gros et les plus grotesquement ornementés au milieu de la horde. La Laine du Vent usait de ces tactiques d’assassinat de façon habituelle, afin de compenser ses faibles effectifs en semant l’anarchie dans les lignes de commandement de l’adversaire. Et cette stratégie fonctionnait aussi bien contre des armées de mortels que contre les légions surnaturelles des Dieux Sombres. En quelques secondes, des dizaines de Hérauts Démoniaques furent bannis.
Les Asuryanis lancèrent ensuite un assaut sur plusieurs fronts imaginé par l’Autarque Meliniel en quelques minutes, après qu’il eût analysé visuellement le déploiement des hordes démoniaques. Formant plusieurs osts de guerre, il mena une attaque aéroportée afin d’encercler les bandes d’ennemis les plus proches de la Porte d’Obsidienne.
Les premiers à arriver au contact furent les Edruth Enfaolchù, c’est-à-dire les escadrons de Faucons. Ils filèrent sous la pluie battante en engagèrent les Broyeurs d'Âmes qui dévastaient le sous-bois avec leurs griffes, dans leur empressement d’engager le corps à corps. Les machines Démons quadrillèrent les cieux avec leurs canons. Les explosions illuminèrent les coques des antigrav, cependant ces tirs furent presque totalement inefficaces, car la vélocité des Faucons était telle qu’ils étaient extrêmement difficiles à toucher.
La Mort Pourpre était à la pointe de l’attaque. Deux escadrilles d’intercepteurs Nightshade brillaient comme des rubis dans le ciel, et virevoltaient avec la grâce de rapaces. Malgré tout, un des appareils fut abattu par un tir chanceux. Son épave forma des éclats de psychoplastique acérés qui tombèrent dans les forêts. Les autres engins s’en sortirent indemnes en effectuant des tonneaux et des manœuvres d’évasion.
Au dernier instant, les appareils écarlates se séparèrent pour mener des attaques au sol foudroyantes. Leurs lances ardentes crachèrent la mort parmi les Broyeurs d'Âmes enragés. Ces attaques étaient destinées à les aveugler, exactement comme les lames de Khaine avaient crevé les yeux du Grand Wyrm Oghanothir. Dans les faits, les tirs de laser furent si précis qu’ils firent exploser la tête de la plupart des monstruosités mécaniques. La progression des Machines-Démons fut stoppée net tandis que leurs âmes démoniaques étaient attachées de leurs corps métalliques et aspirées par la tempête éthérique. Pendant ce temps, la Mort Pourpre était déjà ailleurs, et ne laissait derrière elle que des spirales tournoyantes de nuages.
Constatant que leur puissance de feu antiaérienne avait été réduite au silence, les Démons poussèrent des agissements de frustration qui firent -frémir le feuillage autour d’eux. Ces hurlements furent peu après noyés par le sifflement des lasers des chars antigrav qui arrivaient par dizaines dans le sillage de la Mort Pourpre.
Les holochamps des escadrons Cloudstrike de Meliniel les camouflaient idéalement dans les niches de nuages, et ils étaient d’autant plus difficiles à repérer depuis le sol à travers les branches des arbres. Ce n’est que lorsque la tuerie commença que les Démons comprirent la véritable nature de leurs adversaires. Les Dragons Flamboyants projetaient des rayons d’énergie qui carbonisaient les cavaliers démoniaques juchés sur leurs montures d’airain. Ces tirs de laser, concentrés par des fragments de cristal exotique, ouvrirent des brèches béantes dans les lignes de Démons, des cratères fumants maculés d’ichor.
C’est alors que Skarbrand en personne apparut depuis le Warp au milieu d’une boule de feu et tomba du ciel. Le carnage l’avait attiré aussi sûrement qu’un requin céleste est attiré par l’odeur de la magie dans l’air. Il percuta violemment un escadron de chars antigrav et les réduisit à l’état d’épaves qui s'écrasèrent dans la vallée. Des arbres millénaires furent réduits en copeaux par les impacts, et des colonnes de flammes jaillirent des appareils crashés. Skarbrand atterrit au sol dans un bruit de tonnerre, ses sabots s’enfonçant profondément dans le sol, il entreprit d’abattre les Démons mineurs qui ne s’écartaient pas assez rapidement de son chemin. Il était une cible de choix pour les artilleurs Asuryanis, toutefois leurs tirs ne firent que l’enrager davantage.
Pendant que les chars volaient en rase-mottes, les Motojets se dirigeaient à toute allure vers l’extrémité de la Vallée Verdoyante. Elles déchaînèrent une telle tempête de shurikens que les Démons tout autant que la végétation furent découpés en lamelles. Suite à nouvel ce assaut, les combats reprirent de plus belle sur Ursulia.
La Tempête de Lames
L’ost de Windriders était habitué au combat à grande vitesse et se préparait à battre en retraite avant d’attaquer de nouveau. Contre des mortels, sa rapidité aurait sans nul doute été suffisante. Toutefois, les Démons de Slaanesh n’étaient pas des adversaires ordinaires. Des Veneuses jaillirent des rangs des Démonettes. Leurs coursiers gracieux se déplaçaient à une vitesse inouïe, et rattrapèrent bon nombre de Motojets avant qu’elles puissent manœuvrer et s’échapper. De longues langues s’enroulèrent autour de pilotes et les désarçonnèrent. Ces cavalières étaient suivies de chars rapides hérissés de lames. Les Windriders tombés au sol et encore groggy furent écharpés, et les lambeaux sanguinolents de leurs corps furent éparpillés sur l’herbe.
Supervisant l’assaut depuis le compartiment passager de son char antigrav, l’Autarque Meliniel envoya alors ses réserves de troupes d’élite. L’ost de guerre du Serpent Lové, qui en langue eldar se nommait Thiellan Aq Saim, se manifesta sur le flanc de la horde démoniaque. Les Serpents débarquèrent des centaines de guerriers Aspects. Toutes les couleurs et toutes les formes martiales de Khaine étaient présentes. Les armures colorées offraient un contraste saisissant avec les teintes pastel de la forêt corrompue.
Vinrent d’abord les Aigles Chasseurs, qui plongèrent des cieux maussades ayant la même couleur que leurs armures, si bien qu’au début, ils ressemblaient à des mirages difficiles à discerner. Leurs harnais lâchèrent des grappes de grenades, qui tombèrent tels des glands des branches d’un chêne secoué par le vent. Les explosifs atterrirent au milieu des Démons de Khorne, et formèrent des boules de plasma qui mutilèrent les corps rouges et les renvoyèrent dans le néant. Les tirs de laser suivirent ce premier assaut, et plusieurs rangs d’ennemis tombèrent. Le temps que les canons démoniaques de Khorne se mettent en position pour riposter, les Aigles Chasseurs étaient déjà partis. Ils cédèrent la place à des Araignées Spectrales qui se matérialisèrent silencieusement derrière les batteries de canons. Elles projetèrent des masses de monofilaments qui découpèrent la chair et l’airain surnaturels.
Au fond de la vallée, la contre-attaque des troupes de Slaanesh se poursuivait. Une coterie de Démonettes agiles chargea un ost de guerriers Aspects en feulant de joie à l’idée de dévorer leurs âmes. La première vague se dirigea vers les Araignées Spectrales qui venaient de se rematérialiser après avoir détruit les canons de Khorne. Les cris des Démons de Slaanesh attirèrent l’attention de leurs victimes. Elles ouvrirent le feu et les réduisirent en morceaux qui, étrangement, n’étaient pas sanguinolents. Néanmoins, cette diversion avait joué son rôle, car une seconde bande de Démonettes s’était approchée discrètement à travers une futaie, et se jeta sur les Araignées Spectrales. Plusieurs Eldars furent démembrés et dispersés aux alentours. Les autres eurent le temps de disparaître en activant leurs générateurs de saut Warp, avant de réapparaître à quelques centaines de mètres de leur position initiale.
Les Démonettes triomphantes furent plongées dans la confusion. Elles se disputèrent, s’accusant mutuellement de leur échec, et furent finalement cueillies par une fusillade déclenchée par des Faucheurs Noirs postés sur les passerelles d’un palais construit dans les arbres. Les missiles Faucheur explosèrent au milieu des Démonettes, avec une telle force qu’ils déracinèrent les énormes champignons à la chair dure comme du diamant derrière lesquels les servantes de Slaanesh tentaient de trouver refuge. Le bruit des détonations venait de cesser lorsqu’un nouvel assaut des Démons de Slaanesh se produisit. Cette fois, il s’agissait d’une nuée de cavalières démoniaques suivie d’escadrons de char hérissés de lames.
Un nouveau groupe de Serpents intervint tandis que Meliniel réagissait en ordonnant une contre-attaque du Fedhein SaiM Zarakhain. Pendant que la cavalerie démoniaque chevauchait à bride abattue, un temple de Vengeurs Lugubres débarqua prestement pour arroser au passage les Veneuses avec une grêle de shurikens. Des milliers de disques monomoléculaires s’abattirent, si bien que même la rapidité surnaturelle des Démonettes ne leur permit pas d’échapper à la mort. Elles furent déchiquetées, de la même façon que les chars avaient auparavant haché menu les Windriders.
Pendant que les Vengeurs Lugubres rechargeaient leurs armes, les quelques Veneuses qui avaient survécu à la tempête de tirs en profitèrent pour charger au corps à corps. Plusieurs Eldars furent empalés par leurs griffes. L’Exarque s’avança pour s’interposer, et encaisser les coups avec son bouclier de force miroitant. Il riposta ensuite avec son épée pour venir à bout de ses adversaires. Les chars qui suivaient les Veneuses jaillirent alors de la brume ectoplasmique, qui était tout ce qui restait de l’avant-garde de cavalières. Les lames sifflaient tandis que les auriges se baissaient sur leurs engins afin de survivre à la prochaine salve de shurikens. Trois Serpents arrivèrent d’un sentier dégagé entre les arbres et ouvrirent leurs écoutilles. Les Dragons de Feu qu’ils transportaient débarquèrent et formèrent une ligne, avant de pointer calmement leurs armes sur les chars de Slaanesh. Leur Exarque prononça un seul mot, et une seconde plus tard, les machines et leurs auriges furent vaporisés dans des nuages d’ichor. Seules quelques gouttes de métal en fusion atteignirent les armures orange des Dragons de Feu.
Entre-temps, un Démon de Slaanesh solitaire esquivait la ligne des Eldars pour s’attaquer aux Faucheurs Noirs qui se trouvaient au-delà. La créature avait bondi de l’épave de son char, s’était cachée sous les frondaisons et avait atteint discrètement les guerriers Aspects équipés d’armes lourdes. Encombrés par leurs lance-missiles et leurs lourdes armures, ils furent des proies faciles pour l’Alluress. Cette dernière en tua quatre avant de recevoir un coup de pied qui la fit chuter en contrebas.
Au niveau de la Porte d’Obsidienne, les Démons de Khorne avaient décapité tous les Rangers Eldars qui avaient pour mission de faire diversion. Un, puis trois, puis huit bandes de Sanguinaires chargèrent alors le long des pentes, en direction du gros de la mêlée. Meliniel avait prévu cette éventualité. Ses guerriers battirent en retraite vers leurs transports. Observant la scène depuis le bord de la vallée, le Masque feula de frustration et ordonna à ses chars de partir traquer les Eldars. Pour que son plan fonctionne, les guerriers de Biel-Tan devaient tenter de lui contester la Porte d’Obsidienne.
Non loin de là, Skarbrand se frayait un chemin à travers une bande de Démonettes, au milieu des flammes de sa propre colère. Il dépassa la Porte d’Obsidienne et regarda avidement le carnage plus loin dans la vallée. Le Masque l’avait attiré en lui affirmant que c’était au pied du portail mystique qu’auraient lieu les combats les plus violents, et il avait mordu à l’hameçon. Pourtant, les Eldars battaient en retraite. Le Masque devait réagir, sinon le Buveur de Sang allait se ruer vers un combat qui l’éloignerait de l’endroit où il était censé se trouver.
Moins d’une minute plus tard, les auriges choisies par le Masque revinrent, et lui rapportaient les corps brisés de trois Sorciers Eldars. Les véhicules s’arrêtèrent et le Masque sauta agilement sur le linteau moussu de la Porte d’Obsidienne. Les auriges jetèrent les cadavres des Psykers au pied de leur maîtresse, comme s’il s’agissait de vulgaires poupées de chiffons. Le Masque poussa un cri de délice, s’empara des pierres-esprits sur les thorax des psykers et les avala comme un gourmet se délecte d’un plat exquis.
Le repas théâtral du Masque ne passa pas inaperçu. Trois escadrons de chars antigrav changèrent de cap et ouvrirent le feu dans sa direction. Le Masque dansait et esquivait tout en riant à gorge déployée.
Skarbrand bondit, ses haches s’abattant dans un arc mortel. Elles heurtèrent le premier char antigrav, qui fut coupé en deux et explosa en une paire de boules de feu qui allèrent se fracasser contre la falaise. Des guerriers Aspects gravement blessés furent expulsés de l’épave et atterrirent dans le feuillage corrompu. Les Démons de Khorne et de Slaanesh se jetèrent sur eux pour les massacrer. Non loin, des Lances de Lumière chargèrent, lâchèrent une salve dévastatrice et battirent en retraite dans le but d’attirer les Démons loin de leurs proies.
Meliniel avait observé avec horreur les âmes des trois Psykers être dévorées au sommet de la Porte d’Obsidienne. La fureur de Khaine coulait dans ses veines, et il lâcha une série d’ordres belliqueux à ses Exarques. Son plan rusé visant à attirer les Démons dans la ligne de mire de ses canons fut soudainement abandonné, car il opta finalement pour une stratégie d’attaque à outrance.
Dans sa précipitation motivée par le désir de se venger du Masque, l’Autarque commanda à son propre escadron de se diriger vers la Porte d’Obsidienne. C’était là que les chefs de l’armée ennemie s’étaient rassemblés : non seulement les Démons de Slaanesh, mais aussi un Buveur de Sang balafré dont l’aura rougeâtre brillait de plus belle à chaque rafale de vent éthérique. Meliniel pensait qu’en concentrant ses forces, il serait en mesure de porter un coup fatal à l’ennemi, tout en vengeant les âmes précieuses qui venaient d’être englouties par l’Assoiffée. Privées de chefs, les hordes de Démons seraient faciles à briser, et peut-être même qu’elles s’entre-tueraient, comme Lathriel l’avait suggéré.
L’Autarque ordonna à ses escadrons Sunstorm de combiner leurs tirs, principalement contre Skarbrand, pendant que les derniers Rangers devaient se charger d’abattre le Masque avec leurs fusils de précision. Ces derniers ouvrirent le feu depuis les collines. Chaque tir de laser trouva sa marque dans la chair du héraut Démonette, mais suite à son sombre festin, le Masque était devenue terriblement résistante.
Les Fire Prisms qui arrivaient pour une nouvelle attaque furent auréolés de lumière tandis que les immenses cristaux de leurs armes complexes se chargeaient en énergie. Des rayons strièrent l’air, si puissants qu’ils auraient pu traverser comme du beurre la coque en moelle spectrale d’un Vaisseau-Monde. Leur précision était tout aussi mortelle. Trois, quatre, puis cinq de ces tirs touchèrent Skarbrand, générant une explosion de lumière si intense qu’elle fut visible à des dizaines de kilomètres à la ronde.
Le Buveur de Sang fut forcé d’arrêter de massacrer les guerriers Aspects, et serra les crocs alors que de plus en plus d’énergie se déversait dans son corps surnaturel. Il étincelait comme un soleil rouge, et poussa un rugissement tonitruant. Sa peau noircit et des rais de lumière en jaillirent. À l’exception du Masque, tous les Démons à proximité avaient été réduits en poussière par cette tempête de feu. Skarbrand tituba, les faisceaux laser suivant le moindre de ses mouvements. La rage du Démon Majeur en fut décuplée, en grande partie par la pensée qu’il puisse être banni alors que le carnage ne faisait que commencer, et avec un tableau de chasse d’à peine cent crânes à son actif. Il regarda aux alentours, cherchant quelque chose sur lequel passer sa colère. Il ne vit que le Masque, qui riait au sommet du linteau de la Porte d’Obsidienne.
Skarbrand frappa de toutes ses forces. Massacre et Carnage tentaient d’atteindre le Masque, mais au dernier moment, la Démonette fit une pirouette et esquiva le coup. Les haches frappèrent le linteau de la Porte d’Obsidienne et le fracassèrent, ainsi que les runes qui étaient censées le protéger.
En un instant, le portail sur la Toile s’ouvrit, dévoilant un tunnel sinueux envahi par une lumière ambrée, et qui s’étirait depuis le flanc de la falaise. Le Masque s’y rua à la tête de ses osts de Démonettes, comme une rivière laiteuse s’immisçant dans une ouverture trop petite pour elle.
Meliniel sentit la panique l’envahir. Sa conviction selon laquelle les Démons ne pourraient pas franchir l’ancien portail sur la Toile s’évanouit, et lui sembla soudain une folie. Alors qu’il regardait d’un air hagard, l’infection démoniaque se répandait dans la Toile et se dirigeait vers le cœur de Biel-Tan. Il sentit le regard psychique de sa sœur Lathriel se poser sur lui, et en profita pour lui envoyer un signal de détresse mental. Biel-Tan était en danger. Ses protecteurs devaient se préparer car dans quelques heures à peine, le Vaisseau-Monde serait attaqué par ses ennemis jurés.
Même si le Masque avait atteint son but, la bataille d’Ursulia continuait de faire rage. Les guerriers Aspects commandés par l’Autarque concentraient leurs efforts aux alentours de la Porte d’Obsidienne. Les ruses qu’ils avaient utilisées pour attirer les Démons loin de cet endroit furent abandonnées. Désormais, ils tentaient de limiter au maximum le nombre d’adversaires qui empruntaient le tunnel vers la Toile. Ils lancèrent des assauts successifs contre Skarbrand, toutefois ce dernier était revigoré par les flammes de sa propre colère. Il déchiquetait les lignes de Vengeurs Lugubres, tandis que les monofilaments brûlaient avant de pouvoir le stopper. À chaque fois que ses haches frappaient, un char antigrav s’écrasait dans une boule de flammes orange.
Néanmoins, Skarbrand n’était plus la principale cible des Eldars, car ceux-ci se concentraient sur les Démons de Slaanesh. Le Démon Majeur avait enfin compris que le Masque s’était joué de lui, et qu’il n’avait aucune intention de se mesurer à lui au cours d’une compétition macabre. C’est ainsi que Skarbrand finit par pénétrer lui aussi dans le tunnel au-delà de la Porte d’Obsidienne, bien décidé à prendre sa revanche.
La tuerie qu’il avait perpétrée avait attiré d’abord des centaines, puis des milliers de Démons vers le cercle de pierres dressées. Une horde de Sanguinaires et de Juggernauts chargea depuis le bas des pentes en direction du portail vers la Toile, précédée par un trio de Démons Majeurs. La pente escarpée ne ralentissait pas les Démons de Khorne, qui ne connaissaient pas la fatigue, et même les attaques de diversion des Windriders, des guerriers Aspects et des chars antigrav furent inefficaces, bien qu’elles abattissent de nombreux ennemis. Les Eldars se retrouvèrent finalement submergés par le nombre.
Le cœur lourd, Meliniel comprit qu’il ne pourrait remporter au mieux qu’une victoire à la Pyrrhus. La Porte d’Obsidienne était toujours aux mains de ses ennemis, et de plus en plus de Démons de Slaanesh profitaient de l’assaut renouvelé des Démons de Khorne pour se glisser par le portail sans être inquiétés.
Il était impensable qu’un tel afflux de Démons continue de pénétrer par la Porte d’Obsidienne, sinon l’incursion du Masque, qui était pour l’heure limitée à quelques centaines de Démons, se transformerait en invasion à grande échelle. Il n’y avait qu’une seule solution. Donnant un ordre concis, l’Autarque commanda à ses escadrons Sunstorm de concentrer leurs tirs contre la Porte d’Obsidienne. Puisque ses runes protectrices avaient été disloquées par la colère de Skarbrand, l’édifice était désormais vulnérable face a des attaques conventionnelles. Les rayons laser frappèrent les uns après les autres. Des dizaines de Démons furent bannis, et les runes restantes se mirent à scintiller alors que la pierre fondait de l’intérieur. Finalement, la Porte d’Obsidienne explosa dans un bruit titanesque.
Les Eldars étaient déjà en train de battre en retraite. Même si la Lame du Vent était chargée de veiller sur les mondes Exodites de la galaxie, la protection de son Vaisseau-Monde était prioritaire.
La Venue des Âmes Anciennes
Sur Biel-Tan, l’air bourdonnait d’une façon menaçante, et tous les esprits du navire gros comme un continent sentaient la soif de tuer monter en eux. L’Avatar s’éveillait, et tous les Biel-Tani le ressentaient. Le message de Meliniel était parvenu par le biais du lien psychique qu’il partageait avec sa sœur Lathriel. Cela avait déclenché une série d’événements qui avaient mis en ébullition tout le Vaisseau-Monde. Quelque part dans la Toile, un ost de Démons de Slaanesh se dirigeait vers Biel-Tan. L’invasion pouvait débuter d’un instant à l’autre, et serait composée aussi bien de serviteurs de l'Assoiffée que de séides du Dieu du Sang.
Même s’il n’existait qu’un seul passage direct vers Ursulia, il y avait aussi des dizaines de tunnels secondaires qui menaient à autant de portails de Biel-Tan. Si le moindre d’entre eux était détruit ou corrompu, cela pourrait faire vaciller la réalité dans tout le Vaisseau-Monde, et condamner son infrastructure à une mort métaphysique, certes lente, mais inéluctable. Ainsi, même si la mesure pouvait paraître drastique, et en dépit des protestations de certains, Lathriel et le conseil des prophètes de Biel-Tan avaient réagi à l’avertissement de Meliniel en scellant grâce à des runes tous les portails vers la Toile du Vaisseau-Monde, à l’exception de celui qui brillait à la poupe du navire. C’était une ouverture immense par laquelle Biel-Tan envoyait ses plus vastes armées aux quatre coins de la galaxie. Un tiers de l’armada du Vaisseau-Monde se tenait prêt à le détruire, au cas où des forces démoniaques trop importantes essaieraient de l’emprunter. Cette perte pourtant gravissime était préférable au risque encouru par Biel-Tan si le portail servait de point d’invasion.
Pourtant, lorsque l’attaque du Masque débuta, elle ne prit pas la forme d’un assaut frontal, car elle fut autrement plus insidieuse. Une bande de Rangers à bord d’un petit vaisseau, qui avait été envoyé dans la Toile par Meliniel pour surveiller les faits et gestes des Démons, reparut enfin par le portail de poupe et se dirigea vers les docks du Vaisseau-Monde. À l’insu des Eldars, le Masque était agrippé au ventre du navire. Un Démon n’a pas besoin de respirer et ne craint pas le froid du vide spatial, et comme les remous de l’Empyrean étaient importants, le Masque pouvait se manifester pendant quelque temps dans l’univers réel. Une fois le cordon de sécurité passé, la Démonette lâcha prise et se laissa glisser dans le vide spatial, à la façon d’un plongeur à la recherche d’un trésor au fond de la mer. Elle trouva rapidement une ouverture dans le Vaisseau-Monde, par lequel elle s’immisça. Ceux qui l’aperçurent furent immédiatement submergés par leurs obsessions les plus noires, et tel un hypnotiseur maléfique, elle s’entoura peu à peu d’une coterie de guerriers dévoyés. Alors que sa danse se poursuivait, les Eldars en transe qui la suivaient commencèrent à arborer des rictus terrifiants. Le Masque les caressait avec ses griffes, préparant des invocations immondes. Les Eldars furent ainsi possédés les uns après les autres par des Démonettes. Leur chair muta et se déchira, jusqu’à ce que les demoiselles du Masque se tiennent à ses côtés.
Lentement mais inexorablement, la danse irrésistible du Masque l’emmenait vers le cœur du Vaisseau-Monde. Aucun Eldar n’était capable de résister à la tentation, car ils portaient tous dans leur cœur une graine corrompue, semblable à celle qui avait donné naissance à Slaanesh des milliers d’années plus tôt. Le Masque atteignit enfin la chambre de fer où l’Avatar dormait quand le Vaisseau-Monde n’était pas en guerre. Cependant, son trône était vide, car l’effigie guerrière était déjà partie au combat, et affrontait Skarbrand en personne. Le Masque eut un rire sibyllin, bondit sur le trône et s’y assit en tailleur, puis entreprit gaiement d’invoquer davantage de ses sœurs.
Un temple de Banshees s’aperçut de la présence de la Démonette dans le sanctuaire. Menés par la prophétesse H’daei, après que les runes lui eurent révélé l’horrible vérité, les guerriers Aspects chargèrent vers le trône. Les premières Banshees commirent l’erreur de croiser le regard du Masque et succombèrent à sa danse en tombant à genoux telles des supplicatrices. Le casque fantôme de H’daei chauffa à blanc sous l’effet des énergies psychiques, si bien qu’elle fut forcée de l’ôter. Elle aussi commit l’erreur de regarder le Masque, et tomba sous son emprise.
La salle de l’Avatar fut emplie par un cri assourdissant. Ce n’était pas celui d’un Démon moqueur, mais un hurlement clair et perçant qui gagna en volume. Une immense guerrière chargea dans la mêlée. Son arme d’hast frappait comme l’éclair et décapitait une Démonette à chaque attaque. Le Masque s’aperçut que ses pouvoirs n’avaient aucun effet contre la nouvelle venue et se précipita vers elle en agitant ses pinces. L’arme d’hast empala la Démonette contre le plafond en fer du temple. Jain Zar, appelée par ses alliés Harlequins pour intercepter le Masque, arrivait enfin.
Cependant, il émit trop tard. En enfonçant ses griffes gravées de runes dans les racines en moelle spectrale du trône de l’Avatar, le Masque avait infecté le circuit d’infinité de Biel-Tan. Ses demoiselles avaient pu alors s’y infiltrer sans difficulté. Le Vaisseau-Monde était au bord du désastre.
Au huitième coup, la porte runique vers Biel-Tan céda dans un retour de flammes psychiques. L’explosion fut si violente qu’elle perça le cœur de Lathriel. Un énorme Buveur de Sang couturé de cicatrices jaillit du brasier et piétina la mosaïque du sol. Le psychoplastique se fendit sur une demi-lieue de long dans toutes les directions. L’Exilé était entré à la tête d’une centaine de Démons écarlates.
Lathriel sentit son sang s’échauffé, mais força sa colère à rester en retrait. ++Maintenant++, dit-elle dans un message psychique. Six temples de guerriers Aspects sortirent de leurs positions, derrière une forêt de piliers. L’avant-garde démoniaque disparut sous une grêle de lasers, de shurikens et de rayons à fusion. Le géant rouge fut touché une dizaine de fois, toutefois ces attaques semblèrent le rendre encore plus imposant et enragé. Il se dirigea vers les Guerriers Scorpions dont les mandibules crachaient la mort. Ses haches les fauchèrent comme des fétus de paille. Des sons semblables aux tintements d’une cloche résonnèrent derrière Lathriel. Elle se retourna et vit l’Avatar de Biel-Tan qui courait vers le Démon Majeur en laissant un sillage de braises derrière lui. Il projeta la lance Suin Daellae avec une force terrifiante. Simultanément, Lathriel envoya un trait d’énergie psychique contre le Démon. Son attaque parvint à peine à le désorienter légèrement. Le Buveur de Sang regarda autour de lui en rugissant. La force de sa colère et de son mépris fit tomber la prophétesse à la renverse. Au même instant, il fut touché à la poitrine par la Mort Hurlante. Sa chair démoniaque grésilla là où la lance la pénétra. |
N’importe quelle créature de chair et de sang aurait péri sur le champ, pourtant le Démon Majeur poursuivit le combat. Ses haches mordaient des Banshees et des Guerriers Scorpions qui affrontaient les Démons mineurs. L’Avatar de Khaine se rapprocha. Il détourna un coup de hache avec la paume de la main et délivra un uppercut avec son gantelet dégoulinant de sang. Il entra ensuite dans la garde de son adversaire, esquiva un autre coup de hache, puis saisit la hampe de la lance et souleva le Buveur de Sang. Le poids du Démon Majeur le fit glisser le long de la hampe et il se retrouva empalé. Malgré tout, il ne mourut pas, et frappa sauvagement l’Avatar avec ses haches enflammées. Chaque coup entaillait profondément le corps métallique. Des flammes de rage pure entouraient les deux géants, au point de les masquer totalement. Les Démons mineurs qui se regroupaient autour de leur maître pour un baroud d’honneur furent calcinés, de même que les guerriers Aspects qui ne furent pas assez lestes pour s’éloigner.
Lathriel courut aussi vite qu’elle le pouvait vers la mêlée. Luttant contre les ondes de chaleur, elle projeta trois runes de protection vers le portail brisé, dans le tunnel de la Toile infesté de Démons. Les symboles psychiques se mirent en place comme s’ils étaient attirés par des aimants invisibles, et le portail fut scellé en un instant, stoppant net l’invasion. Avant de commencer le rituel qui lui permettrait de refermer définitivement l’ouverture, Lathriel jeta un regard vers les duellistes. Elle espéra que l’Avatar allait triomphe, sinon tout serait perdu. Cependant, elle ne vit qu’un brasier ardent, et une mare de métal fondu. |
La Fin d'un Vaisseau-Monde
ADDENDA INQUISITORIA MISSIVE ASTRALE <cf.INFESTATION> La dimension labyrinthique décrite par l’Inquisiteur Czevak est bien réelle ! Elle prend la forme de tunnels interstitiels entre l’espace réel et l’Immaterium. Dans le secteur Donorian, où un grand nombre de ces galeries convergent, une vaste zone de ce réseau hyperspatial a été éventrée par la tempête Warp nommée Rage Inchaote. Cela a eu pour conséquence une invasion de prédateurs géants appelés Bête Donoriennes, qui ont ravagé Donoria Prime au cours des derniers mois. Une contre-attaque a été lancée par l’Astra Militarum depuis le monde d’entraînement Tradian Minoris. Six régiments complets de la Garde Impériale (le 331e Dragons Vitriens, le 838e au 841e Preneurs de Crânes de Kanaka, le 122e Chem-Dogs de Savlar) ont été envoyés à Donoria Prime pour exterminer l’infestation et sceller la brèche d’une façon ou d’une autre. La haut commandement du secteur était conscient du coût en vies de cette opération, mais ne s’attendait pas à la destruction des six régiments. Lorsque le 198e Cadian des Shrinestormers est arrivé en renforts sur Donoria Prime, la planète entière était déserte. Il n’y avait aucun signe de vie animale, et les chars impériaux n’avaient plus d’équipage. Le même destin est arrivé à Donoria Tertius et à Donoria Septimus. Les trois planètes ont été vidées de toute forme de vie douée d’intelligence. Aucun n’indice n’a été découvert quant à la disparition de ces régiments, en dehors d’une unique carte à jouer arborant un serpent d’acier, fixée à la tête du gouverneur planétaire à l’aide d’un stylet. |
La partie la plus essentielle d’un Vaisseau-Monde Eldar est son circuit d’infinité, le cœur de moelle spectrale qui forme un squelette au cœur de la structure du navire, et qui sert de sanctuaire aux âmes des habitants morts. Le circuit d’infinité est protégé par des créatures psychocrystallines capables de se téléporter et nommées araignées Warp. Toutefois, l’infection provoquée par le Masque était si grave qu’elles furent incapables de la vaincre. Le Vaisseau-Monde se mit à gémir comme un animal blessé tandis que l’ost de Démons dématérialisé dans le circuit d’infinité dévorait les âmes des morts.
Alors que des combats éclataient entre les envahisseurs démoniaques et les défenseurs Eldars, des fleuves de sang coulèrent entre les spires et les colonnades, sous les dômes du navire. Grâce à l’avertissement de Meliniel et à la contre-attaque menée par le Seigneur Phénix Jain Zar, les Démons de Khorne et de Slaanesh furent circonscrits, puis bannis dans le Warp efficacement. Cependant, il n’y eut aucun cri de victoire, aucune célébration alors que les zones du Vaisseau-Monde étaient nettoyées les unes après les autres. Ce dernier avait été infecté, et les conséquences seraient terribles.
Ce fut au cours de cette tragédie qu’Yvraine et ses compagnons arrivèrent. Menés par le Solitaire à travers un portail vers la Toile que Lathriel était sur le point de sceller définitivement, ils furent escortés par des Lances de Lumière devant le conseil du Vaisseau-Monde. Certes, ces nouveaux venus étaient des Eldars, mais certains d’entre eux portaient des armures de Commorragh. Suite à l’invasion démoniaque, les Biel-Tani étaient nerveux à l’idée d’accueillir des ennemis potentiels au sein de leurs domaines.
Ce n’est que lorsqu’un groupe de Démonettes jaillit des ruines d’un théâtre proche que la trame du destin fut révélée. Les guerriers de Lathriel tuèrent les premières Démonettes qui apparurent, mais les suivantes étaient rapides et se ruèrent vers Yvraine. Beaucoup de Biel-Tani tombèrent sous les coups de griffes avant que la Dame des Ombres étende les bras et se mette à luire sous l’effet du pouvoir des âmes. Elle émit un hoquet de douleur, et exhala une brume grise qui entoura toutes les Démonettes de Slaanesh. Il y eut alors un hurlement horrible, comme si un millier de fantômes exprimaient simultanément leur détresse. Lorsque la bruine se dissipa, les Démonettes avaient complètement disparu.
Les pourparlers qui s’ensuivirent furent animés. Lathriel se souvenait vaguement avoir vu Yvraine danser pendant son enfance, et fut époustouflée de la reconnaître après tant d’années. Pourtant, sa présence était perturbante, notamment à cause de son regard et de sa façon de parler. Néanmoins, la prophétesse n’eut pas le temps de la questionner, cal le vaisseau-Monde était au bord de la catastrophe. Suivant Lathriel, Yvraine et son groupe se rendirent au Dôme des Visions pour prendre part en urgence à un concile. Le débat faisait déjà rage quand ils arrivèrent. Les Spirites faisaient de leur mieux pour sauver des âmes du circuit d’infinité et les installer dans des constructs en moelle spectrale. Cependant, ils étaient peu nombreux, tandis que les Démons grouillaient pour la curée. Alors que les Spirites œuvraient, le squelette de moelle spectrale du Vaisseau-Monde commençait à devenir gris et à se désagréger. Si cela continuait, tout le Vaisseau-Monde finirait par disparaître. Une solution drastique devait être trouvée.
Quand Yvraine prit la parole, cela provoqua de vives réactions parmi la haute société du Vaisseau-Monde. Qui était-elle pour oser revenir sans avoir été convoquée, et après avoir renoncé aux voies des Vaisseaux-Mondes ? Pourquoi était-elle accompagnée de meurtriers originaires de la Cité Crépusculaire qui affirmaient tout savoir du destin de leur race . Les Autarques n’avaient pas de temps à perdre avec Yvraine en dépit de ce qu’elle avait à dire. Toutefois, lorsque Lathriel parla en sa faveur, tout le monde l’écouta. La prophétesse déclara qu’Yvraine l’errante avait peut-être un rôle à jouer. Elle avait banni les Démons de Slaanesh avec une facilité déconcertante. Il était possible qu’elle fût l’Ouvreuse de la Septième Voie décrite dans la prophétie de Kysaduras, la némésis de l’Assoiffée, celle qui devait tirer les fils du destin à l’aube du Rhana Dandra. Le silence qui suivit ces paroles fut lourd et anxieux, et chargé de haine, de peur, de doute et d’espoir. Rares étaient ceux présents qui acceptaient de croire que leur Vaisseau-Monde mourant pouvait encore se raccrocher au fil du destin qui mènerait à une nouvelle apothéose.
C’est alors qu’arriva Jain Zar, dont la lame dégoulinait encore d’ichor démoniaque. Ses bottes claquèrent sur le sol en moelle spectrale, et elle se plaça au centre de l’assemblée avant de déclarer d’un ton autoritaire : « Elle parle avec de nombreuses voix. Écoutez-la, car elle va nous sauver. »
La Fracture de Biel-Tan
Flanquée par des statues de héros mythologiques et accompagnée par le Visarque, Yvraine parla longuement à l’assemblée. Au début, sa voix ressemblait à celle d’une mère prodiguant de sages conseils. Au fur et à mesure, elle gagna en passion, et s’apparenta à celle d’une jeune femme emplie de force et de détermination. Lorsqu’elle fut coupée par un des doyens, qui doutait de ses propos, sa voix changea de nouveau, et devint celle d’une sorcière impétueuse qui n’avait pas de temps à perdre avec les propos des imbéciles. Son charisme était indéniable, même s’il était différent celui de Jain Zar, dont la simple présence stoïque pouvait éveiller les flammes guerrières de n’importe quel Eldar. Il était plutôt semblable à la tempête qui gronde, et qui annonce les pires destructions.
Les Eldars de Biel-Tan n’avaient qu’une seule solution pour survivre à la malédiction du Masque. Tous les Biel-Tani, qu’ils fussent morts ou vifs, risquaient l’annihilation en seulement quelques heures. Yvraine affirma qu’elle était l’émissaire d’une divinité qui n’était jamais née totalement, mais dont le pouvoir éclipsait celui des étoiles. S’ils le voulaient, elle pouvait les guider vers un futur meilleur. Toute l’assemblée avait déjà entendu auparavant le nom qu’elle prononça, mais lorsque ce nom franchit ses lèvres, chaque Eldar sentit l’angoisse lui glacer le cœur.
Ynnead s’était réveillé.
Les murmures qui montèrent suite à la déclaration d’Yvraine cessèrent rapidement lorsque Jain Zar s’avança et toisa l’assemblée. Yvraine attendit que même ses plus virulents détracteurs se taisent avant de reprendre. Elle évoqua le pouvoir grandissant de ce dieu, et de la révolution à venir. Il fallait aider Ynnead à se manifester totalement pour vaincre Slaanesh à jamais. Pour cela, tous les Eldars de la galaxie devaient mourir, afin que cette divinité puisse rassembler suffisamment de forces. Beaucoup acquiescèrent malgré la folie de cette théorie, car elle correspondait au mythe que tous connaissaient. Cependant, cela impliquait que le feu de la race des Eldars devait s’éteindre, ce qui était impensable. Yvraine proposa la solution de la Septième Voie, qui permettait de cheminer entre les ténèbres et la lumière.
Elle décrivit la vision qu’elle avait eue dans le Crucibael, et son épiphanie. La conscience d’Ynnead pouvait être concentrée dans cinq ossements enchantés éparpillés dans les domaines des Eldars. Ils prenaient la forme d’épées confiées à leur espèce par les dieux des temps anciens. La légende disait que ces armes avaient été forgées par Vaul à partir d’un doigt de la main sectionnée de la déesse Morai-Heg. Ensemble, ces lames avaient le pouvoir de réveiller un dieu. Si elles étaient maniées par des guerriers élus, elles étaient en mesure d’édicter les pouvoirs de la vie et de la mort. Ce faisant, Yvraine brandit Kha-vir, l’Épée du Chagrin. Un pouvoir à la fois clair et sombre émanait de sa lame. Yvraine révéla qu’il existait quatre autres épées similaires, dont deux se trouvaient dans les ruines de mondes déchus.
Si ces cinq armes étaient brandies et rougies ensemble, Ynnead pourrait se manifester dans l’espace réel et précipiter la chute de Slaanesh. Parmi ces Épées Déchues, Asu-var, l’Épée des Hurlements Silencieux, se trouvait au cœur de Biel-Tan. Yvraine comptait s’en emparer et mettre fin aux tourments du Vaisseau-Monde.
Le grondement de colère qui parcourut l’assemblée fut assourdissant. L’Exarque Taralath Sombrecœur s’élança en brandissant sa lame, mais il fut jeté à terre par un coup que Jain Zar porta avec le plat de sa lame. D’autres s’avancèrent d’un air menaçant. Yvraine resta calme tandis que le Visarque s’interposait pour la défendre.
L’heure des palabres était terminée. L’émissaire d’Ynnead ferma les yeux, canalisa sa lumière intérieure dans le gantelet rouge qui formait sa main gauche, puis elle l’enfonça dans la moelle spectrale infectée du cœur du Vaisseau-Monde.
Un instant fatidique passa. Il y eut un bruit de tonnerre tandis qu’Yvraine retirait Asu-var de la moelle spectrale de Biel-Tan. Elle le fit avec une telle facilité qu’il semblait que le sol s’était liquéfié au contact de son gantelet. Elle brandit la lame. Celle-ci dégoulinait d’énergie psychique, et brûlait avec une telle intensité que les spectateurs furent forcés de détourner le regard. Yvraine hurla de triomphe et de douleur comme des énergies délirantes l’envahissaient. Elle ne lâcha pas l’épée, car cela aurait condamné sa race à l’extinction. Cette lame était une arme autant qu’une clé, une des cinq nécessaires pour ouvrir la porte vers l’ultime espoir des Eldars, dissimulé des éons auparavant par Morai-Heg l’omnisciente, au cas où la voie vers l’outre-monde devait être un jour ouverte.
Le Vaisseau-Monde se mit à trembler comme s’il était en proie à un séisme. Les piliers se fissurèrent puis s’effondrèrent dans des nuages de poussière, ensevelissant des forêts cristallines. |
Un million d’âmes libérées brusquement du circuit d’infinité hurlèrent, tandis que les Démons de Slaanesh affamés piaulaient d’une joie extatique. Les spasmes du Vaisseau-Monde s’intensifièrent.
« Lève-toi ! » s’écria Yvraine. « Lève-toi et marche ! » Une créature terrible jaillit de la moelle spectrale mutilée de Biel-Tan. Recouverte de matière ectoplasmique, cette monstruosité était formée d’ossements tordus et d’âmes scintillantes, mais elle avait en elle quelque chose de magnifique. L’assemblée de Biel-Tani était abasourdie. Les Eldars chancelèrent et tombèrent à genoux, saisissant dans leurs mains les débris de leur foyer adoré, alors même qu’ils noircissaient et se désagrégeaient sous leurs yeux. Yvraine resta debout. Elle étincelait, puis s’éleva finalement dans les airs en poussant un cri de joie féroce. L’apparition qui lui faisait face prononça un mot, et le néant lui répondit.
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Chapitre II : PLONGÉE DANS LE PASSÉ
« Ces Ynnari sont une malédiction sur notre race brisée, une parodie de nos ancêtres Aeldari. Comment pourrions-nous revivre cette époque, unis sous le faux éclat d’une suprématie perdue, alors que les folies de cet âge furent si profondes qu’elles balafrèrent l’univers ? Nous avons ouvert une voie qui nous éloigne pour de bon de la damnation. Ceux qui voudraient nous faire rebrousser chemin sur ordre d’un fanatique, d’un muet et d’un Démon sont si bercés d’illusions qu’ils devraient être livrés à l’étreinte macabre du dieu fantôme qu’ils servent. »
- - Meliniel, Autarque de Biel-Tan.
Les Gardiens sur le Seuil
Le cataclysme qu’Yvraine avait apporté à Biel-Tan ne fut pas soudain, comme du cristal qui se brise, mais plus une éruption suivie d’une propagation, comme un rocher jeté dans un lac. En exploitant la mort du circuit d’infinité, les nouveaux arrivants avaient donné naissance à l’Yncarne, l’avatar d’Ynnead. Ce faisant, Yvraine avait signalé l’éveil du Dieu Qui Murmure, et ouvert une nouvelle voie pour l’espèce eldar entière. Avec tant d’âmes défuntes concentrées au même endroit, et ses serviteurs réunis, Ynnead disposait de plusieurs éléments nécessaires à la manifestation de son pouvoir. Yvraine avait attiré sur Biel-Tan la conscience qu’Eldrad Ulthran n’avait pas réussi à invoquer sur Coheria, mais à un coût exorbitant. Sur des années-lumière dans toutes les directions, le Warp bouillonnait, une centaine de vortex psychiques tourbillonnant à la fois parmi les étoiles.
La création du Yncarne fut violente, et engendra un désastre immédiat à distance. La structure de moelle spectrale de Biel-Tan était déjà en train de pourrir suite à l’invasion démoniaque ; éprouvée jusque dans son noyau lorsqu’Yvraine avait récupéré l’épée cachée, elle se rompit. Des sections entières du Vaisseau-Monde se flétrirent et se détachèrent de sa masse centrale comme des pétales tombant d’une fleur gelée. Le Vaisseau-Monde, bâti à partir d’anciens navires eldars pour devenir une arche de salut, perdait ses constituants pour révéler une mégastructure vivante, secouée de spasmes sismiques.
La lente et désastreuse fragmentation ne fut pas confinée au domaine physique. Le circuit d’infinité fut soudain saturé d’énergie de mort, et les Démons qui l’avaient envahi furent bannis, mis hors de portée par le trauma de la manifestation de l’Yncarne. Les âmes ancestrales des Eldars qui avaient jadis vécu dans ces limbes hors du temps se trouvèrent acculées, des ténèbres éternelles d’un côté, et la faim dévorante de Slaanesh de l’autre.
Le bouleversement fut si profond que beaucoup d’Eldars pensaient à se venger. Les esprits belliqueux des habitants de Biel-tan étaient submergés d’émotions, et le choc initial fit bientôt place à de l’hostilité ouverte. Pour certains, le trépas du Vaisseau-Monde était attribué à une invasion de Commorrites. Pour d’autres, le spectre qui était apparu parmi eux était souillé par le Chaos. Il s’agissait peut-être même d’un Démon de Slaanesh cruellement déguisé.
Sans la puissance et la beauté morbide de l’être redoutable qui lévitait au-dessus d’elle, Yvraine aurait sûrement été tuée une dizaine de fois. Son avant-garde de Commorrites lutta plusieurs fois pour sa survie, mais une fois qu’Yvraine eût confié l’Épée des Cris Aphones au Visarque, nul ne se dressa plus face à eux pour longtemps. Des poches de résistances éclatèrent où la confusion dépassa la solidarité. Seuls les messages psychiques de leurs Grands Prophètes empêchèrent le spectre de la discorde de consumer les Biel-Tani. Les Psycharques œuvraient plus dur que jamais à sauver leur foyer, et les esprits de leurs ancêtres qui y résidaient. Pendant ce temps, le vide résonnait d’un rire lointain. Le Vaisseau-Monde était infecté ; les Biel-Tani luttaient désormais pour leur survie.
Sur ordre de Lathriel, chaque Eldar sur la Voie du Prophète prit les pierres des Jardins Spectraux et les pressa contre la moelle spectrale à nue, invitant les esprits perdus des morts à s’abriter dans les gemmes psychoréactives. Une fois le transfert achevé, les Psycharques les confièrent à des coursiers sur Motojet qui les apportèrent en hâte aux halls fantômes de Biel-Tan. Là, les Spirites les incorporèrent aux constructs de soldats fantômes afin de sauver les âmes eldars, car ces carapaces de moelle spectrale étaient séparées du circuit d’infinité infecté. Les Eldars de ce fier Vaisseau-Monde assimilaient la création de ces Guerriers Fantômes à de la nécromancie, mais ils n’avaient guère le choix s’ils voulaient préserver l’héritage de leurs ancêtres. L’installation des esprits acculés dans des carapaces bipèdes fut une démonstration de l’art des âmes à grande échelle. Alors même que le Vaisseau-Monde se disloquait, les halls fantômes se vidaient jusqu’à ce que des milliers de constructs occupassent les paysages fracturés de Biel-Tan.
Un étrange phénomène se produisait lorsqu’Yvraine et ses alliés traversaient les épaves et les ruines. Sur son ordre, Bloodbrides et Incubes se glissaient et bondissaient jusqu’aux zones du circuit d’infinité que ne pouvaient atteindre les Psycharques. Ils pressaient des pierres gardiennes vides aux endroits où des feux follets signalaient la présence d’âmes agglutinées dans la moelle spectrale rompue. Même sans la maîtrise psychique d’un Spirites, les lueurs chatoyantes des esprits défunts semblaient s’écouler du circuit d’infinité directement dans les pierres. Certains des Biel-Tani qui observèrent cet acte le qualifièrent de vol d’âmes, et pointèrent leurs armes pour abattre ceux qu’ils percevaient tels des parasites en leur sein. À chaque fois, un Harlequin interposa sa lame, secouant la tête en guise d’avertissement. Ils étaient les Ynnari, disaient-ils, les fidèles Exhumés d’Ynnead, des Eldars en telle phase avec la mort que leurs ancêtres se joignaient volontiers à eux.
Malgré tout, les chanteurs de moelle de Biel-Tan pratiquaient leur art étrange. Certains resculptaient la moelle spectrale des nefs-temples et des vaisseaux-dômes qui s’étaient détachés du Vaisseau-Monde. D’autres poussaient des chants réparateurs qui faisaient repousser lentement le squelette noirci de Biel-Tan, l’ombre cadavérique de ce qu’il était, mais un puissant Vaisseau-Monde néanmoins. Il faudrait des décennies, voire des siècles pour rebâtir toute la nef. Ses voiles éthériques avaient été dévorées et à sa poupe, les portails sur la Toile pulsaient s’ils souffraient. Les tempêtes Warp faisaient rage en halo autour du Vaisseau-Monde, tandis que l’onde de choc psychique de la naissance de l’Yncarne balayait l’univers.
Yvraine sentit un doute l’étreindre pour la première fois depuis des mois, sa foi vacilla. La trame de la réalité se déchirait autour des Ynnari, qui ne pouvaient plus s’échapper du Vaisseau-Monde, ni par l’espace matériel, ni en empruntant la dimension labyrinthique.
Ce ne furent pas des agents de Biel-Tan qui leur épargnèrent le marasme de la stase, pas même ceux d’Ynnead, mais ceux d’Ulthwé, le Vaisseau-Monde des Damnés.
Les ondes de l’éveil d’Ynnead se répandaient à travers le cosmos. Pour ceux possédant le don de double vue, il s’agissait d’une coloration du ciel impossible à ignorer. Même les plus humbles devins virent de sombres présages. À travers la galaxie, les osselets tombaient en formant la rune à la croix et au creuset de Ynnead, les yeux luisaient de flammes blanches lors de rêves prophétiques, et des griffes luisaient dans des bassins de divination.
Pour les Psykers experts de la race des Eldars, les effets étaient bien plus marqués. Beaucoup firent des cauchemars éveillés, hurlant de peur et serrant leur cœur tandis que des visions de revenants brûlaient l’œil de leur esprit. Outre celui de Biel-Tan, le circuit d’infinité de chaque Vaisseau-Monde brûlait à blanc, cette renaissance spirituelle offrant à chaque nef une poussée d’accélération. Le peuple Eldar se tourna vers ses prophètes en quête d’explications. Ceux qui avaient maîtrisé la vague de peur et d’espoir exhortèrent leur peuple à méditer sur la nature de cette torsion dans l’écheveau du destin.
Partout où les prophètes projetaient leurs esprits, la trame du destin se délitait et prenait une nouvelle forme. Chaque fil de causalité menait toujours aux ténèbres de la Rhana Dandra, comme depuis la naissance du Grand Ennemi, mais ces ténèbres, semblait-il, étaient plus distantes.
Le conseil des Psycharques du Vaisseau-Monde Ulthwé était le plus doué de tous. Il perçut distinctement la révélation qu’Yvraine avait orchestrée sur Biel-Tan. Le plus vénérable d’entre les Grands Prophètes, Eldrad Ulthran, demanda qu’Yvraine et ses Exhumés soient conduits à Ulthwé aussi vite que possible. En public, les membres du conseil des Psycharques approuvèrent sa décision. En revanche, tandis que le haut prophète était plongé dans ses méditations, ils firent de subtiles allusions sur le fait qu’Eldrad avait outrepassé ses prérogatives, et que ses actions étaient divergentes.
Les plus anciens d’Ulthwé exécutèrent un grand rituel runique sur ordre d’Eldrad en utilisant le lien spirituel entre les prophètes de cristal qui peuplaient le grand dôme, et ceux de l’équivalent récemment dévasté de Biel-Tan. Le rituel était risqué, en dépit d’un lien hyperspatial étroit entre les deux Vaisseaux-Mondes. Bien que les tempêtes Warp faisant rage près d’Ulthwé et Biel-Tan pussent en théorie être canalisées en un tunnel à travers le Warp reliant les deux nefs, le procédé pouvait bien consumer les âmes de ceux qui le traverseraient - ainsi que celles de ceux qui avaient conduit le rituel.
Utiliser les prophètes de cristal comme conduit d’énergie psychique au lieu de les vénérer en tant qu’ancêtres était une grosse entorse à la culture des Vaisseaux-Mondes. Cela était pire que de piéger un esprit dans une gemme gardienne et le transférer dans un construct fantôme. Les Grands Prophètes qui avaient entrepris la transformation en psychocristal propre à leur caste, avant de rejoindre le circuit d’infinité de leur Vaisseau-Monde, avaient mérité leur repos plus encore que les autres.
Priver les prophètes défunts de ce lien, et les utiliser comme instrument de sorcellerie était en vérité un crime haïssable, qu’Eldrad Ulthran avait déjà commis à travers ses mandataires Harlequins, sur chaque Vaisseau-Monde de la galaxie. Telle était l’urgence que le Grand Prophète ne fit montre d’aucune compassion en récidivant.
Les prophètes risquaient gros si le rituel échouait, car le moindre manque de concentration pouvait faire ouvrir le portail sur l’Empyrean, et permettre aux Démons d’envahir Ulthwé comme ce fut le cas avec Biel-Tan. Si les Psycharques d’Ulthwé n’avaient pas eu confiance en leur suprématie psychique, et n’avaient pas eu la force mentale pour soutenir cette confiance, ils auraient bien pu faire basculer le Vaisseau-Monde entier dans le Warp. Or leurs compétences se montrèrent à la hauteur de la tâche.
Eldrad Ulthran conduisit le rituel, et un portail Warp instable s’ouvrit sous le Dôme de des Prophètes de Cristal d’Ulthwé. À des années-lumière de là, Yvraine marcha, comme hébétée, jusqu’à l’équivalent brisé se trouvant sur Biel-Tan. Ce qu’elle trouva dans ce dôme était invisible à l’œil nu, mais l’Yncarne y fut attiré comme un tronc dérivant vers un tourbillon. Les Exhumés, car tel était le nom adopté par les serviteurs d’Yvraine, franchirent le portail et disparurent la surface de Biel-Tan.
Le Conseils des Psycharques s’était réuni sous l’illustre dôme d’Ulthwé à la demande d’Eldrad. Les robes constellées de runes flottaient dans les chauds zéphyrs qui caressaient les branches d’arbres en moelle spectrale au loin. Une des merveilles des Vaisseaux-Mondes, le Dôme des Prophètes de Cristal était doté d’escaliers en colimaçon s’élevaient sans mener nulle part. Toutes les marches sauf les plus haute accueillaient la dépouille fossilisée d’un ancien prophète. Au sommet de ces escaliers se trouvaient les plus éminents Psycharques du Vaisseau-Monde, chantant la Geste d’Ulthanash.
Le chant s’interrompit. « Nous y sommes, » parla Eldrad du haut de l’escalier le plus élevé, « prêts à entrer dans une nouvelle ère pour Ulthwé et la race Aeldari. » « Aeldari, » lâcha Yemshon Il’foire. « Ce nom n’a plus lieu d’être depuis la Chute. » « Jusqu’à présent, » soutint Eldrad. « Nos futurs invités l’ont exhumé pour une bonne raison. » Plusieurs Psycharques levèrent subrepticement un sourcil, mais nul ne dit mot. |
« Nous invoquons le pont des étoiles, » poursuivit Eldrad, son célèbre sceptre décrivant la rune de la Foulée Infinie. « Cette nuit nous en avons besoin, quel qu’en soit le prix. »
« En effet, » intervint Aralie Coppermane, la voix étrange, nous n’avons pas le choix. » Les Grands Prophètes et Psycharques assemblés au sommet des escaliers du dôme chantèrent une fois encore, en jetant des runes de marche stellaire et de traversée des tempêtes dans l’air. Elle s’élevèrent, luisantes, et décrivirent un large cercle au milieu des Psycharques. Des éclats de lumière tournèrent de plus en plus vite autour des symboles, tandis que la brise se mua en bourrasque, puis en ouragan. La périphérie de la tempête Warp à l’extérieur du Vaisseau-Monde prit la forme d’une tornade, dont la pointe était à la fois immobile et s’étirait à des années-lumière à travers l’éther. À l’issue du rituel, trois des meilleurs Grands Prophètes d’Ulthwé s’étaient changés en cristal des pieds à la tête. En leur cœur brillait un portail, et à l’intérieur, la destinée incarnée. |
Le vortex hurlant que traversèrent les Exhumés était l’incarnation du Chaos. Ce passage était si féroce et maléfique qu’il aurait anéanti la santé mentale un être inférieur en quelques instants. Or les Exhumés se trouvèrent à flotter sans entrave à travers un tunnel dans le Warp, comme portés par un courant sous-marin. À leur tête se trouvait l’Yncarne, un être revenant si antagonique au Chaos que la matière de l’Empyrean ne pouvait le ralentir. Même les Dieux du Chaos regardaient pas directement la créature ; l’essence d’Ynnead incarnée était à tel point leur anathème qu'ils ne pouvaient la percevoir, même sachant où regarder.
Le passage de l’avatar provoqua des remous dans le Warp. Les ondes de son déplacement firent dévier les vaisseaux impériaux de plusieurs années-lumière, éventrant leurs champs de Geller et formant la lumière de l’Astronomican. Des milliers de vies humaines furent perdues chaque seconde lors du passage des Exhumés. Ce fut un prix que les Eldars auraient volontiers payé un million de fois s’il leur avait donné la moindre chance de faire basculer la lutte en défaveur de leur némésis, Slaanesh.
Aux côtés d’Yvraine avançaient ses alliés Commorrites, mais aussi un détachement de guerriers de Biel-Tan. Alors que le Vaisseau-Monde tombait en morceaux autour d’elle, certains aient fini par croire ses affirmations de rajeunissement et de salut. Dans toutes les strates de la société edlar, certains avaient rejeté les leurs en faveur des disciples d’Ynnead, se déclarant Exhumés.
Parmi ceux qui se convertirent à cause d’Yvraine se trouvaient en premier lieu des Vengeurs Lugubres de la Lame Argenté, temple duquel le Visarque, dans sa vie passée avait appris Yvraine la Voie du Guerrier. Presque soixante guerriers à haut cimier avaient abandonné leurs couleurs traditionnelles et en quelques minutes de concentration, avaient altéré les psycho matériaux de leurs armures Aspect pour adopter la livrée royale d’Yvraine et l’écarlate profond des plates du Visarque à son côté.
Les Vengeurs Lugubres n’étaient pas seuls. Biel-Tan était très peuplé, et l’apparition de l’avatar du Dieu des Morts avait crédibilisé Yvraine quant à l’avènement d’un nouvel ordre. Aux côtés des Vengeurs Lugubres vinrent des guerriers de tous les Aspects, des Gardiens citoyens dans l’uniforme de leur Vaisseau-Monde, des pilotes d’escadrons de chars antigrav entiers et des rangs successifs de Guerriers Fantômes silencieux. Ces quasi-spectres avaient reçu une véritable chance de vivre de nouveau, car leur transfert depuis le circuit d’infinité brisé de Biel-Tan avait été plus complet que ce que n’importe quel Spirites ou pierre gardienne aurait pu accomplir.
Yvraine ne déçut pas ses suivants. Tous ceux qui avaient embrassé la cause des Ynnari l’avaient écouté parler de l’espoir qu’elle apportait à son espèce, et beaucoup de Biel-Tani d’influence furent bientôt conquis corps et âme. Pendant trop longtemps, les Eldars, fussent-ils des Vaisseaux-Mondes, Exodites, Harlequins, errants ou Commorrites, s’étaient cachés dans les ténèbres, craignant d’attirer l’attention de l’Assoiffée. Avoir une force parmi eux qui pourrait reprendre le combat contre Slaanesh, même si elle était aussi perturbante que l’Yncarne, était une libération, un appel à l’action qu’aucun Aeldari n’avait ressenti depuis dix mille ans.
La Piste des Prophètes
Le tunnel à travers la réalité appelé pont des étoiles bâillait et convulsait. A travers ce passage secret vinrent les Ynnari, favoris d’Ynnead. La combinaison des pouvoirs runiques du Conseil des Psycharques et la psyché de l’Yncarne avaient conduit les Exhumés en sûreté jusqu’aux havres cristallins d’Ulthwé, les rapprochant des deux Épées Déchues qu’Yvraine cherchait à arracher à la carcasse de l’empire eldar. Bien que leur venue eût coûté la vie de plusieurs Grands Prophètes et rendu certains Ynnari à demi fous de peur, le calme qui descendait sur le Dôme des Prophètes de Cristal après leur passage était un baume pour l’âme.
Le premier à émerger fut l’Yncarne, sifflant et murmurant avec les voix des morts. Le conseil d’Ulthwé sentit sur lui le froid manteau de la terreur à cette vue. La créature avançait tel un fantôme, lent et éthérique, l’énergie d’outre-monde tourbillonnant autour d’elle. Il était mince et androgyne, mais bien plus grand et redoutable que n’importe quel autre guerrier eldar, sauf peut-être l’avatar du Dieu à la Main Sanglante. Là où la statue vivante de Khaela Mensha était une créature de feu, de fer et de sang, l’Yncarne se manifestant tel un froid qui était à la fois vivifiant et choquant, comme un déluge d’eau glacée.
Dans le sillage du revenant arrivèrent Yvraine et le Visarque, guidant les Exhumés qui se rassemblaient sous les escaliers de cristal. Les heaumes à cimier des Psycharques d’Ulthwé se tournèrent pour toiser les nouveaux venus avec le regard fixe de rapaces. L’atmosphère était électrique comme si l’histoire s’écrivait. Au soulagement de tous ceux qui étaient à proximité, l’Yncarne dériva du centre du dôme jusqu’à sa périphérie, en regardant chaque prophète de cristal comme s’il traquait quelque chose.
Yvraine parla la première, remerciant formellement les Psycharques du Vaisseau-Monde Ulthwé pour leur aide. Traverser la galaxie en quelques heures était un exploit digne des Aeldaris au sommet de leur puissance. C’était un statut de nouveau à leur portée, à présent qu’Ynnead leur avait dévoilé le Septième Chemin, la voie entre les ténèbres et la lumière. Tout d’abord, ils devaient veiller à ce que les conduits du Dieu des Morts soient réunis. Les Épées Déchues, une fois rassemblées, pouvaient agir comme point focal pour l’ascension d’Ynnead, et restaurer le cycle de la vie et de la mort. Le Visarque déclara que deux de ces lames étaient enfouies au cœur de l’ancien empire des Eldars. Elles étaient quelque part sur le monde déchu appelé Belial IV, entre l’espace réel et le Warp, dans l’Œil de la Terreur. Ulthwé ayant surveillé cette tempête depuis si longtemps, elle était un choix d’alliés logique.
Eldrad Ulthran hochait la tête avec satisfaction tandis que les Éclaireurs du Septième Chemin argumentaient.
« Vous demandez l’impossible, » se moqua Yemshon Il’foire du Conseil des Psycharques, secouant la tête avant de coiffer son heaume spectral. « Restez tranquille, Dame des Ombres, et gardez votre peuple silencieux. Votre présence est désirée, bien sûr, mais nous avons des choses du passé à gérer avant celles du futur. » « Il n’est rien de plus important que cela, » intervient Eldrad Ulthran, la voix grave. « Je l’ai vu. » « Vous en avez vu beaucoup, » répondit une de ses pairs, Aralie Coppermane, enfilant son propre heaume avec cérémonie. « Et pourtant au final, il semble que vous soyez aveugle. » « Je vois plus loin que d’autres, et j’agis en conséquence, » s’indigna Eldrad, « ce qui explique pourquoi les vôtres se tiennent ici à présent, au seuil d’une victoire durable contre l’Assoiffée. » « Une affirmation impressionnante, » dit Yemshon en inclinant sa tête casquée. « Mais une victoire à quel prix ? La destruction du Vaisseau-Monde Biel-Tan ? La perte de milliers d’ancêtres eldars ? La dissolution de l’harmonie elle-même ? » « Il se trouvera ceux dont la vision est occultée par la peur » trancha Eldrad. « A présent, mobilisons les Gardiens Noirs. » « Non, » protesta Aralie. Le mot résonna à travers le Dôme des Prophètes de Cristal comme une pierre tombale qui s’écroule. « Eldrad Ulthran, » dit Hijeroc l’Aveugle depuis l’escalier opposé, |
« Nous, le Conseil des Psycharques d’Ulthanesh Shelwé, vous accusons du détournement de notre destinée mutuelle. Avec l’aide du Chagrin Nocturne, qui existe hors de notre juridiction culturelle, vous avez dérobé les prophètes de cristal. » À ces mots, Hijeroc montra une marche où l’absence de Grands Prophètes fossilisé était telle une pièce manquante dans une mosaïque sacrée. « Après avoir emporté les vestiges de ces héros du passé, vous avez formé un lien hyperspatial avec les sables de cristal de Coheria, mettant ainsi en péril chaque âme eldar défunte sur tous les Vaisseaux-Mondes. »
« Slaanesh s’apprêtait à porter un coup fatal, » protesta Eldrad. « Sans l’intervention des stupides guerriers de l’Humanité… » « Et ils sont intervenus, et votre rituel s’est écroulé comme le château d’ossements de Khaine, » fit Yemshon, « en risquant des milliards d’âmes, et donnant presque la chance à l'Assoiffée de consumer tous ceux des Vaisseaux-Mondes qui sont morts depuis la Chute. » « En cherchant à repousser la Rhana Dandra, » reprocha Hijeroc l’Aveugle, « vous avez très bien pu hâter son commencement. » « Votre comportement est intolérable, » dit Aralie. « Ce n’est pas à vous seul de décider du sort de notre espèce, ni de vous immiscer dans les affaires des dieux. Vous n’êtes pas un dieu, Eldrad Ulthran. Vous êtes à peine un Eldar, car vous auriez dû rejoindre les rangs de vos frères de cristal il y a longtemps. Votre temps est révolu. Telle est la volonté du Conseil des Psycharques que vous soyez exilé dans l’espace. » À ces mots, Eldrad trébucha comme s’il avait été frappé. « Agissez une fois encore au nom de la race eldar, » conclut Yemshon, « et vous serez mis à mort. » |
Le jugement du Conseil des Psycharques vit Eldrad s’effondrer au sol, sa grandeur évaporée dans la chaleur de leur ire. Le moindre de ses dix mille ans passés pesait plus lourd sur ses épaules, et des os, déjà en cristal à moitié, étaient tels des lames dentelées dans son corps frêle. Voir éradiquée son influence sur le sort de son espèce était pire que la mort pour le vieux Grand Prophète, car il n’avait lutté pour rien d’autre depuis la Chute.
Yvraine parla avec éloquence pour défendre Eldrad, mais fut attaquée verbalement en retour. Qui était-elle pour demander l’aide du Conseil des Psycharques, et requérir de la suivre jusqu’à la forteresse du Grand Ennemi ? Par son action directe, l’allié martial d’Ulthwé, l’antique et fier Vaisseau-Monde Biel-Tan, avait été réduit à une ombre squelettique au bord de l’extinction. Qu’est ce qui épargnerait à Ulthwé de subir le même sort ? N’était-il pas suffisant de surveiller l’Œil de la Terreur, d’entraver les armées souillées par le Chaos qui en émergeaient et d’envoyer ses soldats-citoyens contre les pires terreurs de l’univers ?
Plusieurs séides Biel-Tani d’Yvraine réagirent vivement à l’hostilité des prophètes d’Ulthwé. Ils la défendirent avec passion, expliquant qu’en dépit des souffrances de leur vaisseau-monde après l’apothéose de l’Yncarne, et même s’ils ne pourraient jamais pardonner Yvraine, ils pensaient que les ravages pouvaient être réparés. Or, une bataille plus importante que la vie elle-même était en train de se livrer.
Le moyen d’échapper à la malédiction de Slaanesh donnait un mince espoir à Biel-Tan de réussir sa quête visant à restaurer la gloire passée des Eldars. Cette croisade avait été jugée futile par beaucoup de Biel-Tani présents, sans jamais l’admettre, car ce faire était impensable dans leur culture militante. Or il y avait à présent une réelle chance de succès. Leurs arguments persuasifs, ne convainquirent pas les Psycharques les plus anciens. Lorsque les Grands Prophètes d’Ulthwé demandèrent s’ils parlaient au nom de leur Vaisseau-Monde ou d’une faction dissidente, les Exhumés Biel-Tani ne purent répondre. Ce simple fait en disait long.
Le débat fit rage, les allusions habituelles aux sempiternels mythes et aux mœurs ouvrirent la voie aux insultes voilées et aux accès de colère. Le Conseil des Psycharques d’Ulthwé pensait qu’Eldrad, Yvraine et leurs fidèles révolutionnaires représentaient les pires influences perturbatrices. Bien qu’ils aient renoué les faisceaux de futurs possibles, ils l’avaient fait à un tel coût et de façon si téméraire qu’on ne pouvait leur faire confiance.
Ce fut pendant cette acerbe assertion que Yemshon Il’foire s’arrêta soudain en pleine tirade, la chaleur de sa colère irradiant encore lorsqu’il jeta un regard vers les anciens du conseil. Une impulsion psychique traversa les rangs du Conseil des Psycharques, l’urgence du message imposant une pause au débat. D’autres visiteurs étaient tout juste arrivés sur Ulthwé, en empruntant le portail sur la Toile à la poupe du Vaisseau-Monde. Il s’agissait d’une délégation d’un autre Vaisseau-Monde. Un corps diplomatique était déjà en provenance, se dirigeant vers le Dôme des Prophètes de Cristal en toute hâte.
Lorsque les guerriers au heaume allongé entrèrent dans le dôme et s’approchèrent du conseil de guerre impromptu qui y faisait rage, un sourire se dessina à nouveau sur les traits d’Eldrad Ulthran. Ces mystérieux guerriers arboraient les couleurs de l’illustre Vaisseau-Monde Altansar.
Dans la société des Vaisseaux-Mondes, les Eldars d’Altansar ont longtemps vécu dans l’ombre de la méfiance. Ils font l’objet de beaucoup de spéculations. Ils parlent seulement en murmurant, et ne retirent jamais leur heaume, quelle que soit la situation.
Durant l’ère calamiteuse de la Chute, Altansar se trouvait en périphérie de l’Œil de la Terreur, la balafre cosmique résultant de la naissance de Slaanesh. Tout d’abord, la population se crut à l’abri, toutefois cette immense tempête finit par attirer le Vaisseau-Monde et sa flotte au bout de quelques siècles.
Le seul Eldar qui échappa au sort d’Altansar fut le Seigneur Phénix Maugan Ra, premier des Faucheurs Noirs. Vers la fin du 41e Millénaire, ce guerrier légendaire partit en quête de son Vaisseau-Monde dans les tréfonds de l’Œil. Après une série d’épreuves, il parvint à localiser Altansar et le guider à travers la démence de cette tempête éthérique. Il réémergea par la Porte Cadiane, ramenant les Altansari dans la dimension matérielle après leur incarcération interminable.
Depuis ce jour, les Eldars d’Altansar ont utilisé le symbole de la Chaîne Brisée pour représenter leur Vaisseau-Monde. Libérés de leur prison, ils ont lutté sans relâche contre les forces de l’Assoiffée. En dépit de leur loyauté prouvée envers la cause eldar, le mystère de la survie des Altansari à dix mille ans d’emprisonnement au cœur du Chaos s’est avéré tenace.
Les Altansari ne sont pas les bienvenus sur beaucoup de Vaisseaux-Mondes, voire interdits sur certains, de crainte qu’ils ne soient pas autant en phase qu’ils le prétendent avec la culture des Vaisseaux-Mondes et qu’ils servent Slaanesh en secret, malgré l’évidence du contraire. La question n’a de cesse d’être posée : n’ont-ils pas été souillés par leur épreuve, changés par les Puissances de la Ruine qui errent à volonté au sein de l’Œil ?
Ces questions sont habituellement mises de côté, mais l’apparition d’une délégation d’Altansar sur Ulthwé à ce moment critique les fit poindre plus que d’ordinaire. Des protestations fusèrent immédiatement. Pour alimenter les feux de la controverse, les Altansari se ralliaient à Yvraine. Le Psycharque Guentilian Onyxblade s’avança pour représenter Altansar. Son murmure se perdait tout d’abord parmi les voix des Psycharques d’Ulthwé, mais lorsqu’elle déverrouilla son heaume dans un chassement d’air, le silence se fit à nouveau à l’intérieur du dôme. Seul l’Yncarne était audible, son sifflement énervant se muant de la sibilante du serpent à quelque chose proche d’un soupir de soulagement.
Grande pour une Eldar, Guentilian était troublante. Sa peau était si pâle et cireuse qu’ont l’aurait cru morte depuis longtemps. Beaucoup d’Eldars présents ne pouvaient se défaire de l’idée qu’ils regardaient un cadavre bien conservé. Le Psycharque tenait sa longue lame sorcière noire comme s’il s’agissait du bâton de son office, preuve qu’en dépit de sa lignée oublié elle arpentait la Voie de l’Eldar. À son côté se trouvait une des rares créatures félines appelées Gyrinx, des familiers psychiques qui renforcent la puissance mentale et psychique de ceux qu’ils choisissent comme maîtres.
L’atmosphère du dôme s’alourdit quand le Psycharque gravit un escalier de cristal en colimaçon pour parler.
« L’Autarque Orensae vous a accueilli après tout, » concéda Yemshon en hochant la tête. « Les portes des halls d’Asuryan s’ouvrent, et purifient ceux qui entrent. »
« Il en est qui traitent Ulthwé de damnée, » coupa Zuar’lias le Sage, en s’adressant au fidèle membre de son conseil, « juste car nous sommes proches de l’Œil. Nous serions les pires hypocrites si nous méprisions ceux d’Altansar pour les mêmes raisons. » « Et nous vous en remercions, » dit Guentilian. De façon troublante, son murmure fut repris par ses semblables. « Vous venez prendre la défense d’Eldrad Ulthran et des Ynnari, » avertit Yemshon. « Avez-vous tout intérêt à le faire ? » « Nous devons retourner dans l’Œil » dit le Psycharque d’Altansar, son Gyrinx rôdant à ses pieds. « La lame dont parle la Dame des Ombres doit être prise à nos ennemis si nous voulons que triomphe notre espèce. Je sais dans quelle cité elle repose. Nous avons échoué une fois, et n’avons échappé à l’Assoiffée que grâce au suaire d’Ynnead. Nous ne pouvons échouer à nouveau. » À ces mots, plusieurs Altansari parurent mal à l’aise, en regardant la contusion de l’Œil de la Terreur parmi les étoiles à travers le dôme transparent. « Je ne peux pas demander aux miens de retourner dans l’Œil, » admit Guentilian, « ni rester sans rien faire. J’offre ainsi mon âme à Yvraine, et à Ynnead. » Levant son épée, elle s’ouvrit la gorge. Un sang noir jaillit comme elle rendait son dernier souffle. |
Yvraine se précipita et agrippa le corps de Guentilian. La prêtresse des Ynnari sembla respirer profondément tandis que le Psycharque s’effondrait, pâle et sans vie. Puis, le Gyrinx se mit à ronronner et, reconnaissant sa maîtresse, se frotta contre les jambes d’Yvraine.
« Ainsi devons-nous agir, » dit Yvraine, en regardant au loin. « Nous devons partir et récupérer les Épées Déchues sur Belial IV, de peur que les servantes de Slaanesh ne nous devancent. » « S’accrocher à cette lueur d’espoir est trop risqué, » objecta Yemshon. Il leva un doigt, et trois Psycharques d’Ulthwé tirèrent leurs propres lames sorcières. « Nous ne pouvons vous permettre de tenir le destin de tant d’entre nous entre vos mains. Le sage ne place pas son espoir dans une vie à naître. Ce voyage ne serait-il pas mieux mené par les guerriers du Vaisseau-Monde Il-Kaithe ? Ils prétendent connaître les mondes déchus mieux que quiconque. » « Nul ne connaît l’Œil mieux que les Altansari," dit Yvraine. « Ils ont navigué dans ses remous pendant des milliers d’années, évitant les griffes des Démons chaque jour. Le sacrifice de Guentilian ne sera pas vain. » Les murmures d’assentiment des Altansari montèrent derrière elle en un chœur sifflant. « Non, » dit Yemshon. Il leva ses bras, et des vents éthériques balayèrent le dôme, renversant plusieurs Eldars d’Altansar. « Vous et vos séides devrez rester jusqu’à ce que le Conseil des Psycharques ait décidé de votre sort. » L’ouragan psychique s’intensifia, et le tumulte envahit le Vaisseau-Monde. |
Les négociations courtoises virèrent en menaces voilées, puis en hostilités lorsque les Psykers d’Ulthwé levèrent des barrières de force et jetèrent des malédictions débilitantes sur les Ynnari. Le Visarque lutta contre la tempête psychique, sa lame levée comme il se dirigeait vers Yemshon. L’Yncarne apparut, une tornade d’esprits scintillants tourbillonnant autour de lui tandis qu’il se ruait vers les Psycharques qui chantaient.
Puis un clairon sonna. Les Harlequins du Chagrin Nocturne émergèrent un par un de derrière les plus sombres des statues de cristal, chacun adoptant une posture de parade. Avec eux se trouvait un Grand Prophète âgé vêtu d’une robe noire épurée. Le Conseil des Psycharques regarda avec émerveillement ; il s’agissait de Kysaduras l’Anachorète, le plus sage des voyants d’Ulthwé. Il était sorti de sa captivité volontaire pour parler à son peuple.
L’ouragan psychique qui faisait rage sous le dôme reflua, calmé en un instant lorsque Kysaduras leva son bâton au-dessus de sa tête. Il parla dans le croassement d’un baryton, une voix qu’il n’avait plus utilisée depuis des décennies, mais qui portait un poids immense. Ils se tenaient tous à un point culminant du destin, dit-il. Que les Psycharques l’aient souhaité ou non, les Ynnari devaient partir - ou un autre Vaisseau-Monde allait mourir sans espoir de renaître. À l’unisson, le Conseil des Psycharques se détourna. Les Ynnari, leurs rangs comptant non seulement des Biel-Tapi, mais aussi quelques courageux Altansari, les Harlequins du Chagrin Nocturne, et un groupe de sympathisants d’Ulthwé, se dirigèrent vers les portes principales du dôme. Avec eux avançait l’Yncarne, le sol se fissurant sur son passage. Eldrad Ulthran suivait la créature, courbé sous le poids du blâme de ses pairs. Kysaduras, usant de son bâton comme appui, l’accompagna.
Avant la fin du cycle diurne du Vaisseau-Monde, les Ynnari partirent pour l’Œil de la Terreur. Leur voyage était des plus périlleux, car il les menait au lieu de naissance de Slaanesh. Nul ne regarda en arrière.
Un Empire en Cendres
Lorsque le cataclysme de la naissance de Slaanesh déchiqueta la civilisation eldar, Belial IV fut transformé de paradis en purgatoire. Elle devint une désolation de ruines hantées, de grottes infestées de Démons et de richesses se ternissant sous le poids des éons. Depuis, ses désolations sont constellées de précieuses gemmes gardiennes. |
Le voyage dans les tréfonds de l’Œil de la Terreur fut tendu. Le tourbillon violacé de cette immense tempête Warp possédait la présence d’un être vivant, d’un prédateur. Le poids et la concentration de son mal tiraient sur l’âme comme un trou noir dévore la lumière. Sans la perspective de l’ascension d’Ynnead pour inspirer une froide détermination aux pilotes d’Ulthwé transportant les Ynnari dans l’Œil, les Eldars aux commandes auraient vite tourné les talons. Ils avancèrent, chaque âme résolue à vivre aussi pleinement que les Aeldari de jadis au lieu de détourner le regard ou de se cacher comme leurs semblables.
Les vaisseaux gracieux se déplacèrent sous le couvert de gigantesques holo-champs, contournant les zones de guerre de la Porte Cadiane et se risquant dans le chevauchement instable entre l’espace réel et le Warp. L’expédition eldar évita des tornades hérissées de crocs, fuit des soleils fantômes affamés, surmonta des grêles de crânes ensanglantés et négocia des tsunamis d’énergie Warp. Ils ne flanchèrent pas. Chaque fois que la détermination des Ynnari vacillait face à ces épreuves, Yvraine intervenait pour maintenir le cap. Ce fut cette bravoure qui caractériserait les Ynnari au fil des mois à venir, renforçant leur réputation en tant que force du changement d’un bout à l’autre de la galaxie.
L’onde de choc que les Ynnari avaient propagée à travers les civilisations engendrait déjà des répercussions à leur tour. La transformation d’Yvraine dans le Crucibael avait déclenché l’invasion et la disjonction de Commorragh, et Asdrubael Vect en personne avait abandonné la Cité Crépusculaire en conséquence. En dépit de dégâts cataclysmiques sur son règne, le seigneur suprême avait déjà mis en place des centaines d’intrigues qui réaffirmeraient son emprise sur la société Eldar Noire. En fait, Vect était avant tout préoccupé par les dangers métaphysiques inhérents à l’avènement des Ynnari.
Juste après qu’Yvraine se fût évadée de la Cité Crépusculaire, une série d’événements vit un ost d’alliés Hémoncules se rendre aux plus dangereuses extrémités de la Toile, et à partir de là, vers la même planète hantée de Démons que les Exhumés cherchaient à atteindre. Il s’agissait de bien des façons d’un sombre retour au foyer. Parmi les fondateurs des coteries se trouvaient ces mêmes Eldars qui avaient mené à la Chute.
Après un enchaînement d’épreuves démentes et surréalistes, l’expédition Ynnari atteignit sa destination avec la majeure partie de ses effectifs. Certains soutenaient que c’était l’esprit de Guentilian qui avait guidé les Ynnari à travers l’enfer de l’Œil de la Terreur, leur permettant d’atteindre leur objectif. D’autres prétendaient que cela était dû à la présence de l’Yncarne. C’eût pu même être Ynnead lui-même qui avait retenu les marées infernales ; c’est d’ailleurs ce qu’Yvraine avait affirmé depuis qu’ils avaient dépassé la Porte Cadiane.
<INTERVOX MECHANICUS> SOURCE : CHŒUR AETHERIUM, CHORISTO : DANTILH OCTUS <AUTORÉFÉRENCE ORDONNÉE> <WAAAGH! BADRUKK> Une flotte de navires orks grossiers mais puissants a traversé le secteur Alavatus, dévastant le monde industriel de Naiad Tronglomeros en se dirigeant vers Catachan. Les Xenolexicographes ont analysé les glyphes de métal martelé sur les flancs du navire amiral ork, un vaisseau géant hérissé de canons et possédant une puissance de bordée dépassant celle d’une Barge de Bataille de l’Adeptus Astartes. Il s’agissait du croiseur Kitu appelé “Eul Kro’noir”, navire amiral du pirate notoire Captain Badrukk. Lorsque la flotte ork dépassa Naiad Tronglomeros, des centaines d’appareils d’invasion opérèrent un assaut orbital soudain sur les îles argentées de la lune. Une guerre éreintante s’ensuivit, où les Peaux-Vertes déchaînèrent une puissance de feu jusque-là dissimulée sur les convocations Skitarii locales. Après avoir massacré la population, les orks dérobèrent chaque vaisseau et canon pour les ajouter à leur propre flotte. Des investigations complémentaires ont montré que la trajectoire de la flotte de Badrukk correspond à celle d’une baleine du vide blessée, noire de peau et déversant des flots de viscères dans le vide spatial. L’énorme baleine, dix fois plus grosse que le Eul Kro’noir, semblait se diriger droit sur Catachan. Jusqu’ici, aucun message astropathique n’a traversé la tempête Warp Bas Infernia pour avertir de cette macrofaune, ni de l’approche de la flotte ork, qui a tant grandi qu’elle forme le cœur d’une Waaagh! à l’échelle du système. Il est peu probable que cette région aveugle de l’espace puisse être évacuée avant d’être attaquée par la baleine blessée, la Waaagh! ork, voire les deux à la fois. |
Bien que plusieurs Exhumés aient péri pendant les attaques des Démons ou qu’ils aient perdu la raison en chemin, le noyau de l’expédition Ynnari était intact lorsque le convoi arriva en orbite autour de l’orbe géant et laiteux de Belial IV.
Lorsqu’un ost de chars antigravs d’Ulthwé transporta les Ynnari à travers l’atmosphère du monde déchu jusqu’à sa surface, il n’y eut pas une âme en vue. Des dunes de poussière blanche s’étaient accumulées partout, le résidu d’une civilisation autrefois toute-puissance mêlé aux restes de son peuple. La surface jonchée de ruines possédait l’atmosphère inhospitalière d’une planète qui n’avait pas été foulée par une créature vivante depuis des siècles. Occasionnellement, les Ynnari percevaient des mouvements furtifs en périphérie de leur champ de vision, comme s’ils étaient épiés par une chose à demi-réelle.
Tandis que le contingent d’Ulthwé se scindait en groupes de recherche, les Harlequins du Chagrin Nocturne se dispersèrent également, en exécutant des mouvements de furtivité exagérée. Leur progression fut si rapide que plusieurs Ynnari se demandèrent s’ils n’avaient pas déjà visité ces contrées funestes. Ce fut leur Prophète des Ombres qui rapporta leurs soupçons à Yvraine, en tissant un fin voile de ténèbres derrière elle. Ils n’étaient pas seuls parmi les ruines. Les créatures qui les poursuivaient n’étaient ni des fantômes, ni des Démons, mais des êtres de chair et de sang.
À peine le Prophète des Ombres s’était-il confié à Yvraine qu’une ménagerie d’aberrations chargea tête baissée depuis les ruines proches. Elles se ruaient sur les Ynnari, affamées et concentrées sur leur proie en dépit du toile d’illusions du Psyker Harlequin. À leur tête avançaient des créatures ans yeux appelées Ur-Ghuls, dont les narines frétillaient tandis qu’ils bondissaient sur leurs quatre membres vers leurs proies. À leur suite se précipitaient toutes sortes d’anatomies contrefaites, des tas de muscles à l’échine constellée d’injecteurs de stéroïdes ou des bossus aux membres tronqués terminés par des fouets, qui couraient pieds nus à la vitesse d’araignées en chasse. Parmi eux flottaient des Hémoncules envoyés en mission d’assassinat par Urien Rakarth.
Les yeux grands ouverts, les Hémoncules souriaient tels des crânes écorchés, certains se léchant les lèvres en anticipant les expériences horribles qu’ils pourraient faire sur les Ynnari. Ce fut comme si les plus vils éléments de la société Aeldari avaient été ressuscités parmi leurs domaines éparpillés, et avaient adopté une forme reflétant leur personnalité - non celle de parangons athlétiques et élégants, mais de monstres avides, dont la laideur révélait les âmes parasites sous-jacentes. Les Ynnari étaient assaillis par les architectes clandestins de la Chute, tel l’écho d’un passé brûlant venu étouffer le plus brillant espoir pour le futur.
Sous un clair de lune argenté éclairant la surface parcheminée de Belial IV, la plainte d’Aeldari défunts depuis des éons résonnait parmi les ruines, tandis que les incarnations les plus sombres de leur ancienne société s’abattaient sur ses éventuels sauveurs. Même les Bloodbrides et les Incubes dans les rangs des Ynnari n’avaient aucune illusion quant au sort que leur réservaient leurs frères Commorrites, et plongeaient en mêlée aux côtés des Gardiens Noirs d’Ulthwé et des Harlequins du Chagrin Nocturne.
Les lames rasoirs des mercenaires et des gladiateurs tranchaient les membres musculeux, fendaient les Ur-Ghuls bondissant et décapitaient les monstruosités masquées dès qu’elles s’approchaient. De façon incroyable, beaucoup de séides des Hémoncules poursuivaient le combat malgré de très graves blessures, leurs moignons déversant des fluides innommables tandis qu’ils attaquaient avec frénésie. Leur violence aveugle était rendue dangereuse par leur force surnaturelle. Plus d’un Ynnari fut jeté à travers les désolations, gisant dans la poussière telle une poupée désarticulée.
Au centre, un groupe de machines de douleur Talos dérivait vers Yvraine en faisant claquer griffes et tentacules. Les catapultes shuriken des Vengeurs Lugubres Biel-Tani blessèrent des centaines de fois les machines de chair, un ichor noir coulant de leurs carapaces blindées. Or les impulsions de machines parasites Cronos à proximité stimulaient les Talos.
Une double rangée de Guerriers Fantômes traversa la poussière pour intercepter les machines avant qu’elles atteignent Yvraine, leurs élégantes épées luisant en tranchant à tout va. Les constructs luttaient avec force et courage, mais les machines de douleur étaient des chefs-œuvre de l’art des modeleurs de chair. Un par un, les Guerriers Fantômes étaient saisis par des griffes cliquetantes et démembrés. Le Visarque apparut alors, virevoltant parmi les machines de douleur, esquivant, frappant et passant à la suivante en évitant les fléaux et autres injecteurs d’ichor avec une grâce troublante. Il ne resta bientôt que des carapaces dérivantes qui déversaient un sang immonde.
Le plus vieux des Hémoncules, la bouche tordue d’agacement en voyant ses jouets démembrés, tira de ses robes une boîte gravée de runes et l’ouvrit. Une lueur maladive jaillit comme des djinns captifs hurlaient en se rapprochant du Visarque. Sa longue lame tourbillonna, or il ne s’agissait pas d’ennemis physiques pouvant être entaillés. Ils le soulevèrent et l’écartelèrent. Des grincements et claquement retentirent tandis que le guerrier était lentement amené au point de rupture.
Un instant avant que cède le Visarque, l’Yncarne jaillit du bourbier des machines de douleur mortes en rugissant de triomphe. À mains nues, l’avatar réduisit les djinns en résidus d’ectoplasmes. Il plia un doigt souple et le maître Hémoncule des djinns se flétrit jusqu’à être réduit à un tas de poussière. Loin de là, à Commorragh, les échantillons de l’anatomie du maître de la coterie qui étaient conservés pour le faire renaître se changèrent en poussière au même instant. Il n’existait aucune protection contre la mort dispensée par l’Yncarne, car il était l’incarnation du Dieu de la Mort.
Assistant au trépas de leur confrère, et redoutant qu’il ait connu une mort véritable dispensée de la part d’un Démon, le reste des Hémoncules se replia. Nul prix ne valait de risquer leur inestimable et précieusement entretenue immortalité. En quelques minutes, ils étaient tous partis, leurs serviteurs disparaissant avec eux.
Les Ynnari eurent tout juste le temps de se regrouper parmi les ruines qu’un hululement strident fendit l’air.
La Traque des Âmes de Belial IV
ADDENDA ESOTERICA RÉSURRECTION DE DONNÉES <réf. CRISTALLISATION Une toile fractale de structures cristallines a émergé de la tempête Warp baptisée Ghoulsmaw, centrée au sein du système Methystos à une demi-année-lumière de ce qui fut le système prohibé de Prosperine (Eradicatus/Perdita Extremis). Bien que considéré en premier lieu comme une curiosité de faible échelon par les astrovoyants Methystans locaux, ces structures, qui ont défié jusque-là toute tentative de classification ou de dénombrement - se répandent à un rythme alarmant sur les voies spatiales du secteur. Plusieurs incursions d’investigation ont été lancées par les membres de l’Adeptus Astra Telepathica, afin de vérifier les rumeurs selon lesquelles il se trouvait des êtres se mouvant dans les structures - aussi perturbant que cela puisse sembler. Jusqu’ici, aucune n’est revenue. Chaque vaisseau qui s’est approché à portée d’augure a été victime d’une soudaine invasion démoniaque de créatures seulement connues sous le nom d’“Horreurs” (voir Cultes Prosperins). La frégate auspex Penetrating Stare fut retrouvée sans survivant, des crânes de capture vidéo contenant des séquences analysées par l’Ordo Malleus. Plusieurs corridors étaient remplis de structures cristallines, telles de fines toiles de verre utra dense, qui retenaient prisonnier l’équipage et les passagers. Ce même phénomène a été observé dans les vaisseaux fantômes du secteur. Ils correspondent aux cas de possession démoniaque majeure et aux contre-attaques consécutives, y compris la mort des huit grandes ruches de Barrowdon Theta, où chaque couloir, conduit et cellule de logement était remplie de toile cristalline complexe. |
Les cris à mi-distance étaient agressifs. Il ne s’agissait pas de hurlements de douleur, mais de joie sauvage, les cris de tueurs déments en chasse. Ce n’était ni des mortels, ni les jouets des Hémoncules, mais des entités du Warp attirées par les miasmes psychiques du carnage. Chaque Ynnari qui les entendit sentit poindre l’anxiété ; il s’agissait de Démons de Slaanesh, nés de la catastrophe qui avait dévasté ce lieu. Tomber entre leurs griffes signifiait une éternité de tourments et être consumé par l’Assoiffée. Les Eldars se rassuraient en pensant que ce sort funeste leur serait épargné grâce à Yvraine et ses Ynnari, mais une peur ancestrale leur serrait le cœur.
Gagnant une position surélevée, les Bloodbrides d’Yvraine scrutèrent les ténèbres. À travers la brume d’ivoire avançait une armée de chars aux roues lamées, qui faisait jaillir des étincelles en traversant les ruines. Dans son sillage suivait une nuée de Démonettes au pas de course.
La vérité transit les Eldars comme la bise ; il s’agissait d’une chasse, dont ils étaient le gibier. Yvraine pesta. Les âmes qu’elle gardait à l’abri en elle l’avaient aidée à trouver la trace de l’épée qu’elle recherchait ; un des artéfacts était proche, mais pas assez.
Peu avant l’embuscade des Hémoncules, Yvraine avait trouvé une traînée de pierres gardiennes mortes, les gemmes de psychocristal appelée Larmes d’Isha. Hautement prisées en tant que havre préservant de la soif intarissable de Slaanesh, elles furent engendrées par le cisaillement entre la réalité et le Warp pendant la Chute. Les pierres qu’Yvraine avait découvertes ne scintillaient pas de potentiel psychique comme celles récupérées par les Rangers ou les Chevaliers Fantômes des Vaisseaux-Mondes. À la place elles irradiaient une pesante absence de vie. Yvraine avait suivi la piste de ces pierres et découvert qu’elles menaient à une autre, puis une autre encore. Il s’agissait d’un signe, l’indice qu’un des artefacts morbides qu’elle recherchait était proche. Or, avec les Démons de Slaanesh qui la traquaient, elle n’avait pas le temps de fouiller.
Elle pensa que c’était peut-être précisément la raison pour laquelle les Démons avaient choisi ce moment pour attaquer, comme s’ils avaient attendu que les Hémoncules et les Ynnari se soient saignés à blanc avant de s’en prendre aux survivants.
Son Gyrinx légué grondant à ses pieds, Yvraine tira une fois encore son Épée Déchue et s’orienta vers l’ost démoniaque qui chargeait. Elle ne fut pas surprise de voir le Visarque mener les Eldars en première ligne, fondant à travers les ruines afin que les attelages de Slaanesh ne puissent pas l’attaquer sans se réduire en pièces. Leurs alliés d’Ulthwé n’étaient qu’à quelques milles de distance, car bien qu’ils se fussent détachés de l’avant-garde d’Yvraine en adoptant une formation de recherche afin de trouver l’Épée Déchue, Eldrad Ulthran avait insisté pour qu’une force de frappe reste proche des Ynnari à tout instant en cas d’embuscade.
Alors qu’elle voyait les chars se ruer en désordre sur ses flancs, Yvraine espérait que les siens puissent atteindre leurs alliés d’Ulthwé. Les Slaaneshi se déplaçaient le long de ce qui avait été les plus larges boulevards de la capitale du monde déchu, rebondissant et dérapant à tombeau ouvert pour encercler leur proie. À leur suite arrivaient des Démonettes sur des montures bipèdes au long cou, et de repoussantes bêtes à queue de scorpion donc les pinces claquaient telles des percussions accompagnant le chœur des cris de ravissement.
En quelques minutes, les Ynnari furent pris au piège. Ils avaient été habilement conduits dans un cul-de-sac, une grande doline devant eux et des Démons de Slaanesh de chaque côté. Yvraine et son avant-garde échangèrent des regards lugubres et se préparèrent à un dernier carré. En s’approchant, les Eldars virent que la doline n’avait rien de naturel, mais qu’il s’agissait d’un gosier géant qui palpitait et grondait de faim.
Les hordes de Démonettes arrivèrent à portée des armes shuriken Ynnari, et un blizzard de disques rasoirs se leva. Ce baiser cinglant ne fit que plonger davantage les Slaaneshi dans une frénésie extatique. Les agiles Démons approchaient, affamés et sifflants. Bondissant prestement à travers les ruines arrivèrent alors les Harlequins du Chagrin Nocturne, plongeant et effectuant des sauts périlleux. Ils se joignirent au combat contre les Démons avec une telle grâce et une telle vitesse que l’escarmouche sembla chorégraphiée, or le choc entre Démons et Harlequins était l’un des thèmes récurrents de leurs danses.
Yvraine se trouvait où les Eldars tombaient en plus grand nombre, et absorbait leurs âmes tandis que leurs corps mourraient. Les fantômes étaient rendus visibles par la semi-réalité de l’Œil de la Terreur, si bien qu’aux yeux de ceux qui l’entouraient, Yvraine paraissait les inhaler. À chaque libération d’énergie de la mort, les Ynnari autour d’elle étaient inexplicablement revigorés. Ils pressaient l’attaque avec une telle vitesse que même les Démonettes semblaient pataudes en comparaison.
Tandis que la bataille montait en rythme, une plainte de désir monta de chaque Démonette, monture et bête. De la fosse-gosier qui bloquait les Eldars s’étira une longue langue hérissée de pointes, aussi large qu’une motrice de Cité-ruche. Plusieurs Ynnari hurlèrent à ce spectacle, craignant que l’Assoiffée elle-même n’émerge pour les dévorer, et peut-être avaient-ils raison. Montés sur ce grotesque appendice, leurs griffes accrochées à des papilles de la taille de cairns, se trouvaient trois Démons Majeurs de Slaanesh. Le plus grand d’entre eu l’incarnation de noire félicité appelée Reine de l’Agonie, hurlait d’extase tandis que la langue titanesque écrasait des centaines d’Eldars.
Flanqué par deux séduisants pairs, le Gardien des Secrets agita une griffe sertie de joyaux et propulsa deux Harlequins bondissant dans les pinces de ses semblables. Au moins leur fin fut-elle rapide. Du sang jaillit telle une pluie couleur rubis lorsque les acrobates furent coupés en deux.
L’Yncarne émergea de la brume comme sorti de nulle part, son murmure devenant tel le rugissement d’une cascade. Il se précipita sur les Démons Majeurs si vite que ses contours étaient flous, et attrapa la Reine de l’Agonie par la gorge. Le Démon poussa un cri étranglé de surprise comme l’Yncarne lui ouvrit le cou dans une effusion de sang. Or en s’exposant ainsi, l’avatar d’Ynnead avait pris un risque. Une pince dentelée l’attrapa à la cheville, puis une autre, tandis que les courtisanes de la reine intervenaient. L’Yncarne fut jeté au sol détrempé de salive, avant d’être sauvagement piétiné par trois paires de sabots fendus.
Yvraine poussa un cri angoissé. Elle invoqua l’énergie de son dieu et les Démonettes autour d’elle se changèrent en statues grises, puis s’effondrèrent, mais d’autres prirent leur place. Non loin, Eldrad Ulthran et Kysaduras frappaient les flancs de l’un des Gardiens des Secrets, leurs armes luisant tandis qu’ils infligeaient une succession de graves blessures. Les Harlequins bondissaient autour d’eux, leurs ceintures antigravs leur donnant une longueur d’avance sur leurs ennemis. Le spectacle était si riche, si empreint de haine ancestrale que les Harlequins ne pouvaient faire davantage sans sombrer dans leurs rôles rituels et exécuter une représentation réelle de la Chute.
Alors qu’elle luttait pour sa vie, Yvraine eut le sentiment qu’elle avait déjà vu cette scène. Au début, elle ne sut se rappeler où ; les âmes en son sein ne comptaient aucun Harlequins, car le Dieu Moqueur les gardait avec lui. Puis elle comprit que cette danse des Harlequins et des Démons de Slaanesh était un écho de l’Acte Final, par le Chagrin Nocturne sur les planches de Commorragh. Yvraine fut soudain inspirée. Elle connaissait bien cette pièce, car elle avait dansé des valses similaires dans sa jeunesse. Elle esquiva, roula et enjamba, car en se rappelant des pas de danse qui l’avaient tant fasciné étant enfant, elle pouvait prédire la danse de combat des Harlequins - ainsi que celle des Démonettes qui les affrontaient.
Elle dansa donc, bondissant et cabriolant, en suivant la dispersion des pierres gardiennes mortes jusqu’à une concentration de gemmes à quelques pas des Démons Majeurs de Slaanesh dévastant les lignes Ynnari. Elle sentit sous ses pieds l’énergie d’une des épées qu’elle était venue chercher, un réservoir de puissance de mort si grand qu’il avait dérobé la vie des pierres gardiennes alentour. Avec un sourire amer, elle posa ses deux mains au sol et poussa un cri.
Un battement de cœur plus tard, l’Yncarne jaillit de terre tel un phénix sous la Reine de l’Agonie, ressuscité dans un geyser d’énergie bleutée. Il brandissait une Épée Déchue longue et brillante dans ses deux mains, et en la pointant vers le ciel, il trancha la Reine de l’Agonie en deux du pelvis au cou. L’énergie de la mort en suspension autour de lui lui conférait une grande vitesse ; dans une série de mouvements flous et violacés, il entailla les Démons Majeurs de Slaanesh jusqu’à ce qu’ils se désincarnent. L’arme maniée par l’avatar d’Ynnead était Vilith-zhar, l’Épée des Âmes, la plus grande et la plus puissante des Épée Déchues. Après des millénaires de sommeil, son tranchant était avide du sang des tourmenteurs des Eldars. Tels un ouragan de lame, l’Yncarne plongea dans la horde de Démons de Slaanesh. Chacun de ses souffles était une brise de mort, chacun de ses coups, le trépas définitif d’un des Démons hurlants. L’Yncarne frappa la langue géante qui cherchait à le saisir, et l’appendice hideux se rétracta dans son gosier comme s’il avait été piqué par la grande guêpe murekh elle-même. Inspirés par cet Acte Final ancré dans la réalité, les Harlequins renouvelèrent leur attaque, et en quelques minutes, la horde qui les encerclait était en déroute. Mieux encore, les couleurs d’Ulthwé apparaissaient enfin à travers les ruines. Le piège était brisé, et le salut à portée de main.
Chapitre III : LE DERNIER ESPOIR DES ELDARS
« Les Exhumés sont le seul espoir restant à notre peuple. Ils cherchent à unifier les Aeldari ; rassembler non seulement les Vaisseaux-Mondes, mais aussi chaque fragment éparpillé de notre espèce, qu’ils soit Paria, Exodite ou Drukhari avide. Dans le filet du Dieu Qui Murmure, qui nous lie loin du regard du mal, nous renaîtrons. Nous deviendrons un peuple regardant au loin avec espoir, et non derrière lui en se lamentant. Suivons-les, abandonnons notre pierre gardienne et la peur qu’elle incarne, et nous voguerons à nouveau, portés par les alizés du destin. »
- - Lathriel, Haut Prophète de Biel-Tan.
Une Lueur dans les Ténèbres
Iyanden était jadis le plus puissant des Vaisseaux-Mondes, et ses habitants étaient aussi sages que nombreux. Cependant, son odyssée à travers les âges a connu plusieurs catastrophes, et aujourd’hui, ce Vaisseau-Monde n’est plus que le pâle reflet de sa grandeur d’antan. Des raids du Chaos et la Waaagh! Rekkfist mirent sévèrement à l’épreuve les capacités militaires d’Iyanden, toutefois ce fut la venue de la Flotte-ruche Kraken qui scella son destin. Le Vaisseau-Monde livra une bataille spatiale désespérée contre les millions de biovaisseaux des Tyranides, néanmoins il parut remporter la victoire et ses habitants pensèrent que leur technologie supérieure et leurs tactiques avisées les avaient sauvés. C’est alors que les vagues d’assaut suivantes arrivèrent, de plus en plus violentes. Iyanden fut envahi, et tous ses dômes souffrirent de la présence des Tyranides. Le Vaisseau-Monde aurait été entièrement dévoré sans l’intervention inespérée du prince pirate Yriel, un exilé dont les tactiques audacieuses contre le Chaos avaient été affinées pendant des décennies. En dépit de son amertume envers Iyanden, Yriel ne pouvait se résoudre à le voir détruit. Son armada passa le blocus des Tyranides et anéantit ses biovaisseaux d’abordage. Malgré tout, les Tyranides avaient tué quatre-vingt-dix pour cent de la population d’Iyanden. Depuis ce jour, le Vaisseau-Monde doit se reposer sur ses nombreux constructs en moelle spectrale pour survivre et livrer ses guerres. La rune d’Iyanden est nommée la Lumière dans les Ténèbres, et cette flamme a bien failli s’éteindre à plusieurs reprises, mais elle brillera orgueilleusement jusqu’à la fin. |
Grâce aux efforts combinés des Ynnari et de leurs alliés d’Ulthwé, les Eldars échappèrent au nœud coulant des Démons de Slaanesh. Leurs forces de frappe étaient telles des rivières s’écoulant entre les ruines et les dunes des anciennes cités des Aeldari, et elles pressaient leur avantage avant que les Démons puissent réagir. Yvraine menait la charge. Sa robe flottait dans les vents éthériques tandis qu’elle sprintait sous les arches brisées et dépassait les statues de héros d’antan. Elle se dirigeait vers le mémorial d’Atransis, une structure semblable à un musée où les œuvres des Eldars d’avant la Chute étaient jadis exposées. Les spécialistes du corps à corps d’Ulthwé formaient un mur de lames sur les flancs, afin que l’avant-garde d’Ynnari atteigne le bâtiment et trouve une position défensive avantageuse à partir de laquelle repousser les assauts. Cependant, ils allaient rapidement s’apercevoir qu’autre chose de favorable les attendait au sein des murs de ce vénérable édifice.
Alors que les Exhumés se postaient sur les balcons et les plates-formes à l’intérieur du vaste hall, ce dernier fut peu à peu envahi par une lumière dorée. Deux structures immenses au fond de la salle s’ouvrirent dans une cascade de poussière, comme les ailes d’un papillon sortant de leur chrysalide. Elles révélèrent un portail runique scintillant et immense, mais qui n’était visible que des morts, et de ceux qui avaient leur bénédiction. Et pourtant, en dépit de la hauteur époustouflante de ce portail, la silhouette qui en émergea dut se baisser pour le traverser.
Un Chevalier Fantôme couvert de runes et portant une héraldique bleue et jaune apparut. Il fut bientôt suivi par deux de ses frères. Les immenses canons solaires bourdonnaient dans le silence solennel qui s’était abattu à leur arrivée. Finalement, des vivats éclatèrent dans les rangs des Ynnari lorsque les géants ouvrirent le feu. Des tirs de plasma surchauffés jaillirent en direction de l’entrée de l’édifice. Les Démons qui affluaient pour capturer les Eldars furent annihilés. À chaque fois qu’une nouvelle meute de créatures de Slaanesh se présentait, une salve ardente la bannissait aussitôt. Quand un escadron de chars démoniaques se fraya un chemin à travers les rangs des guerriers d’Ulthwé dans des giclées de sang, un des Chevaliers Fantômes s’avança et les pulvérisa d’un seul coup de sa lame gigantesque. Yvraine fut la première à remarquer les minuscules silhouettes aux pieds du géant : les légendaires constructs du Vaisseau-Monde Iyanden étaient arrivés, et formaient un mur protecteur autour des Ynnari. Parmi ces nouveaux venus se trouvait Iyanna Arienal, l’Ange d’Iyanden.
Sur ordre de la Spirite, les Guerriers Fantômes formèrent un cercle autour des vivants avant de resserrer les rangs afin que nul Démon ne s’approche. Ce véritable mur de moelle spectrale laissait passer les Eldars qui cherchaient à se protéger, et repoussait tous les séides de Slaanesh par ses tirs et ses horions puissants. Un grand nombre de constructs se sacrifièrent afin que les vivants puissent s’échapper. Iyanna faisait signe aux Ynnari de passer par le portail. Comprenant que toute résistance était futile face à une telle horde d’ennemis, Yvraine ordonna de battre en retraite, et les groupes d’Exhumés pénétrèrent dans la Toile.
Les sentiers cachés que les Iyandeni avaient empruntés afin de rejoindre le monde déchu étaient dangereux. Cependant, les Ynnari étaient non seulement guidés par la Spirite la plus talentueuse de sa génération, mais aussi par le Masque du Chagrin Nocturne. Même s’il leur fallut plusieurs semaines de voyage ardu, ils finirent par trouver l’autre portail doré sans incident grave, et ils purent ainsi accéder à Iyanden et arriver devant l’entrée de Vaidh. Iyanna Arienal présenta l’Osselet de Chanteur de Moelle qui faisait office de sceau pour sa dynastie afin de déverrouiller une dizaine de serrures runiques, entonna une mélopée sur la lignée d’Eldanesh, puis projeta son esprit dans les réservoirs spirituels de chaque porte jusqu’à ce qu’elles s’ouvrent les unes après les autres.
L’expédition traversa les catacombes glaciales et embrumées des halls fantômes du Vaisseau-Monde. Chaque alcôve, qui était occupée auparavant par la coquille inanimée d’un Guerrier Fantôme, était vide. On percevait des bruits sourds loin au-dessus. Le Visarque tendit l’oreille et porta la main à la poignée de son épée. Ce n’était pas le son d’une tempête, mais celui d’une bataille. Yvraine éprouva à la fois de l’espoir et du désespoir : ils venaient d’échapper de justesse aux Démons de Slaanesh, et mieux encore, leurs sauveurs appartenaient aux Vaisseau-Monde qu’ils voulaient rallier à la cause d’Ynnead. En étant mort avant d’être Exhumé dans le domaine des anciens Aeldari, l’Yncarne avait récupéré l’Épée des Âmes dans le sol de Belial IV. Pourtant, les Ynnari n’avaient trouvé qu’une seule des deux lames qu’ils cherchaient sur Belial IV avant d’être forcés de fuir. Sans les cinq Épées Déchues, le pouvoir d’Ynnead serait amoindri. Pire encore, l’épée qu’Yvraine avait espéré découvrir à Iyanden était introuvable, et sa piste psychique était absente.
Iyanna, l’Ange d’Iyanden, eut plusieurs conversations avec Yvraine tandis qu’elles se dirigeaient vers l’intérieur lumineux du Vaisseau-Monde. Celui-ci était attaqué. Lorsqu’il avait traversé le secteur Endregan, une tempête Warp qui avait d’abord semblé distante s’était rapprochée à vive allure. Elle avait vomi deux immenses Space Hulks décrépits, des masses cadavériques de métal et de roche si vétustes qu’elles étaient totalement érodées. Les divinations runiques des prophètes avaient révélé que l’intérieur de ces navires était infesté de créatures démoniaques, qui y grouillaient comme des asticots dans un cadavre. Des nuées de mouches de la peste menées par des Princes Démons ailés, qui pouvaient survivre dans le vide spatial, avaient alors jailli des nuages de débris autour des Space Hulks pour assaillir Iyanden. Yvraine eut le pressentiment que cette attaque du Vaisseau-Monde par des Démons juste au moment où ses Ynnari et elle arrivaient n’était pas un accident, cependant elle se garda bien de partager ses pensées avec Iyanna. Ce Vaisseau-Monde était sans aucun doute défendu par bien plus de morts que de vivants, aussi la nouvelle du réveil d’Ynnead serait déjà suffisamment délicate à annoncer.
« Il semble que notre destin est lié à celui d’Omethrian, » déclara Iyanna Arienal alors qu’elle parcourait le pont de la Nuit Sans Fin avec Yvraine. « Celui d’être déchiqueté par des charognards à chaque fois que nos blessures semblent sur le point de guérir. » Au-dessus, à peine visible à travers le cristal du dôme d’Aldanari, on pouvait voir des explosions illuminer le vide spatial.
« Omethrian ne souhaitait-il pas mourir sous la Lune Rouge, afin de mettre fin à son tourment et de renaître ? » fit remarquer Yvraine. « Si tu cherches à éteindre la flamme d’Iyanden, tu ne trouveras guère d’écho à ta demande, » prévint Iyanna. « Moi-même, j’ai chanté les complaintes d’Ynnead pendant de longues années. Je crois que nos destins lui sont liés. Mais d’abord, nous devons nous venger de ceux qui veulent notre mort. Cela signifie que nous ne devons pas périr à cause de quelque infection, ou succomber à l’apathie et au désespoir » « Je suis d’accord, » murmura le Visarque derrière elle. Yvraine lui jeta un regard surpris. Il sortait rarement de son silence. Alors que les Eldars atteignaient l’extrémité du pont et se rendaient au conseil de guerre, ils furent bloqués par une dizaine de Gardes Fantômes accompagnant un Grand Prophète. « Dhentiln Œil-de-Feu… » murmura Iyanna. « Il ne voudra pas que les halls fantômes se joignent à nous. » Elle se tourna vers Yvraine d’un air déterminé. « Quoi qu’il en soit, Ynnead doit être fier de ses filles. » Yvraine hocha la tête, mais sa gorge était nouée par les émotions qu’elle ressentait. |
« Je vous souhaite la bienvenu, » déclara Dhentiln. « Malheureusement, votre arrivée s’apparente plus aux claudications de Vaul qu’au pas léger d’Asuryan. L’armada est engagée au combat, et Iyanden n’a guère de temps à vous consacrer, au risque que l’ennemi profite de notre inattention. Vos serviteurs et vous avez effectué un long voyage, et même Faolchù le Messager doit parfois reposer ses ailes. » Il indiqua une zone à l’opposé du vaste dôme du conseil. « Nous allons vous escorte, vous et vos Commorrites, jusqu’à un endroit calme où vous pourrez vous reposer. Ceux parmi vous qui partent les couleurs d’un Vaisseau-Monde, ou celles de Cegorach, seront assignés à la ligne de front, car nous avons grand besoin de leurs lames. »
« Cela ne sera pas nécessaire, » répondit Yvraine sur un ton glacial. « Mon peuple combattra ensemble. » « J’insiste… » déclara le Grand Prophète. Ce faisant, ses Gardes Fantômes épaulèrent leurs armes et non loin, des marcheurs bipèdes sortirent de derrière les colonnades du dôme. Le message était clair. « Très bien, » dit Yvraine. « Nous n’allons pas brandir nos lames contre vous en ces heures sombres. Je ne souhaite pas souffler la flamme du peuple que vous protégez, bien au contraire. » Les Gardes Fantômes se rapprochèrent des chef, des Ynnari et les escortèrent loin du dôme. Au-dessus, le tonnerre de la guerre résonnait en écho, et ressemblait au rire de dieux cruels. |
Quelques minutes après avoir quitté le pont de la Nuit Sans Fin, Yvraine, le Visarque, la plupart des Ynnari et Iyanna Arienal furent accueillis malgré eux dans les halls les plus somptueux d’Iyanden. Des adolescents en robes blanches qui suivaient la Voie du Serviteur leur proposèrent des rafraîchissements et nettoyèrent leur équipement, qui était encore recouvert de la poussière du monde déchu. Cependant, personne n’était dupe. Les Exhumés, ceux qui pensaient qu’Ynnead était le sauveur dont les Eldars avaient besoin, avaient été mis à l’écart contre leur gré. Une bataille spatiale faisait toujours rage entre la flotte d’Iyanden et les Space Hulks qui dérivaient irrésistiblement vers le Vaisseau-Monde.
Yvraine sentait la rage brûler en elle, toutefois elle la réprima. Succomber à l’appel de Khaine n’était pas une solution. Ni les Ynnari, ni les Iyandeni ne pouvaient se permettre de s’affronter. Elle devait faire preuve d’introspection, encore plus qu’auparavant, et laisser le lien qui unissait les vivants et les morts la guider. Elle laissa donc sa conscience s’échapper afin de voyager entre les étoiles et le néant.
Malgré ses efforts, elle ne trouva pas ce qu’elle cherchait.
D’énormes mouches de la peste bourdonnaient autour d’Iyanden. Leurs cavaliers projetaient des immondices sur les dômes, alors que ceux-ci ne connaissaient d’ordinaire que la caresse des vents solaires. Trois Princes Démons de Nurgle étaient présents, et griffaient méthodiquement la coque de moelle spectrale. Leurs massues et leurs épées rouillées frappaient le cristal jusqu’à ce que celui-ci se fissure et se brise. Les fines bulles d’atmosphère qui entouraient les dômes bulbeux empêchaient normalement l’air du Vaisseau-Monde d’être aspiré dans le vide en cas de pluie de météorites. Dans le cas présent, ils permirent aux Démons d’accéder plus facilement à l’intérieur du navire.
Les Drones de Nurgle pénétrèrent ainsi dans le Vaisseau-Monde, et volèrent lourdement vers les forêts élégantes et les jardins aux sculptures racées. Ils furent interceptés par plusieurs temples de Aigles Chasseurs, qui leur tournèrent autour en ouvrant le feu avec leurs armes à laser. Les guerriers Aspects ailés furent rapidement rejoints par des escadrons de Crimson Hunters, qui se mirent en devoir de traquer les Princes Démons. Les lances ardentes des intercepteurs Nightwing étincelèrent, chaque tir répandant les viscères pourris des intrus. Garulgor le Virulent tomba raide mort vers le sol, cependant le Duc Oglorr et Maleathrus de la Griffe Fétide poursuivirent leurs attaques sans se soucier de leurs blessures ; ils riaient même aux éclats tandis que leurs entrailles dégoulinaient dans un jus nauséabond. Les Crimson Hunters firent demi-tour et revinrent à l’attaque, dans l’intention cette fois de viser la tête de leurs ennemis. Les tirs des Aigles Chasseurs s’intensifièrent, si bien que même les Princes Démons ne purent ignorer le danger. Finalement, Oglorr et Maleathrus explosèrent dans une pluie rance qui souilla les chemins en albâtre des jardins et des statuaires.
Les Démons ailés n’allèrent par loin, car ils furent stoppés par les osts de Guerriers Fantômes. Toutefois, ce n’était que le début de l’invasion. Dans le firmament, les deux Space Hulks qui étaient sortis de la tempête Warp continuaient de dériver inéluctablement vers Iyanden.
Même si les Démons présents sur Iyanden étaient pour l’heure surclassés en nombre, dans l’espace, les forces étaient inversées. Les Space Hulks étaient véritablement gigantesques. C’étaient des conglomérats d’épaves, de navires à l’abandon, de débris spatiaux et d’astéroïdes parfois grands comme des lunes. Beaucoup de vaisseaux qui dépassaient de la structure hétérogène des Space Hulks disposaient de canons fonctionnels qui ouvraient le feu sur les appareils eldars. Ces derniers étaient assez agiles pour éviter les obus, cependant les armes des Space Hulks n’étaient pas toujours conventionnelles…
Lorsque des milliers de drones ailés volèrent en silence vers les vaisseaux eldars pour briser leurs voiles solaires, ces derniers se retrouvèrent soudain ralentis. Et quand les batteries des Space Hulks rouvrirent le feu, leurs tirs furent beaucoup plus efficaces. Dès la première salve, plusieurs vaisseaux d’Iyanden furent pulvérisés.
Séquestrée dans des quartiers isolés, Yvraine continuait d’user de ses pouvoirs. Elle pouvait sentir les énergies libérées par les navires détruits de l’armada eldar. Enfin, elle fut récompensée pour ses efforts. Elle décela une lueur d’intention, un signal spirituel en provenance des alliés qu’elle avait envoyés dès le réveil d’Ynnead. C’était la piste psychique de Thraelle Longuelame, le capitaine du Mansbane. Yvraine regarda à travers les fenêtres de cristal de sa chambre vers le vide spatial, espérant distinguer une lueur dans les étoiles, puis elle envoya son signal psychique.
Les corsaires de Commorragh qui connaissaient Yvraine sous le nom d’Amharoc sortirent d’un nuage de débris stellaires. Jusqu’à présent, leurs navires avaient été dissimulés par des holochamps et des machines mimétiques. Les batteries de pulsars, les tubes de torpilles, les lances fantômes et les senseurs-sangsues s’attaquèrent au Space Hulk le plus proche. Le barrage de tirs ne tarda pas à faire exploser les ponts abritant les réacteurs, à la poupe du bâtiment. Voyant cela, Yvraine sourit…
Le Prince Condamné
Tandis que les vieux amis d’Yvraine prélevaient leur tribut, les alliés corsaires d’Iyanden entraient en lice. Avec la destruction par les corsaires d’Amharoc du plus petit des deux Space Hulks infesté par Nurgle, l’armada d’Iyanden et les navires des Pirates Sorciers concentrèrent leurs puissances de feu sur le plus gros vaisseau, baptisé Spawn of Oghanothir par le Prince Yriel lui-même. Tels des requins stellaires arrachant des morceaux à une baleine du vide, les navires corsaires se rapprochaient, libéraient leur attaque dévastatrice, et s’échappaient. La protection principale du béhémoth grêlé n’était cependant pas ses armes mais sa taille. Il pouvait être pilonné par les canons eldars pendant des jours et conserver assez de masse pour détruire Iyanden s’il le percutait.
Le Hulk avait longtemps dérivé sur les courants hantés du Warp, allant jusqu’à traverser les cieux vert maladifs du Jardin de Nurgle. L’infestation démoniaque avait envahi le dédale de ses entrailles jusqu’à son cœur, et des milliers de Démons ailés s’échappaient de chaque nouveau cratère comme des panaches de fumée. La vérité s’imposa. La coque du Hulk était inviolable et il faudrait le détruire de l’intérieur à l’aide d’une force de frappe, dont les Eldars risqueraient les plus hideuses morts imaginables.
Il est probable qu’Yriel ne serait jamais rentré sur son monde d’origine si Iyanden n’avait pas été assailli par la Flotte-ruche Kraken. La flamme d’Iyanden allait s’éteindre lorsque le prince corsaire accourut à la tête de ses Pirates Sorciers. Grâce à une série de frappes audacieuses, le marteau des vaisseaux d’Yriel brisa les Tyranides contre l’enclume des canons d’Iyanden. À la surface du Vaisseau-Monde, il tira du Temple d’Ulthanash, la maudite Lance du Crépuscule, une arme si puissante qu’elle drainait l’âme de son porteur. Avec cet artefact, il tua la créature tyranide qui dirigeait la horde, et ses essaims furent brisés. Yriel redevint haut amiral d’Iyanden, mais en sauvant son peuple, il s’est condamné à mort, car la lance n’est pas une arme ordinaire, et ne peut être abandonnée. Il occupe à ce jour le rang d’Autarque, mais continue d’écumer les étoiles pour restaurer la grandeur de son Vaisseau-Monde avant d’entrer dans ses légendes. |
Comme toujours, le Prince Yriel fut prompt à répondre à l’appel de l’action. Avec la complicité des princes corsaires de flotte d’Yvraine, il organisa un assaut en trois phases sur le Spawn of Oghanothir. Le plan était ambitieux à l’extrême, mais c’était une nécessité, car il n’aurait pu approcher le Hulk dans un appareil d’abordage sans être entravé par les mouches démoniaques. Le pari était si osé qu’il attisa l’orgueil et la fanfaronnade de ses capitaines corsaires et en quelques heures, sa mise en œuvre fut bien entamée.
À l’insu de la plupart, Yriel et ses capitaines quittèrent leurs à bord d’appareils d’assaut élégants et se dirigèrent vers le portail sur la Toile à la poupe d’Iyanden. En route, Yriel usa de son rang de haut amiral pour convaincre les timoniers du Vaisseau-Monde d’adopter une trajectoire spécifique. Lentement, la nef assiégée arriva aux coordonnées indiquées. Les appareils d’insertion d’Yriel furent assez rapides et agiles pour contourner les envahisseurs démoniaques qui harcelaient l’extérieur d’Iyanden, et franchirent le portail avec des pertes acceptables. Usant de son instinct de chasseur et des anciennes cartes Ulthanashi de la Toile, Yriel localisa l’espace de cette dimension démente qui correspondait à la course du Spawn of Oghanothir. C’était une trajectoire qu’Yriel avait presque imposée en offrant Iyanden comme appât. Tandis que le Spawn dérivait vers le Vaisseau-Monde avec l’intention de l’éperonner, Yriel et ses capitaines activèrent leurs portails personnels et marchèrent à travers les disques miroitants, depuis la dimension labyrinthique jusqu’au cœur fétide du Space Hulk ennemi.
Les Eldars quittèrent avec précaution les portails émeraude qu’ils avaient ouverts sur l’intérieur caverneux du vaisseau amiral infesté ennemi. Il faisait presque noir à l’intérieur, et des liquides immondes dégoulinaient de la voûte. Les corsaires, évitant les gouttes nauséabondes, filèrent jusqu’au couvert des corridors les plus proches et progressèrent avec prudence. Le faible son des moteurs était perceptible au loin. Après être allés aussi loin, les corsaires n’étaient pas enclins à rebrousser chemin sans avoir accompli leur mission, même si les entrailles suintantes de mucus dans lesquelles ils étaient contraints d’avancer ressemblaient plus aux viscères de quelque monstre marin défunt qu’aux couloirs ordonnés d’un vaisseau spatial. Yriel et ses capitaines étaient réconfortés par le fait de porter des réservoirs d’air sophistiqué et les meilleures armures hermétiquement scellées qu’avaient pu leur offrir des siècles de pillage. Bien leur en fit. Des champignons bouffis, chacun la tête d’un intrus passé, expulsaient bruyamment des flots de spores contaminées. Pour les Eldars de la force de frappe, la moindre bouffée de cet air vicié aurait signifié une mort atroce.
Bien que les princes corsaires aient dû se frayer un chemin à travers des bosquets de tentacules et bondir par-dessus des bassins de mucus acide, ils se montrèrent assez habiles pour pénétrer dans le cœur vrombissant de l’enginarium du vaisseau. Jusque-là, ils n’avaient guère rencontré d’ennemis plus féroces que des mites démoniaques, car leur vecteur d’attaque leur avait permis de contourner les hordes de Démons sur le pied de guerre à l’autre bout du Space Hulk. Or, lorsqu’ils atteignirent les moteurs, un spectacle intimidant les attendait : les cocons suppurant de Bêtes de Nurgle qui avaient cherché un endroit chaud pour entreprendre leur vile métamorphose.
Peut-être les corsaires auraient-ils rapidement mis hors-service les moteurs du Space Hulk avant de s’échapper sans encombre si le bourbier de la salle des machines n’avait pas été le foyer d’une terreur sédentaire. Au centre de la pièce gargouillait le Prince Démon obèse Gara’gugul’gor, dont le nom ne pouvait être prononcé correctement qu’avec la gorge pleine de glaire. Bien que les bras tentaculaires de la monstruosité fussent agiles et fins comme des fouets, son abdomen était tel qu’il lui était impossible de se déplacer au-delà de quelques pas. Or, le Démon se mit à rire, car en ce jour, sa proie était venue à lui.
Des appendices dardèrent tandis qu’Yriel sautait prestement d’un îlot à un autre, la fabuleuse Lance du Crépuscule luisant dans sa main. L’un d’eux toucha au talon le prince Lumino à la tenue impeccable, qui hurla comme il était soulevé et mené jusqu’aux mâchoires du Démon. Il y eut un claquement atroce et le pirate eldar fut coupé en deux au niveau de la taille, des jambes agitées de spasmes tandis que Gara’gugul’gor terminait son en-cas. Yriel grimaça en bondissant plus près, son arme d’hast repoussant les tentacules qui le menaçaient.
Cependant, le mal était fait. Les cris de Lumino avaient perturbé les nymphes dispersées dans la salle, qui s’agitaient à présent. Des ailes luisantes et des proboscis percèrent des poches fétides. L’une après l’autre, des mouches à peste suintant de fluides immondes émergèrent prématurément de leur métamorphose en un essaim de créatures à demi formées mais débordant déjà de malveillance.
Un autre prince corsaire cria lorsque quelque chose lui agrippa la cheville. Poussées à l’action, les mouches s’envolèrent du mieux qu’elles purent, bourdonnant avec colère tout en vacillant en l’air vers les intrus. Les Eldars horrifiés abandonnèrent toute furtivité, et ouvrirent le feu dans toutes les directions. D’un bout à l’autre, la salle des machines fut plongée dans la violence.
La bataille qui s’ensuivit fut une démonstration d’escrime, de jeu de jambes et d’acrobatie des plus inspirée, en dehors des troupes d’Harlequins de Cegorach. Les princes corsaires déchaînèrent toutes les armes qu’ils possédaient. Armes digitales Jokaero, poignard d’âme Aeldari, prismes lacérant commorrites et élixirs de contrebande qui triplaient la vitesse de réaction veillèrent à ce qu’aucun occupant démoniaque ne puisse poser une griffe sur les intrus. Et pendant un moment, ils furent suffisants.
Au cœur de la bataille, Yriel était le plus féroce de tous, la lance luisant d’une énergie mortelle en taillant, tourbillonnant et frappant tout ce qui était assez fou pour s’approcher. Courant sur le mur à l’opposé de Gara’gugul’gor, Yriel se propulsa en arrière par-dessus un appendice préhensile, exécutant un salto pour bondir à nouveau d’une passerelle, son manteau ondulant dans l’air. Sa lance était tendue pour un coup fatal. Gara’gugul’gor cracha alors une gerbe de vomi filandreux, et bien qu’Yriel vrillât et s’arquât pour l’éviter, il tourna son dos aux pseudopodes noirs qui dardèrent pour le cueillir. En un instant, Yriel fut attrapé comme un insecte dans une toile d’araignée, des tentacules l’enveloppant pour immobiliser ses bras le long de ses flancs. Le Démon approcha Yriel de sa mâchoire grande ouverte.
Soudain, la salle fut illuminée par une intense lueur blanche. L’implant oculaire d’Yriel, l’Œil de la Colère, brilla en libérant une tornade électrique. L’énergie fut si féroce qu’elle calcina les tentacules du Démon - le prince corsaire était libre de nouveau. La mortelle Lance du Crépuscule, celle qui avait déjà privé Yriel d’une partie de sa vie, s’abattit alors et s’enfonça profondément, non dans le Prince Démon, mais dans le cœur battant de l’enginarium.
ADDENDUM EXCRUTIATI Classe : Adepte Interrogatus Sujet : Prisonnier 28264 Axes : Eldar, Tempêtes Warp < :EXÉCUTION REPORTÉE: > La torture du spécimen eldar, le prisonnier 28264, continue de fournir des données. Non seulement ce paria autoproclamé pense que son idole, l’infâme prophète Eldrad Ulthran, manipule le cours de l’histoire impériale (cf. Seconde Guerre d’Armageddon, Précipitation/Cause) il prétend également que ses actions sont à l’origine des failles qui sont apparues dans le ciel de l’Imperium. Bien qu’il s’agisse d’inepties, j’ai détaillé ses assertions
ci-dessous par soucis d’exhaustivité. Le prisonnier parle d’un Dieu des Morts, pas un de ceux répertorié au
panthéon des Eldars (cf. Aldus Mari), mais une nouvelle déité qui aurait été formée par les âmes défuntes de son peuple. Selon sa croyance, le prophète eldar Ulthran aurait tiré ce futur dieu de sa torpeur prénatale, lui permettant de contrer son dieu rival, la némésis de leur espèce ancienne voyageant à travers les étoiles. Il refuse de nommer cette déité, ne s’y référant que sous le terme Assoiffée. De récents interrogatoires ont
montré qu’il croit que ce nouveau dieu a porté un coup terrible à son ennemi. Lorsque je lui ai demandé s’il pensait que cela expliquait que la galaxie ait été si gravement blessée, il se mit à enrager. Bien qu’il
prétende le contraire - que sans le réveil de son dieu, les tempêtes Warp ravageant la galaxie auraient été plus vastes et plus intenses - il soutient que la mort de l’Imperium serait un prix modique à payer pour la résurgence de l’espèce Eldar qu’il estime imminente. Plusieurs conclusions sont à tirer de ceci, mais j’hésite quant à celle qui aurait le plus grand intérêt académique. Après tout, lorsque l’ennemi est à nos portes, c’est le bretteur que l’on va quérir, non l’érudit. |
Un hurlement hideux s’était échappé de la gorge du Seigneur Démon lorsque l’énergie surnaturelle de l’artéfact avait été libérée. Des veines noires s’étaient répandues sur la machinerie centrale du Hulk, nécrosant son métal jadis vivant en rouille noire frémissante. Bien qu’il lui ait fallu chaque once de son talent et de son ingéniosité, Yriel avait atteint son but. Il sourit brièvement lorsque la puissance mortelle de la lance avait occis sa véritable cible : le cœur de ce juggernaut de l’espace.
Un tentacule fouetta l’air en tenant une poutrelle brisée. Yriel était trop épuisé pour esquiver. En un seul coup, la lourde barre de métal prit sa vie.
Gara’gugul’gor, après qu’il eut fini de tuer le dernier des intrus de la façon la plus horrible qu’il pouvait concevoir, se fraya un passage visqueux jusqu’au cadavre du Prince Yriel en train de refroidir. Avant sa mort, l’Autarque d’Iyanden avait fait taire le dernier enginarium intact du Spae Hulk d’un seul coup de son arme maudite. En dehors de la capacité à corriger sa trajectoire, le béhémoth spatial ne pouvait que compter sur son élan et pouvait aisément être évité. Comment un simple mortel pouvait-il défier la volonté de Nurgle ?
Gara’gugul’gor était tenu en haute estime par Grand-père Nurgle, car il avait répandu la maladie pendant des siècles innombrables, et son humour macabre particulièrement inventif amusait beaucoup le Dieu de la Peste. Maintenant que son plan pour briser les Eldars nécromants d’Iyanden avait volé en éclats, le Prince Démon devait trouver un autre moyen de monter dans l’estime de son maître.
Remuant un bassin de mucus mêlé de sang avec un de ses tentacules, et récitant les Sept Psaumes Écœurants, le Démon étendit ses facultés psychiques dans les tréfonds du Warp. Il eut une révélation. Si sa théorie était juste, et que la lame de ce guerrier était ce qu’elle semblait être, il résidait une chance d’aider la puissance de Nurgle à monter, non pas lentement et d’elle-même, mais car l’un de ses rivaux dans le Jeu Divin verrait soudain son étoile vaciller. Au moins, Gara’gugul’gor pouvait faire un petit cadeau au Vaisseau-Monde eldar, un présent qui le réduirait en ruine aussi sûrement qu’une collision directe avec un Space Hulk.
Le Prince Démon fronça de nouveau le regard en direction de la lance d’Yriel, agrippée par son défunt porteur et luisant toujours d’une énergie maléfique. Puis une vague d’hilarité secoua les sept mentons de Gara’gugul’gor, sa consternation se muant en rire gras qui fit tomber de la rouille des chevrons au plafond.
Peu de temps après qu’Iyanden ait distancé le grotesque Space Hulk, le corps du Prince Yriel, congelé dans une étrange résine laiteuse avec la Lance du Crépuscule contre sa poitrine, fut trouvé dérivant dans l’espace. Le corps fut découvert par un groupe de Hemlock Wraithfighters qui avaient senti sa présence dans le cosmos ; au moyen d’un construct familier au bout d’une longe d’argent, ils récupérèrent le corps et le ramenèrent sur le Vaisseau-Monde.
Une grande tristesse étreint le peuple de la nef en apprenant la nouvelle, car Yriel était son étoile la plus brillante, un génie jadis entêté qui avait sauvé Iyanden en plus d’une occasion. Leur peine était si profonde que beaucoup d’Eldars pleuraient ouvertement dans les rues. Que pouvait faire Iyanden, se lamentaient-ils, pour échapper au destin qui l’accablait à chaque détour ?
Tisser l'Écheveau
Yvraine avait fait appel à des débiteurs de son ancienne vie en tant qu’Amharoc, et ce faisant, aida Iyanden. Ainsi les Exhumés furent-ils disculpés aux yeux des prophètes du Vaisseau-Monde, et eurent le droit de combattre les envahisseurs. Les Ynnari bannirent non seulement des foules de Démons de la peste, mais aussi les infections qu’ils répandaient. Toutes les formes de vie touchent à leur fin quand Ynnead est en colère.
Le corps retrouvé du Prince Yriel fut mis en quarantaine - tous les Eldars craignaient les dons du Dieu de la Peste après le sort atroce des prophètes de Lugganath. La coquille de résine qui contenait Yriel fut cassée par des constructs fantômes dans la Chambre Stérile, une salle ovale scellée, isolée du reste du circuit d’infinité par les Spirites. Cette précaution était appropriée. La dépouille du prince libéra un nuage de spores qui aurait transformé les Eldars vivants en foyers de contagion ambulants.
La nouvelle de l’infection du corps fut convoyée psychiquement à un Spirite, puis à Iyanna Arienal. Yvraine fut bientôt escortée dans l’antichambre menant à la dernière demeure d’Yriel. Elle ordonna aux Guerriers Fantômes à l’intérieur de se retirer dans le vestibule semblable à un sas à l’autre bout de la pièce, puis dégaina son épée. En la brandissant, elle invoqua la magie spirituelle et, en modelant l’énergie nécromantique avec sa psyché, projeta des ondes de force létales dans la salle. Elles n’eurent aucun effet sur Yriel - il était invulnérable désormais - mais tuèrent tous les micro-organismes et spores que la malédiction de Gara’gugul’gor avait lâchés dans le Vaisseau-Monde.
Il se produisit alors un véritable miracle. Yvraine fit courir trois doigts sur les portes de la Chambre Stérile, qui s’ouvrirent sans un bruit. Deux membres de son escorte de Gardes Fantômes d’Iyanden croisèrent leurs lames courbes pour lui barrer l’entrée dans ce lieu sacré, mais Iyanna Arienal leur fit signe de s’écarter. Yvraine esquissa une révérence à son alliée avant de pénétrer dans la salle avec un sourire satisfait. Elle saisit la Lance du Crépuscule, la fit tourner pointe en bas, et la plongea dans la poitrine d’Yriel.
Prenant une grande inspiration, le prince corsaire d’Iyanden s’assit en sursaut. Sa peau pâle retrouva une vigueur inédite depuis qu’il avait empoigné sa fameuse lance. Après avoir restitué la force vitale qu’elle avait volée à son propriétaire au fil des ans, elle se transforma en vif-argent dans la main d’Yvraine. La lame prit une forme nouvelle, révélant sa vraie nature de cinquième Épée Déchue. Yvraine la rendit à Yriel, et entre ses mains, elle redevint une lance. Le prince pirate se leva en chancelant, puis se dressa de toute sa hauteur, le regard empli d’une nouvelle puissance. Le Prince Yriel d’Iyanden avait été Exhumé. Et il n’allait pas être le seul.
La Salle de Vérités était si immense que la brume s'accumulait sous son vaste dôme. Les voix des plus éminents héros d'Iyanden, vivants et morts, résonnaient contre les chutes de moelle spectrale gelée qui s’étendaient du sol au plafond. Certains Eldars présents étaient encore mortels, âgés seulement de quelques siècles. D’autres servaient le Vaisseau-Monde depuis des millénaires, leurs silhouettes sculpturales dominant l’auditoire qui leur donnait une raison de se battre par-delà la mort.
« Ecoutez, enfants d’Asuryan, » dit le Grand Prophète Dhentiln, « car c’est un jour fatidique. » Un murmure parcourut l’assemblée. La phrase d’introduction prononcée, l’audience devait commence, malgré l’absence d’Yvraine et d’Iyanna. « Nous devons agir, » dit Eldrad Ulthran. « Nous devons trouver un moyen de changer le destin de la galaxie. » Le silence dura jusqu’à ce que Dhentiln fit signe de continuer. « La lune rouge se lève, car le Grand Ennemi est ascendant, » continua Eldrad. « Chaque jour, le voile subit mille nouvelles déchirures. Nous ne pouvons y arriver seuls. » « Qui voulez-vous utiliser comme votre épée et votre bouclier ? » dit Sylandri Marchemonde, un Harlequin de haut rang de l’auditoire. « Les T'au sont encore trop jeunes, les Orks sont trop imprévisibles, et les Tyranides sont exclus. Et nous savons que les humains se laissent corrompre trop facilement. Ils sont sur la même voie que nous suivions jadis, marchant aveuglément dans l’abysse. » « Pas avec la foi, » dit Dhentiln. « Avec la foi, ils ont du pouvoir. » |
« Et qui peut leur donner une telle chose ? » demanda la présence menaçante du Chevalier Fantôme Soulseeker, piloté par Aethon Sunstrider. « Pas leur dieu-cadavre. Son temps est révolu. »
Ce fut alors que les portes du hall s'ouvrirent en claquant. « Non, » dit Yvraine en entrant au côté d’Iyanna Arienal et d’une silhouette ténébreuse derrière elle « Ils ont besoin d’un nouveau chef. C’est à cette seule condition qu’ils serviront nos intérêts. » « Impossible, » dit le seigneur corsaire Aracleo. « Ils sont irrécupérables. » « Ils vénèrent leur passé, » dit Iyanna. « Si nous relevons un héros qui le leur rappelle, ils le suivront. Nous-mêmes ne nous accrochons-nous pas à nos mythes et aux gloires d’antan ? » « Elle a raison, » dit Eldrad, « et j’ai déjà remarqué une voie dans l’écheveau qui aboutit à cette issue, et un chef que les humains suivront comme des moutons. Le pivot du destin est la lune de Klaisus, que nous appelions jadis le Repos d’Ulthanash. » « Vous n’êtes pas aux commandes, Ulthwéen, » dit Dhentiln. « Nous n’avons pas besoin des conseils des Damnés, mais des nôtres. » Le silence gêné fut rompu par le Prince Yriel, qui sortit de l’ombre à l’incrédulité générale Tous les constructs s’agenouillèrent en même temps, faisant frémir le sol sous leur poids. « Nous offrirons un demi-dieu aux humains, » dit Yriel d’un ton froid comme la tombe. « Un roi ressuscité, avec une lame mortelle. Et les osts d’Iyanden viendront avec nous. » |
Pendant le voyage retour vers Iyanden, Yvraine posa les mains sur le construct géant et lia l’âme d’Ashodh le jumeau fantôme à celle d’Aethon, son frère vivant. Les deux vivent désormais dans le même corps, réunis du côté mortel du voile. Après que l’attaque du Chaos contre Iyanden fut repoussée, Yvraine eut recours à la même magie spirituelle pour transformer des douzaines de Guerriers Fantômes, passant de revenants somnambules en êtres animés aussi adroits que de leur vivant. |
L’odyssée d’Yvraine et des Exhumés avait suscité beaucoup d’intérêt au sein de la Kabale du Cœur Noir. Le Seigneur Suprême Asdrubael Vect avait des affaires beaucoup plus urgentes à régler, Commorragh étant ravagée par la disjonction la plus sévère de son histoire, et la base de son pouvoir s’écroulait littéralement. Mais il ne pouvait se départir du désir de se venger de la gladiatrice parvenue qui avait déclenché ce soulèvement à l’arène Crucibael, semant la division chez les Commorrites - un sentiment partagé par nombre des Hémoncules qui se considéraient comme les véritables régents de la société Eldar Noire.
La disjonction de Commorragh était une éventualité que Vect avait anticipée. Il était passé maître dans l’art de veiller à ce que ses rivaux souffrent le plus quand la malchance frappait les Eldars Noirs, et c’était souvent la main invisible de Vect qui était derrière le désastre. Il sous-entendit à ses servants qu’il avait déclenché le cataclysme pour tromper son ennui éternel, mais Vect était secrètement effaré que son propre fief fût profané, et qu’il fût forcé d’exécuter ses plans d’urgence.
Pendant que ses rivaux s’échinaient à sauver les restes de leurs domaines naguère glorieux au milieu du séisme Warp grossissant, Vect était déjà bien établi ailleurs, peuplant les ruines d’anciennes cités portuaires en les réaménageant en forteresses tentaculaires. Il offrit un havre à ceux qui demandaient sa protection - pas gratuitement, bien sûr - et prépara sa longue campagne de contre-attaque.
Le cataclysme dans la Cité Crépusculaire provoqua une série de réactions en chaîne. Le Fleuve Khaïdes souterrain sortit de son lit quand les Démons de Nurgle se baignèrent dans son cours âcre, qui déborda dans les rues et y sema une peste nécrosante. Les spires intermédiaires n’étant guère surveillées, les squales aériens de Tzeentch et les chars incendiaires de Sorciers Démons rugirent dans les cieux et se heurtèrent aux meutes du meurtre qui hantent les gratte-Empyrean de Commorragh. Quand les Démons de Khorne se déversèrent dans les rues vides pour envahir Sec Maegra, les mercenaires et les pirates les plus endurcis et les plus malfaisants de la galaxie s’unirent pour faire face aux nuées de Sanguinaires et aux déprédations des Démons Majeurs. Les hordes de Slaanesh se délectèrent d’orgies de violence débridée, en massacrant les Kabales commorrites spire par spire.
<ADDENDUM XENOS> SOURCE PROMARTIALE : PROPHÈTES MACROLUCIENS, <cf. CAPRICIEUX ULTHWÉ> La soudaine apparition d’Eldars vêtus de noir persiste dans la pénombre de l’ŒiL de la Terreur. Leurs insignes et leur héraldique les ont formellement identifiés comme les osts du Vaisseau-Monde Ulthwé, et ils ont été repérés
jusque sur Fenris, certains rapports faisant état de pirates eldars avec une livrée couleur de minuit venant d’encore plus loin. Ces forces de frappe apparaissent uniquement sur les planètes envahies par les armées de l’Ennemi, et à l’exception des Grandes Émeutes de Traidia, et cherchent toujours à combattre toujours aux côtés des forces impériales. Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il n’y a eu aucun échange de tirs -l’apparition soudaine de raclures xenos sur le sol souverain de l’Imperium est une raison suffisante pour déclarer la guerre - et parfois, les Ulthwéens sont repartis aussi vite qu’ils étaient venus. Néanmoins, ceux qui ont dû tolérer leur présence - que ce soit par choix ou en désespoir de cause - ont trouvé que c’étaient de puissants alliés. Ils surgissent de nulle part, émergeant de portails d’origine xenos, arme à l’épaule et faisant feu sans attendre. Chaque rapport sur ces apparitions note que leur armement fait peu de bruit, voire aucun. On peut y voir une nouvelle preuve que ces créatures n’apprécient pas le tonnerre d’une guerre
honnête et haineuse. Très peu de commandants impériaux ont réussi à échanger quelques mots avec ces alliés supposés, et ceux qui l’ont fait ont été traités avec un mépris à peine voilé. Soyez assuré que la pareille leur a été rendue à chaque occasion. |
L’immense métropole était assez puissante pour avaler une incursion démoniaque majeure et cautériser les zones jugées irrécupérables, mais elle était bien trop indisciplinée pour mener une défense organisée. Nombre des Archontes de la cité tentèrent d’éliminer leurs rivaux à la faveur des combats contre les hordes de Démons, leurs actions aggravant l’anarchie. Des escarmouches et des guerres de gangs éclatèrent graduellement dans les rues, car il n’y avait plus de Kabale du Cœur Noir pour maintenir l’ordre dans la cité.
Tel un palais de dominos à qui on donne une pichenette, Commorragh subit un enchaînement de désastres. Autour du Crucibael, les fugitifs Tyranides qui auraient été abattus naguère avec une facilité relative se taillaient un chemin sanglant dans les domaines des Cultes Cérastes. L’Archonte Sythrac, contre-attaqué après un coup d’état perfide mais coûteux contre les Seigneurs de l’Épine de Fer, fut exécuté par la créature ténébreuse Kheradruakh. Grâce à cette mise à mort exceptionnelle, le Décapiteur s’appropria enfin le dernier crâne "parfait" dont il avait besoin pour son œuvre sinistre. Après l’avoir dépecé et récuré, il l’utilisa pour accomplir le rituel souterrain qu’il pratiquait en accumulant avec obsession les têtes de ses proies au fil des huit derniers millénaires. Les regards de mille crânes parfaits se croisèrent au centre de sa tanière et creusèrent un trou dans le mur entre les mondes, ouvrant le passage vers la dimension des Mandrakes. Une vague noire d’assassins et de monstres ténébreux se déversa comme si les rues étaient inondées d’encre, et tua chaque âme à des milles à la ronde. En une seule nuit, la zone devint le royaume d’ombre du Décapiteur, monarque oublié des Mandrakes. Il entama un règne de terreur, son trône érigé au milieu d’une mer d’ombre vivante qui dévorait même les envahisseurs démoniaques passant à sa portée.
La troisième nuit, cette armée d’ombre joignit ses forces à celles des Coteries d’Hémoncules. Des ménageries interminables de masses de chair difforme et des Démons d’ombre jaillirent du sous-monde de Commorragh, et l’incursion des Démons commença à perdre de son élan. Kabales et Cultes Cérastes se regroupèrent, à contrecœur, et mirent leur connaissance de la Cité Crépusculaire à profit pour repousser les envahisseurs du Warp. À l’ombre des soleils noirs, le sort de Commorragh était dans la balance.
En présence de Vect, le sujet de la cause de la disjonction était déjà tabou. Le Seigneur Suprême avait déjà affirmé que le cas d’Yvraine était réglé, qu’avec ses alliés Hémoncules, il extrayait méticuleusement chaque once du pouvoir qu’elle avait manifesté au Crucibael. Même s’il n’y avait aucune preuve de cela, nul n’osa le traiter de menteur. Vect avait torturé publiquement les timoniers et les guerriers corsaires qu’Yvraine avait abandonnés en fuyant la cité, mais on n’avait trouvé aucune trace de la gladiatrice elle-même. Des rumeurs circulaient sur l’imposture de Vect, et ses rivaux - au premier rang desquels figurait Dame Malys de la Langue Venimeuse, son ancienne amante - faisaient tout leur possible pour saper l’autorité et la souveraineté de Vect.
En coulisses, Vect n’épargnait aucune dépense pour retrouver Yvraine, et les Prophètes de Chair d’Urien Rakarth tiraient toutes les ficelles possibles afin de localiser les Ynnari. Sans l’aide de leurs alliés Harlequins, les Ynnari auraient probablement déjà été capturés, mais pour l’instant, ils passaient entre les mailles du filet.
Pour Rakarth, les rumeurs de magie spirituelle étaient enivrantes et horribles à la fois. Elles évoquaient un trésor inestimable pour les seigneurs quasi immortels des coteries, mais aussi un genre de mort à laquelle même un Ancien Hémoncule ne pourrait échapper. Les maîtres modeleurs de chair avaient appris l’existence de l’incarnation d’Ynnead qui avait combattu la coterie envoyée sur Belial IV. À leur retour sur Commorragh, les pires craintes des Hémoncules étaient vérifiées ; leurs camarades tués avaient été réduits en poussière par la magie de mort de l’Yncarne. Chaque clone de cuve, chaque reste et échantillon de peau caché dans un phylactère avait été anéanti. Il y avait quelque part quelqu’un qui détenait le pouvoir de la mort inévitable et de la vie éternelle.
La Guerre dans le Labyrinthe
Alors qu’un cataclysme galactique se déployait autour d’eux, les Ynnari se hâtèrent dans les halls fantômes aussitôt que le Conseil d’Iyanden eut pris sa décision. Usant de leur influence sur les esprits des morts, Yvraine dévoua tout son temps au transfert des consciences des anciens héros, directement du circuit d’infinité aux corps de moelle spectrale qu’ils contrôlaient jusque-là uniquement par l’entremise de pierres-esprits. Ces Guerriers Fantômes n’étaient plus piégés dans un rêve éveillé, mais avaient reçu une nouvelle vie des mains d’Yvraine et de ses pairs ; ils pouvaient voir, entendre et sentir le monde matériel avec la même clarté que de leur vivant. Muets, ils exprimèrent leur gratitude par leur déférence - la raideur et le doute typiques des constructs firent place à la fluidité et à la grâce. Bientôt ces Guerriers Fantômes nouvellement épanouis se munirent des artéfacts et de l’héraldique de leurs incarnations mortelles. Ils étaient réellement ressuscités. Leurs sens chantaient sans que leur soif de vengeance fût diminuée ; les Guerriers Fantômes d'Iyanden étaient plus redoutables que jamais.
Conjointement avec Iyanna Arienal et ses confrères Spirites, la grande prêtresse d’Ynnead réveilla des halls fantômes entiers. Les constructs de moelle spectrale avaient une cause - ils sentaient l’appel à la guerre d’Ynnead, car si quelqu’un pouvait les commander par-delà le voile, c’était bien le Dieu des Morts.
Quelques jours plus tard, les Ynnari repartirent dans la Toile. Cette fois, ils partirent non seulement avec des éléments de la Lame du Vent, des émissaires fantomatiques d’Altansar et des forces de frappe des Vaisseaux-Mondes, mais aussi un grand ost de Guerriers Fantômes Exhumés. Nombre de traditionalistes d’Iyanden objectèrent à ce qu’ils virent comme un coup paralysant aux défenses du Vaisseau-Monde, mais les nouveaux constructs restèrent sourds aux arguments les plus convaincants, et ne se laissèrent pas arrêter. Peu eurent l’audace de se tenir devant les anciens héros de la race eldar et de leur dire de renoncer au nom de la passivité et de la prudence. Le futur de toute leur race était en jeu, et les morts feraient tout en leur pouvoir pour s’assurer que leurs frères vivants restent hors de portée de l’Assoiffée.
Les rangs gonflés des Exhumés se rendirent dans les profondeurs de la Toile via le portail de poupe d’Iyanden. Emprunter ces passages ésotériques est souvent harassant - même avec les Harlequins du Chagrin Nocturne pour les guider, la progression des Ynnari fut excessivement lente. Des intrications fractales hantaient leur vision périphérique, des rêves surréalistes assaillaient leur esprit, et des détours les confondaient chaque jour. Moitié réelle, moitié du Warp, cette dimension obscure était par endroits autant le domaine des Dieux Sombres que celui des Eldars - ou plutôt des Anciens qui les avaient précédés.
Les portions sauvages de la Toile, souillées par le Chaos, auxquelles même les Harlequins avaient renoncé depuis longtemps, étaient devenues le terrain de chasse d’Ahriman, l’Archi-Sorcier des Thousand Sons. Disciple de Tzeentch, Ahriman fut jadis un guerrier mystique de l’Imperium, noble et juste. Sa quête millénaire pour sauver sa Légion maudite le conduisit sur des sentiers si sombres que l’ambition et la vengeance finirent par le consumer.
L’ancien maître d’Ahriman, le Primarque Démon Magnus, avait fomenté la ruine des Space Wolves, les exécuteurs qui avaient traqué sa Légion jusqu’à sa quasi-extinction. Ce faisant, il avait non seulement dévasté le Système Fenris, mais aussi usé de forces magiques si incommensurables qu’il avait fait traverser le voile entre le Warp et l’espace réel à sa base de pouvoir, la Planète des Sorciers. Cet acte cataclysmique de manipulation métaphysique avait engendré une douzaine de nouvelles tempêtes warp dans la galaxie, permettant aux Thousand Sons de retrouver leur puissance et leur prééminence.
Les Thousand Sons étaient une force incomparable. Au nom de l’illumination, ils s’étaient frottés aux énergies du Warp avec tant de fougue qu’un défaut de leur code génétique dégénéra hors de contrôle, certains se transformant même en monstres de chair dépourvus de toute raison. Ahriman lança un grand sortilège, la Rubrique, pour préserver ce qui restait de ses frères, mais le résultat ne fut pas celui qu’il attendait. Leur chair mutante avait été transformée en poussière scellée dans leurs armures baroques. Depuis ce jour, l’Archi-Sorcier cherchait un moyen de secourir ses camarades de leur macabre non-vie. Il n’avait pas eu besoin qu’on l’incite à chercher les Ynnari. Les pérégrinations des Exhumés dans la Toile s’étaient fait remarquer par des yeux malveillants.
Le jargon murmuré par les Démons passa le mot à Ahriman qu’il y avait une nouvelle force dans la galaxie qui pouvait défier la mort - et même ressusciter ceux dont l’âme s’attardait. Il rassembla ses serviteurs Démons en toute hâte, et les envoya dans la dimension entre les mondes pour être ses yeux et ses oreilles. Il y avait là une chance de sauver sa Légion, de la reconstituer, corps et âme. Il avait déjà détaché plusieurs bandes de servants auprès de la Black Legion d’Abaddon sur la lune de glace de Klaisus, car il avait prédit que cette planète serait un carrefour des destinées dans les intrigues majeures de Tzeentch. Mais c’était une distraction de la mission qu’il s’était fixée - une tâche qu’il voyait toujours comme altruiste, mais qui était en vérité une quête de pouvoir mêlée d’expiation. Si ses agents de la Toile chuchotaient ne serait-ce qu’une possibilité de rédemption pour sa Légion, il se jetterait dessus. Puis, une fois qu’il aurait arraché les secrets des Ynnari de leurs cadavres déchirés par la douleur, il utiliserait leur pouvoir sur la vie et la mort comme il l’entendait.
Lorsque l’expédition des Ynnari était entrée dans la Toile depuis Commorragh, sa petite taille l’avait rendue relativement discrète. Elle avait échappé à la vigilance des minuscules espions d’Ahriman, la Toile étant un lieu impossiblement alambiqué, dépassant l’entendement de tous hormis de Cegorach lui-même. Désormais renforcée par les guerriers de Biel-Tan, Ulthwé, Iyanden, Altansar, et plusieurs autres Vaisseaux-Mondes, la troupe des Ynnari ne pouvait plus se cacher.
Ahriman, qui avait volé des passages du mythique Grimoire Labyrinthus de la Bibliothèque Interdite et déchiffré leurs secrets incroyables, connaissaient nombre de ces traverses cassées et conquises par le Chaos. Il avait même appris à observer des régions de la Toile à distance, l’idéal pour fondre sur ses proies par surprise. Le sorcier attendit le moment de frappe avec la persévérance d’un serpent ; dix millénaires de poursuite de sa quête lui avaient conféré une terrible patience.
Quand les Ynnari s’aventurèrent dans le Psychedelta, une région criblée de tunnels où les parois de la Toile étaient fines, le sorcier mena un grand rituel de translocation, sacrifiant neuf cent quatre-vingt-dix-neuf prisonniers à la gloire de Tzeentch. L’Architecte du Changement fut flatté, et quelques instants plus tard, Ahriman surgit de l’éther pour attaquer les Ynnari avec un ost de Thousand Sons et de Démons baragouinant.
La bataille calcina l’air immobile du delta de la Toile. Ce fut une démonstration pyrotechnique de magie de Tzeentch brute face à l’habileté experte et les invocations spirituelles des Exhumés. Les combats éclatèrent d’abord sur un front étroit, chaque bande et ost de Démons pressant inlassablement les rangs des Ynnari. Les Eldars réagirent instinctivement, refluant et esquivant les attaques avec l’expertise de maîtres duellistes. Puis, quand les Ynnari durent céder du terrain à cause de la puissance brute et la soudaineté de l’assaut du Chaos, la bataille glissa jusqu’au goulot d’entrée de cette section de la Toile, et se répandit dans tous les capillaires du Psychedelta. On livra bientôt une demi-douzaine de batailles dans des galeries parallèles ou superposées, chaque force faisant tout son possible pour dépasser l’autre, afin de gagner un avantage critique en attaquant sur deux fronts dans l’engagement voisin.
Sur un pont de cristal qui semblait donner sur le vide de l’espace, un ost de gardiens et de Guerriers Fantômes d’Iyanden était mené à la bataille par le Chevalier Fantôme Soulseeker. Une phalange de Terminators Thousand Sons lui barrait le passage au sommet du pont, mais l’ost eldar ne ralentit pas. Alors que naguère ils se mouvaient pesamment, les constructs couraient désormais avec la même grâce que les Eldars vivants qui bondissaient derrière eux, en tenant fermement leurs armes à technologie Warp contre leur poitrine. Les plates-formes d’armes lourdes des gardiens projetaient une grêle constante de shurikens sur les Terminators aux armures ornementées, les disques acérés se brisant ou ricochant sur la céramite ensorcelée sans effet visible. Le Scarabée Occulte répliqua, les combi-bolters maillant les constructs eldars en approche d’explosions tonitruantes, sans faire mieux que roussir leurs enveloppes inviolables.
Les Thousand Sons changèrent rapidement de cibles, abattant les gardiens avec adresse et prélevant un tribut sanglant dans leurs rangs. Les Sorciers envoyèrent des hélices de lumière colorée pour piéger les Gardes Fantômes dans des cages de luminescence azurée - elles se contractaient ensuite pour découper la moelle spectrale comme de la viande crue, ne laissant que des morceaux d’anatomie ivoire. Les Terminators armés de canons rotatifs et de lance-roquettes Hellfyre produisirent assez de puissance de feu maudit pour démembrer deux des Guerriers Fantômes de tête. La force irrésistible des tirs Thousand Sons avait rencontré l’objet inamovible de l’ost fantôme, et prit l’avantage non grâce à la technologie, mais à la magie.
Soulseeker dominait la ligne de front, son générateur de bouclier miroitant projetant une égide de lumière pâle sur les éléments de tête qui endiguait le gros de la tempête magique. Les Gardes Fantômes, ainsi protégés des salves des Terminators, saisirent cette opportunité et coururent se mettre à portée pour ouvrir le feu avec leurs armes à distorsion. Les vortex d’énergie Warp arrachèrent leurs cibles lourdement protégées comme si elles avaient été aspirées dans l’espace par un sas ouvert.
Soulseeker chargea à travers les rangs des Thousand Sons, bravant les salves de feu mutagène qui aurait écartelé une cible mortelle, et balaya la ligne ennemie de son immense sabre Ghost. Le coup trancha plusieurs membres du Scarabée Occulte en deux, brisant la cohésion Thousand Sons. Soudain, les Gardes Fantômes d’Iyanden furent sur eux, combattant avec grâce et efficacité, morcelant les armures prosperines avec leurs haches.
Torturé par un tel afflux de forces occultes, le pont de cristal tressaillit, trembla et se fissura sur sa longueur. Certains constructs furent assez rapides pour sauter d’un pan de cristal au suivant pour atteindre l’autre bout du pont. D’autres n’eurent pas cette chance et tombèrent dans un oubli fractal sans nom.
Près de là, les galeries envahies de Démons de la traverse de droite du Psychedelta étaient illuminées par les flammes Warp. Des Horreurs Roses babillantes et des Incendiaires crachinaient du feu en émettant des rires maniaques alors qu’ils sautillaient en direction de leur proie. Il y avait parmi eux des Ducs du Changement , chacun lançant ses propres sorts dévastateurs sur les Eldars en approche. Le fer de lance de Biel-Tan qui affronta cet ost de feu subit mille morts en l’espace de quelques terrifiantes minutes.
Partout où les flammes mutagènes touchaient un guerrier Eldar, il ne restait plus que folie manifeste. Une escouade de Banshees fut transformée en nouveau-nés dans des armures trop grandes et regardant leurs épées avec fascination. Un trio d’Aigles Chasseur ailés fut changé en pluie scintillante de serpents. Un temple de Vengeurs Lugubres, après avoir lâché un ouragan de shurikens acérés, virent leurs projectiles inverser leur course pour les attaquer avec la voracité de piranhas. Chaque mort inventive amusait beaucoup les Horreurs qui s’amassaient autour des Ducs du Changement. La Toile résonna un temps de leur hilarité aiguë.
Les rires s’arrêtèrent quand des figures légendaires s’avancèrent, réunies à nouveau par Jain Zar. Aussi majestueux que Khaine lui-même, les Seigneurs Phénix surgirent des ombres de la Toile. Asurmen n’était pas à leur tête, mais son élève la plus en vue - celle qui avait accueilli Ynnead en elle, et avait été Exhumée.
Baharroth plongea, son fusil à canons multiples crachant des rayons aveuglants pour brûler les yeux d’un Duc du Changement au passage. Son épée détacha la tête du Démon avec aisance comme il filait tel un mirage saphir. Faisant face à une horde d’assaillants, Jain Zar tournoyait, son arme d’hast dessinant une spirale de mort autour d’elle. Son triskèle jaillit ; il trancha en deux des Démons à la peau rose en s’envolant, puis découpa leurs répliques à peau bleue en revenant dans la main de Jain Zar. Les Horreurs Brimstone qui parsemèrent le sol à leur place piaillèrent à la vue de Fuegan, la Lance Ardente, vêtu de la chaleur de mille morts incendiaires. Elles s’enfuirent en hurlant pour aller mettre le feu aux Thousand Sons qui les suivaient. Sifflant d’impatience, le Duc du Changement Zarzapt l’Ineffable s’avança pour baigner Fuegan dans le feu du Warp, mais sa malédiction mutagène n’eut aucune prise sur l’armure d’écailles du Seigneur Phénix. L’instant suivant, il vaporisa la créature d’un faisceau parfaitement ajusté de sa pique de feu.
Asurmen embrocha un Héraut de Tzeentch avec la Lame d’Asur, et brandit son corps agité pour que ses acolytes Vengeurs Lugubres le lacèrent de shurikens. Maugan Ra, les pieds ancrés sur un Chevalier Fantôme tombé, abattait méthodiquement chaque Hurleur aux ailes tranchantes avec une dextérité si impeccable qu’aucun shuriken du Maugetar ne ratait sa cible. Il réservait ses munitions bio-explosives aux Chars Incendiaires sillonnant le ciel sur des traînées de feu ; chacun d’eux finit en météore s’écrasant dans les hordes en surface. Le Démon Majeur Vexwing se téléporta derrière lui, le sceptre levé pour l’écraser. Avant que le coup s’abatte, Karandras frappa par en dessous, comme engendré par les ombres, taillant l’horreur aviaire en illusions scintillantes avec sa lame mordante et sa pince de scorpion.
L’adresse martiale des Seigneurs Phénix surclassait l’ost de Démons à un tel degré qu’aucune des Horreurs ni aucun de leurs frères bestiaux jeteurs de flammes ne purent les atteindre. Là, au milieu de la presse des combats, les Premiers Exarques étaient la mort personnifiée.
+++OPTICON SOLO+++ ORDO MALLEUS <LA CACOPHONIE L’apparition d’un Seigneur Astartes Hérétique horriblement scarifié sur Extremis Six correspond à une missive psychique des Prognosticators de Titan. Leur prophétie s’est réalisée - les traîtres diaboliques qui suivent Lucius l’Éternel sont responsables de la mort sismique de cette planète de gratte-firmament naguère populeuse. Les Prognosticators, avertis d’un milliard de cris d’agonie empilés, prédirent l’effondrement des grands gratte-firmament qui constellaient le continent principal de la planète riche en minerai. Ils furent secoués jusque dans leurs fondations par d’immenses armes soniques fixées aux membres antérieurs et aux carapaces d’une Légion Titanique traîtresse (cf. Riotous Hast) - le barrage auditif assourdit, rendit fou ou même liquéfia ceux qui l’entendirent, selon leur proximité. Une fois que ces impulsions eurent érodé leur structure, les gratte-firmament s’écroulèrent les uns après les autres, l’ouragan de poussière de roche rendant toute extraction impossible, même pour des soldats en Armure Énergétique. Les régiments aéroportés de l’Astra Militarum qui lancèrent les représailles (cf. 352e Paras Élysiens, 9980 Warhawks Harakoni, 142e Seraphs Ethariques) et leurs alliés du Militarum Tempestus (12e Condors Thetoïdes, 1er Harriers Zetiques) firent état d’une forte résistance des Astartes Hérétiques des Emperor’s Children. Ironiquement, après le vacarme dantesque qui l’a balayée, la zone de guerre est désormais totalement silencieuse. L’observation d’un gigantesque <<<REDACTIO VOX DEUS>>> serpentiforme massacrant tout ce que l’Astra Militarum lui envoyait n’est pas encore confirmée ou infirmée. |
Dans la traverse suivante, à la pointe de progression des Ynnari, les guerriers d’Ulthwé fonçaient pour engager les Rubricae en combat rapproché. Les Gardiens Noirs avaient déjà connu la piqûre des fusillades ensorcelées des Thousand Sons. L’expérience leur avait appris qu’un seul bolt Inferno pouvait pulvériser un Eldar. Mais ils ne faillirent pas, car ils savaient que le Dieu des Morts veillait sur eux. En se ruant sur les lignes ennemies, ils risquaient de se faire décimer, et en effet, beaucoup de vies irremplaçables furent perdues. C’eût été un massacre total sans la présence d’Eldrad Ulthran.
Le Grand Prophète jeta les runes de guerre pour apporter une fortune naturelle à ses frères, tandis que son confrère Kysaduras l’Anchorite invoqua des tempêtes dans les rangs des Thousans Sons pour perturber leurs lignes de tir. Arihman fendit la mer de ses guerriers avec un mur de force psychique avant de répliquer avec sa propre volée de magie. Des flammes corruptrices jaillirent, transformant le vieux Kysaduras en une statue de bois, prise dans une expression d’angoisse éternelle.
Les Ulthwéens étaient accompagnés du Masque du Chagrin Nocturne, leur Prophète des Ombres jetant un voile de brume sur les Vengeurs Lugubres qui sprintaient à leurs côtés. Là où les bolts enflammés frappaient, la brume laissait passer les tirs au travers des guerriers aspects comme s’ils n’étaient que des ombres. Néanmoins, l’attaque éclair avait fait gagner beaucoup de terrain à l’ost d’Ulthwé. Tandis que leurs alliés Harlequins voltaient et dansaient autour d’eux, les Eldars heurtèrent la ligne des Thousand Sons telle une tornade de lames.
Les automates blindés se trouvèrent soudain en difficulté. Les lames d’héritage et les épées énergisées des Exhumés ouvrirent les antiques Armures Énergétiques antiques à la taille, à l’épaule et au cou, chaque coup porté avec une précision chirurgicale pour trancher aussi nettement que possible. La tactique fonctionna bien, et pendant quelques secondes triomphantes, les Eldars enjambèrent des armures démantibulées et fumantes.
Ahriman pointa alors son bâton, et des geysers de feu rose rugirent pour consumer les Harlequins qui bondissait vers lui. Trois guerriers danseurs furent pris en plein saut, et retombèrent sous forme de cendres. Dans même temps, les Thousand Sons semblèrent s’éveiller de leur torpeur et attaquer avec une célérité inédite, chargeant, cognant et jetant les Eldars au sol avec la crosse de leur Bolter avant de piétiner leur chair meurtrie et de broyer leurs os.
Dans un crépitement d’éclair Warp, Eldrad se matérialisa au milieu des Thousand Sons, le Bâton d’Ulthamar scintillant et tournoyant pour briser leurs armures comme s’il s’agissait de porcelaine. Le combat dans le tunnel sombra dans l’anarchie comme les Ulthwéens poussaient encore et encore, leurs armures noir et os morbides éclairées par les lueurs fluorescentes démentielles de la bataille psychique qui faisait rage.
Or, dans le tumulte et l’anarchie, les forces de Tzeentch prospéraient.
Les Exilés, réunis au fil des millénaires au côté d’Ahriman arrivèrent en chevauchant les vents éthériques. Ils étaient au nombre de neuf, chacun d’eux était un Sorcier incroyablement puissant qui avait assisté leur maître pour précipiter les Thousand Sons dans leur état de non-vie. Certains marchaient dans l’air, leurs pas laissant des empreintes de feu ; d’autres vinrent sur des disques lamés volants, ou chevauchaient des chars ardents tirés par des squales aériens démoniaques. Le Triumvirat d’Ynnead avait été aperçu sur la ligne de front, et un signal psychique avait été envoyé - les Exhumés luttaient pour déjouer l’embuscade des Thousand Sons, et Yvraine était à leur tête. Le temps de refermer le piège était venu.
Azhtar Manutec, avec sa tête d’oiseau, étira ses doigts couverts de plumes pour en faire des serres. À cinquante mètres de là, des Incubes étaient écartelés par des forces invisibles. Le biomancien à cape de crânes, Naratt du Serment Rompu, sonna un groupe d’Eldars avec une explosion de lumière kaléidoscopique avant de jeter des osselets à leurs pieds comme un fermier semant du grain. Chaque germe osseux poussa rapidement en un corps sans chair, les guerriers morts-vivants lançant leurs bras cliquetants pour saisir les membres de l’Eldar le plus proche. Ahriman noua une corde invisible et la tira pour la tendre ; une vingtaine d’Eldars alentour portèrent la main à leur gorge avant de suffoquer. Chaque nouveau sort prélevait un terrible tribut. Là, si près du Warp où ils puisaient leur puissance, les Sorciers millénaires des Thousand Sons pouvaient modeler la réalité selon leurs désirs d’un claquement de doigt.
Yvraine vint à eux, le visage déformé par un rictus de haine. Sa démarche fière se mut en course déterminée, son expression évoquant une lionne qui a vu ses petits tués par un cruel assaillant. Kha-vir, l’Épée des Chagrins, chantait à son côté, le tranchant de la lame luisant de feux follets psychiques blancs. Elle était accompagnée du Visarque, sa propre Épée Déchue prête à frapper, et de l’Yncarne, hurlant avec la voix de mille âmes défuntes. Investis des énergies de mort autour d’eux, ils étaient plus rapides que toute créature mortelle. Murmurant de puissantes malédictions, Yvraine fendit l’air avec son éventail, et six couteaux affûtés comme des scalpels allèrent empaler un Sorcier qui psalmodiait. Un autre vit son sort coupé court quand le Visarque lui courut dessus, l’Épée des Cris Aphones jetant un linceul de crépuscule silencieux comme la lame disséquait la moitié avant du casque de l’Exilé - en même temps que la tête à l’intérieur. L’Yncarne s’éleva tel un oiseau de proie sur un courant ascendant avant de piquer. L’Épée des Âmes devint deux dagues de vif-argent qui poignardèrent les Thousand Sons avec la force d’un demi-dieu. Un cercle de Rubricae riposta, mais quand bien même la salve de bolts explosifs arracha des morceaux au torse de l’Yncarne, le sourire cruel de la créature n’en fut en rien troublé.
Un vortex d’énergie spirituelle tourbillonna hors de la bouche ouverte de l’Yncarne, et les Thousand Sons se figèrent comme des statues. Les forces mystiques qui les animaient venaient d’être réduites à des échos inoffensifs, avant d’être taries.
Yvraine sentit sa haine bouillonner, et son Gyrinx grogna. Ainsi c’était leur chef, dirigeant sa foule du haut de son perchoir, un disque de métal incandescent. Écartant ses atours, elle se rua sur lui tel un projectile vivant, suivie de près par ses compagnons. Le champion de Tzeentch posa calmement son bâton, apprêta ses mains comme pour piéger un insecte volant, et lança en l’air une poignée de néant en rugissant.
De même que le Visarque et l’Yncarne, Yvraine se sentit soudain à la dérive - non dans la Toile, mais au dehors. Ils étaient échoués dans des limbes ouatés, piégés au sommet des murs de psychocristal. Les bruits de la bataille sous eux étaient étouffés, et le vide froid soufflait sur leur dos. Yvraine n’osa regarder autour d’elle, car elle sentit qu’il y avait quelque chose, dans les ténèbres. Une voix dans son esprit l’invita à le faire, car elle verrait l’Architecte du Changement lui-même, et apprendrait le sens de la folie. Cette voix n’était pas eldar, mais humaine ; elle n’appartenait pas à une âme préservée, mais à l’Archi-Sorcier. Une autre se joignit à elle, celle d’Elierrogh le Sage, un des esprits qu’elle abritait. Elle l’avait bien étudié. Un éclair de lucidité frappa Yvraine. « Ahzek Ahriman, » cria-t-elle, « J’ai ce que tu cherches. Je peux ressusciter tes frères ! » À un jet de pierre de là, le Visarque découpait l’extérieur de la Toile avec l’Épée des Cris Aphones, mais il ne l’éraflait même pas. L’Ynarne sifflait de doute, des traînées de brume violette se décousant de son corps comme il se dissolvait dans l’éther. « Et pourquoi devrais-je le croire ? » dit la voix du Sorcier dans la tête d’Yvraine. « Tu n’as aucun pouvoir ici, dans mon nouveau domaine. » Elle sentit une chose divine darder son regard ardent dans son dos, avec une attention inhumaine, terrifiante. « Ouvre les yeux ! » cria-t-elle, priant secrètement Ynnead que son pari désespéré fonctionne. Elle posa ses mains sur le psychocristal de l’extérieur de la Toile, se concentra sur les Légionnaires en armure à l’intérieur, et inversa le cycle e leur existence. |
Une douzaine de Marines Rubricae Thousand Sons, qui l’instant d’avant tiraient sur les Exhumés avec l’efficacité impassible des automates, titubèrent en arrière comme si on les avait frappés. Ils se regardèrent, posèrent la main sur leur cœur et se replièrent autour d’Ahriman avant d’adopter la posture défensive des Legiones Astartes de l’Empereur. Yvraine discernait à peine leurs mots comme ils essayaient frénétiquement de comprendre la situation.
« Ahzek ? Est-ce toi, frère ? » « Où sont les Athénéens ? Nous affrontons des Eldars ! » « Au nom de Magnus, que se passe-t-il ? » Ahriman secoua la tête, comme sonné, ses larges épaules tremblant de joie, ou de tristesse, ou d’un mélange des deux. Il mit à nouveau ses mains en coupe et tira d’un coup sec les pontes d’Ynnead vers le bas avec un cri de pure exultation. Un haut-le-cœur, et Yvraine se retrouva soudain dans la houle de la bataille, le Visarque et l’Yncarne se dressant derrière elle. « Faites-le, » dit-elle à ses compagnons, en siphonnant le riche réservoir de vitalité eldar qui inondait les tunnels et en le canalisant en une unique explosion d’énergie revigorante. Dans un éclair, Soulseeker le géant d’Iyanden était là, traçant des flammes blanches tandis que son sabre creusait un gouffre dans le cristal de la superstructure de la Toile avec un cri assourdissant. L’Yncarne marcha au bord de la fissure et ouvrit sa bouche impossiblement grand. Il inspira si fort que les Thousand Sons ressuscités furent aspirés vers lui, furent précipités dans le gouffre et tombèrent dans le vide. Ahriman hurla d’incrédulité, chevauchant son disque à leur suite sur une traînée de feu. « Le Dieu qui Murmure donne une nouvelle vie, » dit Yvraine alors que ses Exhumés avançaient pour porter le coup final, « tout comme il la reprend. » |
Choc sur la Lune de Glace
Klaisus est un monde couvert de glace, de montagnes désolées et de vallées balayées par le blizzard. Jugée inutile par les Impériaux à cause de son emplacement reculé, Klaisus ne possède qu’un seul objet d’intérêt pour l’érudit ou le visionnaire : l’ancienne structure xenos au cœur de la chaîne de la Griffe de la Harpie. Cette étrange crête courbée et suspendue en l’air a des flancs ponctués de formes ovales luisant d’une phosphorescence spectrale quand sa fonction est révélée. Cette lune était jadis un avant-poste de l’ancien empire eldar, une gare reliant la convergence du Psychedelta, mais aussi à la bordure orientale de la galaxie, le domaine que l’Humanité nomme Ultramar. |
Ahriman ayant été vaincu et la majeure partie de ses bandes de servants étant piégée de l’autre côté d’un gouffre métaphysique, la bataille du Psychedelta tourna vite en faveur des Exhumés. Yvraine et les siens durent d’abord rebrousser chemin, rejoignant l’arrière-garde à l’entrée du delta et empruntant les deux traverses qui menaient à la sûreté relative des grandes artères. Environ la moitié des leurs avait atteint l’autre côté en vie, mais les pierres-esprits de ceux qui avaient péri avaient été récupérées par les survivants. Ils continueraient le combat, tout comme des dizaines d’Eldars défunts luttaient déjà en Yvraine. L’Yncarne et les Seigneurs Phénix avaient disparu, ne laissant qu’un tunnel rempli des restes de mille Démons qui se délitaient à vue d’œil.
Les Harlequins du Chagrin Nocturne reprirent leur rôle de guides des Ynnari, suivant le rire de Cegorach tel un navire suit la lumière d’un phare. Le Dieu Moqueur était ravi du dernier pari d’Yvraine, et était d’humeur à l’aider à atteindre sa destination. Depuis toujours, Cegorach aimait à tordre la trame du destin pour confondre les Dieux Sombres, mais il lui manquait un frère d’armes, car ses pairs divins avaient jadis été dévorés par l’Assoiffée. Même si être réveillé par Ynnead était triste et sinistre en comparaison de l’attitude colorée et tapageuse de Cegorach, tout ce qui pouvait contrarier Slaanesh valait qu’on lutte en son nom. Reconstituer une trinité de divinités eldars - avec haine en destructeur à la main cruelle, Ynnead en pourvoyeur de vie après la mort et le Dieu Moqueur pour équilibrer les deux - était une cause grandiose. Certains Ynnari parlaient même déjà des dieux comme d’un petit panthéon - et leur rendaient même hommage en pensée, en acte, et en tenue d’apparat, reformant ainsi un microcosme rappelant les anciens Aeldari. En voyant cela, une des Spirites demanda si la trinité féminine homologue inclurait Iyanna Arienal en guise de vierge, Yvraine en tant que mère et Dame Hesperax en vieille harpie - mais un regard acéré d’une Bloodbride du Crucibael lui fit ravaler son hilarité.
Guidés hors de la Toile par le dieu des Harlequins, les Ynnari arrivèrent bientôt sur la lune glaciaire de Klaisus. Orbitant autour de la planète de Kasr Holn, elle était aussi pâle que la peau d’un mort, avec sa surface couverte de blizzards tourbillonnants. L’orbe blanc était apparu clairement dans les visions d’Eldrad. Il redoutait son apparition, car le futur qu’il avait entrevu n’était que neige tachée de sang. Pour les Eldars, c’était un signe effroyable, symbolisant le sang d’Eldanesh versé par Khaine, le dieu de la guerre, et la fin de la concorde entre les Eldars et leurs divinités. Le Grand Prophète espérait encore que ce présage fût inversé, qu’il annonçât un désastre imminent non pas pour les Aeldari, mais pour leurs ennemis. Ils approchaient un carrefour du destin où ils s’allieraient à l’Humanité, et porteraient ainsi un coup sévère aux Dieux Sombres, qui empêcherait la trame de l’univers de se démailler.
Eldrad et des Ynnari ignoraient que le signe concernait quiconque poserait le pied sur la lune maudite de Klaisus. Les hordes meurtrières de la Black Legion d’Abaddon assaillaient déjà l’orbe congelé, faisant la guerre aux impériaux qui avaient suivi la vision de Célestine, la Sainte Vivante. Quand les Ynnari arrivèrent au portail sur la Toile sphérique qui donnait sur les montagnes de la Griffe de la Harpie, ils se réunirent une dernière fois pour communier au nom d’Ynnead. Les guerriers aspects de Biel-Tan furent les premiers à confier leurs âmes au Dieu qui Murmure. Inspirés, ils trouvèrent la force intérieure de retirer leur casque et leur personnalité guerrière, honorant non seulement un des aspects de Khaine, mais également Ynnead, en croyant à une existence par-delà la tombe. S’ils devaient mourir, leurs âmes trouveraient le salut en étant accueillies par les Ynnari à proximité. Ce faisant, les Exhumés priveraient Slaanesh de son festin, rejoindraient Ynnead dans l’après-vie, et continueraient le combat contre le Chaos pour l’éternité.
ADDENDA DOMINUS (Classé Apocellipsis) CLASSE TEMPUS : N/A CLASSE SEVERUS : ALPHA ++++ Inquisiteur ven Ayr, Je soumets ce qui suit à votre attention éclairée. Avec angoisse, ++++ La soudaine détonation du Monde-Forge Glenescrede Raptus a projeté des ondes de choc dans le Bandeau Glenide du Segmentum Pacificus. Les rêves de chaque Psyker dans un rayon de dix-huit Terra-sols standards sont hantés par la même vision : le lever d’un "soleil-démon", conscient et affamé, au milieu du vide glacial. Certaines affirment avoir des visions supplémentaires de dendrites métalliques fouillant des cryptes interdites, attrapant des trésors amorphes qui n’étaient jamais censés voir la lumière du jour. Chaque Psyker qui a rapporté ces visions est devenu l’épicentre d’une incursion de Démons dans la semaine suivante, requérant souvent la mobilisation de douzaines de régiments de l’Astra Militarum pour la purger avec succès - et un coût élevé en termes d’opérations consécutives de purification des esprits nécessaires pour contenir la corruption. Si la teneur précise de ces rêves peut paraître douteuse, la signature énergétique du site de la destruction de Glenescrede ne baisse pas, au contraire, elle s’accroît chaque jour. Bientôt elle dépassera celle d’une géante rouge. Pire encore, il semble qu’elle se déplace, et entraîne des tempêtes Warp à sa suite telle La traînée de débris d’une comète. Selon les calculs des Balevolio, la plus éminente Maison de Navigators de ce segmentum, elle se dirige droit sur le Système Sol. |
Une faction du Culte de la Discorde se présenta pour combattre aux côtés d’Eldrad et des Gardiens Noirs d’Ulthwé. Lelith Hesperax avait ses propres agents ; en entendant la destination d’Yvraine de la bouche de ses contacts Harlequins, elle envoya une force de combattants des arènes pour soutenir la lutte des Ynnari. Si ces Cérastes lui rapportaient que les Ynnari pouvaient réellement lever la malédiction des âmes qui affligeaient les Eldars Noirs, alors Lelith elle-même les chercherait et combattrait pour la cause d’Ynnead. Yvraine soupçonna que les motivations de Lelith fussent purement égoïstes - la belladone des arènes donnerait tout ou presque pour une éternité d’adoration sans avoir à payer un tribut constant en âmes. Mais ses forces ayant été sévèrement entamées par l’attaque d’Ahriman, Yvraine accueillit ses frères de Commorragh à bras ouverts.
Devant la porte sur la Toile, Yvraine dessina des lignes de feu psychique autour de la sphère-verrou suspendue en l’air, déclenchant l’ouverture du portail. La brise froide devint une bourrasque glacée quand la porte déboucla la barrière quantique entre la dimension labyrinthique et le sommet gelé de la Griffe de la Harpie. Les Ynnari plongèrent à travers le portail fractal, pour tomber sur une scène de carnage total.
Le vallon du site du portail encerclé de rochers pointus et de précipices était presque hémisphérique. Au-delà s’étendaient des désolations souillées de sang. Un sentier de cadavres s’étirait sur des milles, nombre des blessés et des mourants se traînant dans la neige fondue ensanglantée en quête d’un abri.
C’étaient les Impériaux dont Eldrad avait parlé, quasiment anéantis par les ravageurs du Chaos. À l’évidence, ils avaient effectué une marche forcée dans la neige en étant assaillis par l’infâme Black Legion, alors qu’ils semblaient chercher la même porte sur la Toile que les Ynnari venaient d’emprunter. Ce fut là qu’ils choisirent de mener leur dernier carré, sans savoir à quel point ils étaient proches de l’antique structure xenos.
Trop obstinés ou trop stupides pour voir qu’ils n’avaient aucune chance, les Impériaux ripostèrent avec une férocité désespérée. Un assortiment hétéroclite de Space Marines Black Templars, Sœurs de bataille, de Gardes Impériaux et de forces de l’Adeptus Mechanicus combattirent aux pieds de Chevaliers Impériaux ravagés, donnant leurs vies pour défendre trois de leurs guerriers - l’Inquisitrice Greyfax de l’Ordo Hereticus, l’Archimagos Dominos Belisarius Cawl, et Célestine, la Sainte Vivante, de Notre Dame des Martyrs.
Les Ynnari saisirent tout cela d’un coup d’œil, car les sens des Eldars sont si affûtés que le blizzard les gêne à peine. Les Windriders et les Gardiens Noirs furent les premiers dans la mêlée, les Cérastes du Culte de la Discorde leur emboîtant le pas. Les Impériaux, poussés au-delà du point de rupture, furent incrédules ou émerveillés de voir les guerriers Ynnari affluer autour d’eux pour déferler sur la Black Legion. Les Space Marines du Chaos avaient traqué leur proie sur Klaisus, pour se voir refuser la mise à mort au dernier moment. C’était désormais le sang de la Black Legion qui rougissait les neiges de la lune, et les corps fumants de mutants et de traîtres à l’Humanité qui jonchaient le sol.
Voir la grande force d’Eldars surgir pour repousser son assaut aurait dû suffire à faire hésiter Abaddon, mais il fonça malgré tout. Deux fois déjà il avait attaqué la crête de la Griffe de la Harpie, et deux fois il en fut rejeté, et ses effectifs furent gravement réduits. Après la troisième tentative, il ordonna rageusement un repli tactique. Les Impériaux débraillés avaient trouvé un abri - en quelque sorte.
La Route du Salut
Dans la sécurité douteuse de la Griffe de la Harpie, le cirque qui accueillait la Porte Fantôme de Klaisus, humains et Eldars s’observaient avec circonspection. Les soldats impériaux étaient exténués, meurtris ou mourants ; à peine une centaine d’entre eux s’était mise en cercle autour du Convoyeur Triaros géant auquel leur Archimagos donnait plus de valeur qu’à la vie. L’ardeur de la bataille brillait encore étonnamment dans le regard de chaque guerrier - ainsi qu’une foi absolue. Les Ynnari, conscients des horreurs que la Black Legion aurait lâchées sur ces malheureux humains, notèrent la détermination des survivants avec une certaine admiration. Se dresser face à l’infâme Abaddon en personne et ne pas céder… c’était un exploit digne des Sombres Muses. Même si cela les dérangeait de ressentir une telle chose, même les Cérastes du Culte de la Discorde éprouvèrent du respect.
Les Eldars, en voyant la silhouette ailée de la Sainte Vivante, ouvrirent un corridor dans leurs rangs entre les chefs des Ynnari et Célestine. À sa gauche il avait l’Inquisitrice Greyfax, qui se méfiait autant de la Sainte que des Xenos. À sa droite, il y avait le prêtre de Mars ; ses servo-yeux suivaient une figure agile qui se déplaçait discrètement parmi les Eldars avant de disparaître entièrement.
Meliniel, Autarque de Biel-Tan, s’avança en premier, suivi d’Yvraine, du Visarque et d’Eldrad. Auréolés d’énergies éthériques, les Eldars ressemblaient à d’anciens monarques sortis du monde des mythes. Pendant qu’ils approchaient, la main de Greyfax se posa sur la poignée de son épée. Le Visarque imita ce geste, empoignant gracieusement Asu-var. Ces petits actes agressifs se répercutèrent chez les guerriers de chaque camp, et s’intensifièrent jusqu’à ce qu’il apparût que le conflit était inévitable. Sans les mots stridents de l’Autarque Meliniel dominant les cris d’alarme, l’Imperium aurait perdu sa meilleure chance d’échapper à la tempête à venir, et les Eldars auraient sombré à jamais dans l’obscurité.
En lâchant son exhortation, Meliniel avait ménagé quelques précieux instants, pendant lesquels il choisit de s’incliner devant la Sainte Vivante. Sa maîtrise des coutumes humaines - et de la langue gothique - était impeccable. Comme Célestine s’avançait pour lui parler, elle nettoya à dessein le sang de sa lame argentée et la rengaina dans son dos, signalant à ses Geminae Superia de rester avec l’Archimagos Cawl et son convoyeur.
Les rares survivants de l’Astra Militarum baissèrent leurs armes, mais n’étaient pas détendus pour autant. Alors que Greyfax s’avançait pour participer aux négociations, les Black Templars étaient sur le fil du rasoir, hésitant entre action et inaction, se jetant des regards noirs comme pour défier leurs Frères de Bataille d’entamer les hostilités. Cawl lâcha quelques syllabes binhariques en Lingua Technis et les tireurs d’élite Skitarii à l’entrée de la vallée braquèrent leurs longs fusils sur l’Autarque qui marchait avec confiance vers la Sainte Vivante.
L’Autarque Meliniel fut le premier à agir. Aux yeux des humains, les prophètes étaient des manipulateurs et des menteurs, et les Drukhari était le mal incarné. Néanmoins, ils écouteraient peut-être un guerrier.
« Je sais que vous nous haïssez, » dit le commandant de Biel-Tan aux chefs humains. « Vous avez de bonnes raisons. Mais de même que vos millions de mondes ont leur propre culture, nous aussi sommes un peuple divisé. Vous avez sous les yeux la portion qui permettra aux humains et aux Eldars de réchapper à leur fin. » « Je ne vois que des paons pomponnés et des monstres dépravés, » cracha l’Inquisitrice Greyfax. Sainte Célestine lui jeta un regard réprobateur, mais la déclaration fut maintenue. Meliniel regarda les étranges acolytes d’Ynnead avant de faire face à Greyfax. « C’est ce que je croyais moi aussi, au début. Plus que les autres, mon peuple a des raisons de craindre l’inconnu. Mais ces visionnaires sont des agents du destin et de l’espoir. » « Votre Sainte et moi avons les mêmes buts, » dit Yvraine. Sa voix était calme et assurée. « Même s’ils lui échappent encore en partie. » « Nous espérons que vous irez jusqu’au bout de votre pèlerinage, » approuva Meliniel. « Vous autres Eldars tordez le destin » dit Greyfax, « et toujours en faveur de vos intérêts égoïstes. » |
« Peut-être, » acquiesça Meliniel. « Mais il n’y a qu’un seul fil qui mène au salut. Et il est très mince. Nos ennemis communs gagnent en pouvoir pendant que nous parlons. Levez les yeux. »
Aucun Impérial ne détacha son regard des Eldars. « Je sais bien, » dit Célestine. « La faille Warp est une blessure infectée. Nous devons l’empêcher de s’envenimer davantage. » « Assez de vos énigmes et de vos platitudes, » dit Greyfax, la lèvre supérieure retroussée. « Pourquoi êtes-vous là, Xenos ? » « Parce que votre souhait d’éviter la fin de toutes choses l’emporte sur votre haine illusoire, » dit Meliniel. « Ceci est un carrefour du destin. Nous croyons qu’ici, en jetant une pierre dans la neige, nous déclencherons une avalanche qui éteindra le feu du Chaos. » « Les Dieux Sombres se lèvent, » dit Yvraine d’un air sombre. « Nous devons nous élever plus haut, pour mieux les renverser. Cette chose est l’espoir, » dit-elle en montrant le convoyeur. « Son propriétaire sera un grand symbole pour votre peuple ; il s’opposera aux Puissances de la Ruine, et repoussera les ténèbres. » Le Visarque fit un pas an avant pour se tenir juste à côté d’Yvraine. « Vous avez gagné une heure, » dit Greyfax. « Convainquez-nous, ou mourez. » |
Les heures de pourparlers se succédèrent, l’atmosphère lourde du sentiment de l’histoire en cours de réalisation. Quand la lumière froide du soleil de Kasr Holn disparut derrière les serres de la Griffe de la Harpie, Eldars et humains étaient parvenus à un accord inédit entre les deux races.
Après que les Eldars eurent présenté leur cas, les chefs impériaux se consultèrent. La Sainte souligna que ses visions les avaient conduits ici, et que le sauvetage des Xenos ne pouvait être une coïncidence. Ce fut alors que Célestine désigna leur prochaine destination - un endroit qui toucha la corde sensible de chaque personne présente. Il était impératif, dit-elle, que la cargaison du Technoprêtre y fût transportée. Sa conviction était telle qu’elle n’eut pas à vérifier que Cawl approuvait en hochant la tête. Étant donné que la seule route possible passait par un domaine semi-mythique dans lequel seuls les Eldars pouvaient s’orienter, rappela Célestine, ils n’avaient guère d’autre choix que de joindre leurs forces. Si les Xenos avaient voulu la mort des Impériaux, ils auraient dû se contenter de regarder la Black Legion exécuter son office, pourtant ils étaient intervenus pour sauver les humains.
Greyfax conseillait toujours la prudence, mais convint que leurs tâches respectives étaient plus importantes que la gratification immédiate de la mise à mort - les Eldars pourraient toujours être abattus une fois leur mission accomplie. Même s’il soupçonnait une supercherie, et avait juré de ne jamais relâcher sa vigilance, le Sénéchal Amalrich des Black Templars finit par rengainer ses armes et donna l’ordre à ses frères de faire de même.
L’accord fut conclu. Les Impériaux acceptaient l’aide des Eldars, se fiant totalement à eux - en vérité, ils n’avaient pas le choix, car s’aventurer dans le dédale de la Toile sans guide était une pure folie. La délégation des Ynnari promit qu’ils feraient vite, qu’ils distanceraient les Space Marines du Chaos qui les poursuivaient et veilleraient à ce que la précieuse charge de l’Archimagos Dominus resterait intacte.
Ainsi les deux croisades n’en firent plus qu’une, dont les pas crissaient dans la neige fraîche pour atteindre l’orbe scintillant du portail fractal sur la Toile. La procession était éclairée par les tempêtes Warp qui défiguraient le firmament, menaçant de dégorger l’irréalité débridée du Warp dans l’ordre de l’univers matériel. Les Eldars s’y engouffrèrent d’abord, rejoignant leurs cousins des Vaisseaux-Mondes de l’autre côté avec des mines solennelles. Les Impériaux passèrent en dernier, tous choqués par la taille de l’ost à l’intérieur, et ouvrirent les yeux sur un monde de merveilles.
Aussi incroyable que fût l’architecture scintillante de la Toile, ce n’était qu’un avant-goût de la splendeur qui allait suivre - le vecteur par lequel les alliés fileraient vers leur vraie destination.
Le domaine d’Ultramar, et Macragge.
Source
- Gathering Storm - Livre II : La Fracture de Biel-Tan, produit par le design studio Games Workshop, 2017