Délivrance (Nouvelle)

De Omnis Bibliotheca
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L’Omnis Bibliotheca est vaste, peut-être vouliez-vous aller voir quelque chose qui porte le même nom : Délivrance


Depuis le sommet de la colline, appuyé sur son javelot, Araga observait la savane. La mer d’herbe jaunie s’étendait tout autour de lui en ondulant doucement sous le vent, brisée ça et là par un arbre ou un affleurement rocheux ; à l’horizon, il pouvait distinguer la masse émeraude de la jungle. L’homme tira une racine rougeâtre de la bourse de fourrure qui pendait à son cou et commença à la mastiquer. Il sentit les effets de sa sève se répandre à travers sa colonne vertébrale, dénouant les liens qui unissaient son corps à son âme : ses membres devinrent gourds et son esprit se prépara à son voyage dans la terre des dieux. Un mouvement attira alors son regard et il leva distraitement les yeux vers le ciel.

Une étoile se décrocha des cieux, tombant telle une flèche vers la colline où il se tenait. Araga savait qu’il s’agissait d’un présage, mais il ne pouvait pas encore savoir s’il était bon ou mauvais. Pendant une centaine de battements de son cœur, il regarda l’objet grossir rapidement, jusqu’à ce que celui-ci s’écrase au pied de la colline dans une éruption de terre et de poussière. Il ressemblait à un œuf gigantesque fait d’une peau de cuir et de plaques osseuses annelées. Sous les yeux d’Araga, l’œuf se fissura et s’ouvrit comme une fleur grotesque. Il y eut un geyser de fluide pourpre, puis une forme imposante tomba maladroitement de l’œuf céleste.

Encore dégoulinante des humeurs de son cocon, elle s’étira et se dressa de toute sa hauteur. Elle était deux fois plus grande qu’Araga, et alors qu’elle se campait sur ses épaisses jambes, elle déplia quatre bras, dont deux étaient terminés par des lames aussi longues qu’un homme. Sa chair pourpre était protégée par des plaques chitineuses entrelacées, des muscles puissants et des tendons épais roulaient sous sa peau. Le cœur d’Araga se mit à battre de plus en plus vite, et la sueur froide qui avait recouvert son corps le fit frissonner comme la créature regardait autour d’elle, semblant humer l’air. Avec un mouvement brusque, la tête d’insecte du monstre pivota vers Araga, l’immobilisant de son regard rougeoyant. Avec une rapidité incroyable pour sa taille, la bête venue des étoiles bondit vers le haut de la colline, ses membres supérieurs griffant la terre pour gagner de la vitesse.

Araga était comme hypnotisé, et ne pouvait ni bouger ni parler. Les étrangers les avaient mis en garde contre des créatures d’au-delà du Vide, des prédateurs venus du fond des étoiles pour dévorer leurs âmes, et il comprit qu’il avait affaire à l’une d’elles. Tandis que le monstre s’élançait sur lui, Araga sentit quelque chose tirailler le fond de sa pensée, et entendit un vrombissement sur sa droite. Il voulut tourner la tête, mais ne put détacher son regard du démon qui se jetait sur lui. La créature n’était plus qu’à quelques enjambées, et se cabra pour attaquer. Un éclair de lumière aveuglante vint alors frapper le Démon du Vide et l’envoya rouler au sol, ses membres s’agitant autour de lui. Délivré du sortilège du monstre, Araga se tourna et vit des créatures de métal avancer vers lui, crachant du feu sur le monstrueux envahisseur. Les Esprits du Ciel étaient venus le sauver !


L’indigène nous regarde avec un air abruti alors que nous ouvrons de nouveau le feu. Je suppose que ce n’est guère surprenant, étant donné que le couteau monomoléculaire le plus banal passe aussitôt pour une création des dieux à leurs yeux. Quelle bande de sauvage. S’ils étaient moins stupides, ils pourraient défendre leur peau et on n’aurait pas à risquer la nôtre. Mon attention se détache de lui lorsque le Lictor se relève : il revient aux Chimères de tirer une autre volée. J’ordonne au reste du peloton de continuer à tirer tout en avançant. Le Lictor bondit vers l’escouade Franx, sifflant comme un foutu cobra ovirien, mais est rapidement taillé en pièces par leurs fusils laser et leur Bolter Lourd. La sale bête s’effondre en se recroquevillant sur elle-même.

Je m’avance pour m’assurer qu’elle est bien morte : on peut jamais être bien sûr avec ces maudits Tyranides. Certains ont des pouvoirs de régénération que vous ne pourriez même pas imaginer. Son sang noir coule dans l’herbe éparse, et il m’a bien l’air d’être un cadavre. Pour être sûr, je sors mon pistolet laser et lui tire six fois dans la tête.

J’appelle mon peloton « Têtes Brûlées ! On embarque et on met les bouts ! »

Une bonne partie d’entre eux retourne vers leurs Chimères, mais Franx, Letts et quelques autres s’approchent de moi. C’est Letts qui commence :

« Ça fait un petit moment qu’on gamberge, Lieutenant Kage, et c’est l’occasion rêvée. J’m’explique : v’là la chance qu’on attendait de se tirer une fois pour toutes de ce cloaque. »

Je les regarde, sans comprendre ce qu’il veut dire.

« À quoi tu penses ? »

« Eh ben, » reprend Franx, « il n’y a que deux kilomètres jusqu’à la jungle. Le Colonel ne nous y retrouvera jamais, et il y a de quoi manger, boire et dormir. Il nous suffit de mettre cap au sud avec les Chimères, et nous sommes de nouveau libres. »

Ses yeux luisent sous ses mèches épaisses, et il fait un pas vers moi.

« Pensez-y ! » poursuit-il. « fini les Têtes Brûlées ! Fini ces foutues missions suicides ! Fini de se demander dans quel enfer on va bien pouvoir atterrir. Des hommes libres, lieutenant, libres ! »

J’ai du mal à y croire. Je me bats aux côtés de Franx depuis un an, et Letts fait partie de la 13ème Légions Pénales depuis deux fois plus longtemps. Comme moi, comme toutes les Têtes Brûlées, ces gars se sont fait exclure de leurs régiments pour faute grave et devront passer le reste de leur vie dans les Légions Pénales. Nous avons arpenté des dizaines de champs de bataille et avons survécu aux pires combats : attaque suicide, actions d’arrière-garde, et autres situations pourries. Il leur a fallu bien plus que des tripes et des muscles pour survivre à tout ça, et j’ai du mal à croire qu’ils soient devenus aussi stupides

« C’est quoi ce plan que vous me faites ? » Ils ont l’air stupéfaits de ma réaction. Franx commence à s’énerver et son visage s’empourpre. Il va y avoir du grabuge si je ne fais pas rapidement quelque chose.

J’essaye de les calmer. « Écoutez, les gars, vous y avez pas vraiment réfléchi, on dirait. Il y a un Vaisseau-Ruche Tyranide là-haut, rempli de bestioles créées spécialement pour nous bouffer la gueule en moins de deux. La seule chose qui empêche le ciel d’être plein de Spores Mycétiques est qu’on a pu s’occuper des Lictors avant qu’ils repèrent Délivrance, ce qui fait qu’ils ne savent pas encore où attaquer. Mais on fait que gagner du temps, parce qu’on pourra pas tous les choper. Et même si on pouvait, il suffirait qu’ils comprennent que d’autres transporteurs vont arriver pour qu’ils envoient la totalité de leurs monstres sur la planète. Moi je vois les choses comme ça : si vous suivez votre plan, vous vous retrouvez à découvert. Je sais que c’est la jungle, mais ça ne les empêchera pas de vous trouver, et si ça arrive, quelles chances vous avez ? Ou alors, vous revenez avec moi à Délivrance, et on se cache derrière ses bons gros murs bien épais, avec trois cents autres Têtes Brûlées, des Sœurs de Bataille et deux mille indigènes pour nous aider à les combattre. À vous de voir, mais si vous persistez dans votre idée, faudra vous servir de vos pattes. Le Commissaire va m’étriper s’il apprend que je vous ai laissé les Chimères. Après tout, il n’est que midi, ce qui vous laisse huit heures de marche jusqu’au trou où vous aurez tout le loisir d’attendre les Tyranides. »

Je vois la compréhension illuminer leur visage comme une éclaircie au milieu d’un orage. Je pensais qu’ils auraient pigé ça tout seuls, mais ça montre bien que certains gars n’apprennent que dans la douleur. Manque de chance, quand vous faites partie des Têtes Brûlées, apprendre dans la douleur équivaut à finir en repas pour les asticots. Ils ne répondent pas, mais se contentent de rebrousser chemin vers les Chimères. Je jette un dernier coup d’œil au Lictor, histoire d’être sûr. C’est bizarre, sur cette planète, n’importe quel autre cadavre serait déjà grouillant d’insectes et survolés par quelques sympathiques charognards. Mais là, rien. Même les asticots osent pas s’approcher d’un Tyranide. De toutes les cochonneries de la galaxie, ces monstres sont les plus affreux.


Nous finissons la battue, puis retour à Délivrance et rapport au Colonel dans le donjon principal. Je peux apercevoir le reste de la mission par la fenêtre, vacillant sous un soleil de plomb. Elle n’est pas bien grande, à peine plus qu’un village. Un peu moins d’un kilomètre de diamètre, un grand bâtiment central, quelques maisons, et bien sûr la redoute faisant également office de temple de l’Ecclésiarchie. Je vois les hommes qui montent la garde sur les parapets, et même à cette distance, je peux sentir leur nervosité.

« Kage ! » aboie le Colonel, et je reviens instantanément sur terre. Il y a lui, moi, et deux de ses lieutenants, Green et Kronin.

« Comme je l’expliquais, » poursuit-il avec humeur « nous avons contacté nos renforts et ils sont à moins de deux jours d’ici : si nous parvenons à tenir bon pendant quarante-huit heures, nous recevrons l’aide de deux régiments entiers de Gardes Impériaux. Les murs seront simples à défendre : ils font six mètres de haut, aussi n’aurons-nous à nous soucier que des Hormagaunts et des Lictors qui risqueront de bondir par-dessus. Nous pourrons abattre les autres pendant qu’ils essayent d’escalader. Ce qui laisse la porte, mais elle est flanquée de deux tourelles garnies d’autocanons, et nous pouvons toujours la renforcer en lui collant une Chimère. Des questions ? »

Kronin s’éclaircit nerveusement la gorge et passe une main sur son crâne clairsemé. C’est un gars maigrichon, avec un air trouillard. Je me demande comment il a eu le cran d’ordonner à son escouade de brûler un temple impérial après en avoir volé les artefacts. Ce qui est encore plus surprenant, c’est que l’Ecclésiarchie n’ait pas demandé - et obtenu - sa tête au bout d’une pique et ses entrailles pour décorer le tout.

« Les Gargouilles, mon colonel ? » demande-t-il.

« Ce n’est pas un problème. » Comme toujours, il est d’un calme glacial, comme s’il se moquait de savoir qu’il allait bientôt devoir se battre pour sa vie dès les prochains jours, peut-être même dès les prochaines heures. Comme toujours, il porte son plus bel uniforme et est rasé de près, comme à la parade. Il est grand, physiquement je veux dire, mais il y a autre chose. Ses yeux d’un bleu perçant et sa force de caractère le font paraître deux fois plus grand que n’importe lequel d’entre nous. J’appellerais pas ça du charisme, parce qu’il n’est pas très causant et plutôt bourru. C’est sa simple présence qui semble remplir la pièce. « Nous avons deux Hydres et ce donjon dispose de quatre emplacements appropriés. Si quelque chose essaye de voler au-dessus des remparts, nous avons de quoi le recevoir. Quoi qu’il en soit, Kage et son peloton restent en réserve derrière les murs. Si les Tyranides arrivent à passer ou nous tombent dessus, ils pourront se rendre où l’on a besoin d’eux. Autre chose ? »

Je regarde par la fenêtre et le soleil m’éblouit en se reflétant sur une armure polie, ce qui me fait penser à quelque chose.

« Les Sœurs. Quel est leur rôle ? » Je pose la question, mais je connais déjà la réponse. « L’Adepta Sororitas est sous les ordres du Ministorum, aussi n’avons-nous aucun contrôle sur leurs actes. J’ai parlé à la Mère Supérieure pour lui expliquer le plan. Je suis sûr qu’elles joueront leur rôle. Idem pour la milice, elle s’occupera des remparts, pendant que nous concentrerons nos forces autour de la porte. C’est là que le combat sera le plus acharné, et c’est là que vous me me trouverez si chose à me dire. »

Pas étonnant. Le Colonel est toujours en première ligne, et s’en est toujours sorti. Seul l’Empereur sait comment il fait. Nous, on est là parce qu’on a fait une bêtise et qu’on s’est fait prendre, mais lui ? Qu’a-t-il fait pour se retrouver là ? Je veux dire, quel genre d’homme pourrait se porter volontaire pour commander une légion pénale de la Garde ? Qu’est-ce qu’un gars a dans la tête pour se fourrer de lui-même dans des coups pourris d’où seul un miracle peut vous sortir, puis y retourner à la première occasion ? Probable qu’il est fou, vraiment givré. On raconte que pendant les voyages spatiaux, il occupe son temps à chercher des moyens de se tuer des fois qu’il soit blessé. Quand, je fais le rapprochement avec les Tyranides, je me rends compte qu’il y a des choses plus effrayantes, parce qu’elles ont forme humaine. C’est ce qu’on dit de lui, d’ailleurs, que c’est un démon sous les traits d’un homme, et lorsqu’il est prêt à se battre, ce qui est le cas en ce moment, on peut facilement le croire.


Le lendemain, vers midi, les Tyranides nous ont finalement trouvés. Peut-être qu’un Lictor nous a échappé, ce qui est possible vu que ces grosses brutes peuvent aussi être drôlement discrètes. Ils peuvent vous renifler à quinze kilomètres et sont couverts d’écailles qui changent de couleur, comme des caméléons. Ou alors, les Tyranides en ont eu marre d’attendre et ont décidé de descendre nous chercher, où qu’on se cache.

La nuit dernière, j’étais sur les remparts et j’ai regardé les spores mycétiques qui tombaient. Un spectacle à vous coller les jetons, croyez-moi. Ça ressemblait à dix tempêtes de météores en même temps, ces étoiles qui tombaient vague après vague. Une vieille superstition dit que si vous voyez une étoile filante, faites un vœu et l’Empereur vous l’accordera. Eh ben toutes ces étoiles filantes représentent un tas de vœux, mais j’ai décidé de les concentrer en un seul gros souhait. Vous voulez savoir ce que c’était ? J’ai souhaité que les étoiles arrêtent un peu de tomber, mais ce n’est pas arrivé. Je suppose qu’un assassin comme moi n’a plus le droit de prier l’Empereur. C’est pourquoi je suis là, à Le servir de la seule façon que je connaisse.

Être coincé là dans cette mission avec tous ces religieux commence à faire son petit effet. Je veux dire, je sais que l’Empereur est notre Seigneur et qu’Il nous protège, mais j’ai toujours pensé que ceux qui pouvaient feraient mieux de se défendre eux-mêmes, parce que l’Empereur protège surtout ceux qui ne peuvent pas le faire. Comme nous, on est là pour défendre les indigènes contre les Tyranides parce qu’ils n’ont que des couteaux, des lances et du courage, ce qui est plutôt bien quand ils se battent entre eux mais aussi inutile contre des Tyranides que tendre la main pour arrêter un obus de Manticore. Cela dit, je suppose qu’après avoir contemplé notre propre mort tomber du ciel, au moment où ça tournera mal et qu’on finira entre les crochets d’un Lictor ou empalés sur les griffes d’un Hormagaunt, ça sera plutôt agréable de penser que c’est pas vraiment fini, que quelqu’un nous attend et que tout ça n’a pas été vain.

Je sais que je dois rester concentré et chasser ces pensées morbides, sinon ce sera mon dernier voyage avec les Têtes Brûlées. Ça risque d’être dur, parce que j’étais sur Ichar IV, j’ai vu la façon dont ils se battent et ce qu’ils peuvent faire à un monde. On était six mille Têtes Brûlées, et moins de cinq cents en ont réchappé. Il paraît que les troupes régulières ont perdu plus d’un million de gars. Il y avait des Titans, et aussi des Space Marines si les rumeurs disent vrai, et il paraît même qu’il y avait quelques Aeldaris. Toutes ces machines, toutes ces armes, tous ces hommes, et nous n’avons gagné que d’un cheveu. Au cours de ma vie, j’ai vu tellement de sang et de tripes que ça ne me fait plus rien, mais s’il y a bien une chose qui me donne des cauchemars, c’est les Tyranides. Ils sont si différents de nous… Même les Orks se battent pour conquérir des territoires, mais les Tyranides se contentent de tout engloutir sur leur chemin, comme si leur but ultime était d’anéantir toute vie dans la galaxie et qu’ils ne comptaient pas se reposer avant d’y être arrivés.

C’est pourquoi j’étais sur les remparts la nuit dernière, à me geler - on ne devinerait jamais qu’il peut faire si chaud pendant la journée et si froid dès la nuit tombée - et à les regarder tomber. À regarder ma mort arriver, pour être précis, parce que j’ai un mauvais pressentiment. Je suis couvert de chair de poule et j’ai l’impression d’être déjà mort, mais que mon corps ne s’en est pas rendu compte. C’est pourquoi j’espère qu’il y a vraiment un Empereur qui écoute nos prières et nous protège. Manque de pot, je ne peux pas compter là-dessus, c’est pourquoi je suis ici à présent, alors que le soleil commence à se coucher derrière la jungle, prêt à me battre comme je ne me suis jamais battu, car notre destin est en marche sur ces plaines.


La vague d’assaut principale s’est abattue sur les remparts. Le soleil est bas et ils nous attaquent dos à lui de façon à nous aveugler. Le Colonel avait raison pour les Gargouilles, et notre DCA s’est montrée efficace. Une centaine d’entre elles est arrivée en plongeant sur le fort, puis les canons ont parlé et ont nettoyé le ciel de leur présence. Certaines ont pu passer le mur, mais les Hydres ont donné de la voix et les ont réduites en charpie. C’était franchement répugnant, ces morceaux de viande brûlée sanguinolente qui nous tombaient dessus comme de la grêle. On a pas eu le temps de nettoyer le foutoir, parce que le reste de la nuée vient d’arriver. Depuis notre position en réserve, à deux cents pas du mur, c’est difficile de savoir exactement ce qui se passe. On a dégagé une zone de tir en démolissant les bâtiments et en utilisant leurs leurs gravats pour ériger des barricades autour de la redoute. Si les Tyranides arrivent à passer, on aura toujours une deuxième ligne. Comme le Colonel l’avait dit, le gros de l’action se passe autour de la porte. Sur le mur sud, les gars sont déployés en trois rangs, tandis que la Sororitas tient le mur ouest. Il y a moitié moins de Sœurs de Bataille que de Têtes Brûlées, mais elles semblent se débrouiller mieux que nous. Cela dit, donnez-nous des bolters et des armures énergétiques, et on vous montrera de quoi on est capables…

Un quart d’heure après le début de l’attaque, les Tyranides font leur première percée. Je vois une horde de Termagants grouiller sur la gauche du mur sud et je réalise qu’il n’y a plus personne pour le défendre.

« Têtes Brûlées ! C’est l’heure de crever ! » Je pousse le cri de guerre habituel et on traverse le champ de tir, en courant aussi vite que possible vers le mur. Le canonnier de la Chimère pige ce qui se passe et des rafales de boiter lourd et de multilaser frappent au cœur des Termagants. Trente secondes crispantes plus tard, nous escaladons les marches en ouvrant le feu avec nos fusils laser. Le tir de soutien de la Chimère cesse dès qu’on atteint les remparts, et je me retrouve encerclé par une nuée de ces horribles créatures.

L’une d’entre elle pointe son arme vivante vers moi, mais j’arrive à la tuer avant qu’elle n’ait le temps de tirer. Soudain, ils nous chargent, j’arrache mon épée tronçonneuse de son fourreau et je l’actionne alors que les autres préparent leurs baïonnettes. Les Termagants mordent et griffent tout ce qui est sur leur chemin, on pourrait les croire stupides s’ils n’attaquaient pas avec une telle synchronisation. Ils se pressent autour de moi, j’ai l’impression que je vais être emporté par cette marée cauchemardesque de dents et de serres et la panique me tord les tripes. L’un d’eux bondit sur moi, ses quatre bras prêts à frapper, mais j’arrive à me fendre et mon épée s’enfonce dans sa carapace, couvrant mon visage de sang extraterrestre. Le goût et l’odeur me donnent envie de vomir. Je tire une rafale dans la tête d’un autre de ces monstres, puis quelque chose vient me frapper dans le dos. L’une des choses s’est accrochée et je n’arrive pas à l’atteindre. Je sens ses griffes lacérer mon gilet pare-balles, j’entends le tissu se déchirer, son souffle chaud est sur ma nuque, sa langue gluante lèche mon cou. Sa mâchoire s’agrippe à mon épaule et j’essaie de pointer mon pistolet laser vers elle pour m’en débarrasser, je ne veux pas être tué par un foutu Termagant, je veux pas crever comme ça.

Avant qu’il n’ait le temps de me donner le coup de grâce, Truko, de l’escouade de Franx, arrive à la rescousse et empale le Termagant. Je le sens desserrer sa prise et glisser de mon dos. Je n’ai pas le temps de remercier Truko, qui est jeté au sol, la moitié de son visage arrachée par une griffe. La créature est ramassée sur elle-même au-dessus du corps, prête à bondir, et ses yeux rouges se posent sur moi. Je vise ses jambes puis j’enfonce l’épée tronçonneuse dans la chair molle de son abdomen. Truko hurle de toutes ses forces, mais je n’ai pas le temps d’abréger ses souffrances. Pas de repos pour les braves, comme on dit.

On les repousse. centimètres par centimètre, en payant de notre sang, jusqu’à ce qu’ils atteignent le bord du mur. Franx en attrape un et le jette depuis le parapet, mais la bête continue de griffer et ruer même dans sa chute. Je regarde par-dessus le rempart et je comprends comment ils ont fait pour entrer. Une pile de cadavres monte jusqu’aux deux tiers du mur, trois mètres de corps d’extraterrestres empilés faisant office d’escalier de chair pour leurs semblables.

« Grenades ! Dégagez-moi ces cadavres ! » Je crie tout en évitant une queue barbelée destinée à ma gorge. Mon épée tronçonneuse entre de nouveau en jeu, émettant un vrombissement aigu en mordant dans les plaques de chitine. Les autres parviennent pourtant à m’entendre et balancent leurs grenades à fragmentation par-dessus le parapet pour déloger le monceau de corps. Marshall est debout sur les remparts, tenant son fusil laser à deux mains et l’utilisant comme une massue pour repousser la nuée qui tente de nous submerger. Les grenades explosent, envoyant des morceaux de chair à la ronde, et la pile de cadavres s’effondre dans une gerbe de sang et de cartilage.

Les Termagants finissent par se replier, mais ce n’est pas fini. Quelque chose d’autre arrive sur nous, très vite. Avec de longs sauts d’insectes, des Hormagaunts donnent l’impression de voler par-dessus le tapis de cadavres. Nous essayons d’en abattre le plus possible, mais il en reste au moins vingt, sinon trente, quand ils atteignent le pied du mur. Ils s’arrêtent pendant moins d’une demi-seconde, le temps d’utiliser les puissants muscles de leurs jambes, et s’élancent par-dessus le mur, le survolant d’un bon mètre, leurs quatre griffes prêtes à tuer. L’une d’elle plonge dans l’épaule de Marshall, et le brave gars la saisit, maintenant la créature collée contre lui. De son autre bras, il attrape le cou d’un deuxième Hormagaunt, puis se jette du haut du mur en les emportant avec lui. Une pince acérée s’abat vers mon ventre, mais j’arrive à la parer avec mon épée et la détache du corps de son propriétaire pendant que le tir de mon pistolet laser traverse l’un de ses yeux vitreux. Le reste de la mêlée se brouille et devient un cauchemar de coups, de pinces, de dents, de griffes, de tirs, de visages bestiaux et d’haleines brûlantes, de membres coupés et d’intestins éparpillés, jusqu’à ce que mes membres deviennent lourds de fatigue, que mon cerveau ne relaie plus d’informations. Je me bats par instinct et rien d’autre.


Nous parvenons à repousser l’assaut, et alors que les Tyranides se replient, un cri de joie résonne près de la porte et ne tarde pas à se répandre sur les remparts. Mes gars se joignent à la clameur, mais il n’y a pas de quoi se réjouir. Le choc de l’affrontement avec le Termagant me rattrape et je me mets à chercher quelque chose à faire pour ne pas penser que j’ai bien failli y passer. Le Colonel est sur le chemin de ronde et avance vers moi. Son visage est aussi sombre que de coutume, je ne l’ai jamais vu sourire. Jamais.

« Kage ! Nettoyez-moi ces morts. J’envoie des équipes de lance-flammes pour dégager le mur. » Puis il tourne les talons et continue, donnant des ordres, divisant les blessés entre ceux qui peuvent encore se battre et ceux qui n’ont plus d’autre choix que de recevoir la paix de l’Empereur. C’est tout. Pas de remerciements, pas de « Bravo, Kage, vous avez tenu les remparts. » Toujours plus d’ordres, toujours plus de corvées, toujours plus de combats et de morts. Mes hommes jettent les cadavres par-dessus le mur, et je constate que les lance-flammes sont déjà à l’œuvre, carbonisant les morts. Je les laisse à leur sale boulot et pars à la suite du Colonel.

Je le retrouve devant le fort, parlant avec Nathaniel, le Missionnaire à la tête de la station. Ils ont l’air de ne pas être d’accord.

« Ces hommes ont besoin de soins, vous ne pouvez leur demander de se battre, » se plaint Nathaniel.

« Si ces hommes ne peuvent pas se battre, ils sont morts, Missionnaire. Nous avons besoin de tous les bras disponibles pour tenir les murs. » répond-il de sa voix basse et rocailleuse. C’est la première fois que j’ai l’occasion de le voir clairement depuis le début du combat, son uniforme est couvert de sang, extraterrestre et humain, mais il ne semble pas que ce soit le sien. En fait, il n’a même pas une égratignure, pas une foutue coupure. J’ai soudain froid dans le dos mais j’essaye de ne pas y penser. Nathaniel continue de protester, mais le Colonel lève la main et l’interrompt.

« Ces hommes ne méritent pas votre compassion, » dit-il, ses yeux étincelant comme le soleil sur la glace. « Ce sont des voleurs, des assassins, des pillards, des violeurs, des insurgés et des hérétiques. Chaque péché imaginable a déjà été commis par au moins l’un d’entre eux. Pire que tout, ce sont des traîtres. Ils servaient autrefois en tant qu’hommes libres dans la grande armée de la Garde Impériale, mais ont trahi la confiance que l’Empereur et Ses serviteurs leur ont accordée. Ils ont brisé les préceptes des Lois Impériales, ont blasphémé contre la bienveillance du Maître de l’Humanité par leur égoïsme et je dois les punir pour leurs crimes. »

« Seul l’Empereur a le droit de juger nos péchés. » rétorque Nathaniel.

« Et ce n’est que dans la mort que nous pourrons recevoir Son jugement, » complète le Colonel. Nathaniel le regarde longuement puis s’éloigne.

« N’oubliez pas, Nathaniel, » ajoute le Colonel, « servez l’Empereur dès aujourd’hui car demain vous serez peut-être mort ! » Et soudain, l’espace d’un instant, rien qu’une fraction de seconde, on dirait qu’un sourire se dessine sur les lèvres du colonel Schaeffer, une ombre de satisfaction, comme s’il connaissait un secret que le reste de la galaxie ignore.

« Kage ! » Il m’appelle, comme s’il sentait que j’étais dans les parages, et me fait signe de m’approcher. « Comme vous devez le savoir, ce n’était que la première vague. J’ignore quand arriveront les suivantes, alors restez sur vos gardes. Le soleil va se coucher dans moins d’une heure et je pense qu’ils attendront la nuit avant d’attaquer à nouveau. Vous et votre peloton serez postés près de la porte. Ce premier assaut servi qu’a tester nos défenses et à estimer nos forces. Ils savent que nous avons failli être débordés près de la porte, et c’est probablement là qu’ils lanceront le gros de leurs troupes. Nous devons la défendre quoi qu’il nous en coûte, Kage, ou tout est perdu. Restez dans les parages, mais attendez mon signal. Et ne laissez rien vous distraire et vous éloigner de vos positions. Je me suis bien fait comprendre ? »

« Parfaitement, mon colonel ! » je réponds automatiquement, comme si je n’avais pas déjà imaginé ce scénario. Pour l’instant, on a eu les Gargouilles, les Hormagaunts et les Termagants, la chair à canon en quelque sorte. La prochaine fois, ça risque d’être pire. Ils nous enverront les Guerriers, les Carnifex, et peut-être même la plus grosse bête qui soit, un Tyran des Ruches.

« Alors vous savez ce qui vous reste à faire, lieutenant. Rompez ! Tout le monde à son poste d’ici une demi-heure ! » Puis il repart en appelant Green et Kronin.


Le colonel avait raison. Le bougre a toujours raison. La nuit tombe rapidement et les Tyranides attendent le moment opportun. J’aide le peloton de Kronin à installer les projecteurs des Chimères sur les murs. L’air est saturé du vrombissement des générateurs portables, mais on peut pas compter sur nos oreilles parce que ces maudits Tyranides peuvent être discrets quand ils le veulent. Ça fait partie des choses effrayantes, ce silence, pas de cris de guerre, par de chants de combat, juste des nuées de monstres fonçant vers vous. Lorsqu’ils se battent, ils sifflent beaucoup, mais je doute qu’ils aient un langage. Ce ne sont que des animaux, sacrément bien organisés, mais quand même des insectes. C’est comme ces guêpes que j’ai pu voir sur Antreides, qui semblent toujours savoir ce que fabriquent les autres. Si l’une d’elles vous trouve, les autres rappliquent sans attendre, exactement comme les Lictors qui trouvent la proie pour le reste de l’essaim.

Je suis donc sur les murs, à vérifier que les branchements sont corrects, lorsque les projecteurs s’allument. La bleusaille les dirige loin des murs, comme pour être prévenus dès que possible, ce que je peux comprendre. Le problème, c’est qu’à cette distance la lumière est trop faible pour qu’on puisse voir quoi que ce soit. J’en attrape un et le pointe à à peu près soixante-dix mètres. J’aperçois une ombre mouvante et je crie aux autres de suivre mon exemple. Le spectacle fait courir un frisson dans mon dos, une sensation que je connais mal mais qui commence à devenir familière. Il y a un énorme essaim de Termagants, rampant dans les herbes, suivi par des Guerriers, de grosses bestioles hautes comme deux hommes, leurs quatre membres supérieurs transformés en diverses armes de tir et de corps à corps. Ils rampent tous vers nous, leurs plaques chitineuses et leurs articulations osseuses luisant sous la lumière des projecteurs. Elle se reflète aussi dans leurs yeux, une myriade de points brillants tournés vers le fort, et leurs regards n’expriment ni vie, ni émotion, rien. Pas même la faim qu’on pourrait imaginer du fait que cette race dévore des planètes entières.

Les seuls yeux plus froids que je connaisse sont ceux du Colonel Schaeffer, mais on sait tous qu’il n’est pas humain.

Je hurle: « Choisissez vos cibles ! Ouvrez le feu !". Ils s’exécutent, d’abord à coups de lance-missiles et d’autocanons, puis avec leurs fusils laser lorsque les Tyranides comprennent que la partie a commencé et émergent des hautes herbes pour nous charger. Je leur jette un dernier regard, les explosions soulignant leurs formes arachnéennes et leurs faciès grimaçants, puis redescends des remparts pour rejoindre mon peloton.

« Les gars, tenez-vous prêts, » leur dis-je. « Suivez-moi et restez groupés. Si vous vous dispersez, ils vous auront sans problème. Visez la chair, vos fusils laser auront autant d’effet sur leurs carapaces qu’un coup de poing sur un Leman Russ. Surveillez aussi vos munitions. La soirée risque d’être longue et j’ai pas envie d’affronter ces punaises à mains nues. Une dernière chose : évitez de vous faire tuer, j’ai pas envie d’avoir à pouponner une nouvelle livraison de bleusaille. Si vous me laissez tomber, soyez sûrs que je reviendrai vous hanter pour le reste de votre misérable vie en vous rappelant quelle foutue bande de fils d’Orks à foie jaune vous êtes ! »

Ça les fait sourire. Personnellement, je me fiche comme d’une guigne de ces discours d’avant la bataille, mais visiblement, ça rassure certains. On commence quand même à devenir nerveux. Je veux dire, on a beau être une bande de durs à cuire avec pas grand-chose dans le citron, c’est pas facile de surmonter l’horreur des Tyranides. Ils font plus que vous tuer. Ils vous dévorent, vous prennent tout ce que vous êtes, tout ce que vous auriez pu être et en font quelque chose d’horrible. C’est vraiment dégueulasse, croyez-moi.

Les tirs continuent de pleuvoir depuis le haut des remparts, je suppose donc que jusque-là tout va bien. Je me permets donc de jeter un œil aux Sœurs de Bataille qui se battent aux côtés des indigènes. Une scène vraiment bizarre. Imaginez un millier de guerriers à la peau sombre et luisante de sueur, lançant des javelots ou utilisant des arcs en poussant des cris de guerre caverneux. Et puis il y a la Sororitas. Elles chantent en chœur, leurs voix unies dans leur prière à l’Empereur. Je n’arrive pas à distinguer les mots, mais ces chants s’insinuent en moi et affermissent mon courage. Ce sont des chants de défi et de piété, et elles tirent des rafales méthodiques de leurs Bolters tout en chantant, illuminant les ténèbres de leurs projectiles.

Soudain, une bande d’indigènes part dans toutes les directions, hurlant comme des possédés tout en griffant leurs visages et leurs poitrines. Ça, c’est sûrement un tir de crache-mort, une arme biologique envoyant-une espèce d’insecte explosif qui projette un acide capable à long terme de traverser n’importe quoi. Sur la peau nue des indigènes, les effets sont mortels. Je détourne les yeux, essaye d’oublier leurs hurlements d’agonie et me concentre sur ce qui se passe près de la porte.


Un corps à corps fait rage et je repère le Colonel, une épée énergétique étincelante dans une main, un pistolet Bolter dans l’autre. Pendant que les autres soldats essaient désespérément de repousser leurs ennemis, il se contente d’aller de droite et de gauche comme si de rien n’était, abattant un ennemi à chacun de ses coups ou de ses tirs. Je vois la forme d’un Lictor se dresser derrière lui, mais il se contente de pivoter sur ses talons, crible de bolts le visage du monstre, puis tranche ses jambes en deux coups d’épée, aussi calme que s’il se taillait une tranche de rosbif. Il est tellement froid qu’à côté de lui les Sœurs de Bataille semblent extraverties, et pourtant, les regards qu’elles posent sur de la racaille comme nous sont plus glacials qu’une nuit sur Valhalla.

Quelque chose apparaît alors côté ouest de la porte et je manque d’avaler ma propre langue sous l’effet de la terreur. Se découpant sur la lune, se dresse un Tyran des Ruches, faisant presque trois fois la taille des hommes autour de lui. Deux de ses bras ont fusionné pour former une sorte d’arme vivante, et les deux autres se terminent par de gigantesques faux. Derrière lui, sa queue surdimensionnée fouette l’air, terminée par un aiguillon plus long qu’un bras. Une paire de mandibules capables de couper un homme en deux claque devant sa bouche et son corps est couvert de plaques chitineuses et d’excroissances osseuses.

Il fait feu de son canon venin au milieu de la mêlée de la porte, touchant gardes et Tyranides sans discrimination, puis sa tête se renverse en arrière et émet un long et horrible hurlement qui semble parcourir comme une vague’ les remparts, faisant vaciller d’effroi les hommes ou les paralysant, ce qui laisse le temps aux Termagants et aux Guerriers de les tailler en pièce. Le Tyran des Ruches descend du parapet, ses sabots faisant voler des éclats de pierre sous son poids. Parcourant le carnage, son regard se pose sur le Colonel en train de rallier ses hommes pour la contre-attaque. Ils chargent, mais leurs tirs de laser rebondissent sans effets sur la carapace de la bête, et leurs baïonnettes se brisent sur ses plaques de cartilage. L’une de ses griffes s’abat et quatre hommes mordent la poussière dans un jet de sang. La chose frappe de nouveau, ouvre la poitrine d’un garde et l’envoie voler contre un mur. Cette fois, même le Colonel risque d’y passer. Il se taille un chemin au travers d’un essaim de Guerriers, s’efforçant d’atteindre le Prince. Il s’arrête un instant et son regard pose sur nous. D’un geste, il nous donne l’ordre d’attaquer.

« C’est reparti, les Têtes Brûlées ! » Je donne l’ordre et me rue vers le mur. Au bout de trois pas. je me rends compte que quelque chose cloche. Je suis seul. Je m’arrête et jette un œil autour de moi. Mes gars sont immobiles et regardent le Tyran des Ruches massacrer une nouvelle escouade.

« C’est quoi votre problème ? » J’attrape le Sergent Feonix par le colback et le pousse vers le mur, mais il se retourne et montre les dents.

« C’est de la folie ! » crie-t-il par-dessus le bruit combats. « C’est un foutu Prince de, il va tous nous tuer ! Faut qu’on se tire d’ici le plus vite possible, Délivrance est perdue ! Admettez-le, Kage ! » Il se calme un peu et me fixe avec insistance. « On peut plus rien y faire mais on peut encore sauver notre peau ! Vous êtes pas un martyr et vous le savez aussi bien que moi. »

Il a raison, mais quelque chose accroche soudain mon regard. De nouvelles lumières tombent du ciel en décrivant une courbe depuis l’orbite de Délivrance. Je jette un nouveau coup d’œil vers la porte et la vois qui frémit sous les coups de boutoir d’un monstre probablement gigantesque. Il faut prendre une décision.

« Regardez, » leur dis-je en montrant les points lumineux tombant vers le sud. « Personne ne sortira d’ici vivant. Ça, c’est d’autres spores mycétiques, on va bientôt être encerclés et il n’y aura pas moyen de s’échapper avant que ces choses arrivent".

Kruzo, de l’escouade de Letts, ouvre la bouche pour parler mais je le coupe.

« C’est fini pour nous, les enfants. On va mourir sur Délivrance, alors vous avez deux options. Vous pouvez mourir en fuyant comme les voleurs et les lâches que tout le monde pense que vous êtes. Il vous suffit de passer par-dessus le mur et de vous cacher. Facile, non ? Le hic, c’est qu’ils ne mettront pas bien longtemps à vous trouver lorsque vous vous retrouverez tout seul dans la nuit, planqués dans les herbes à vous ch… » Un craquement venu de la porte me distrait et je me tourne pour voir de quoi il retourne. La Chimère qui la bloque commence à vaciller sur ses chenilles. Tout sera bientôt fini, il faut que je m’active.

« Bande de larves ! On a rien à perdre sinon notre fierté ! Je me fous des indigènes, de l’Empereur et même du Colonel, ce qui m’intéresse c’est comment je vais mourir, et ça sera pas le dos tourné ni à genoux. Je veux mourir en me battant comme un homme, et s’il y en a parmi vous qui ont des tripes, ils feraient mieux de me suivre. Les autres, vous pouvez courir vous cacher et crever en rampant comme les chiens que vous êtes ! » Je crache par terre devant eux avant de retourner vers les portes. Je prends un gros risque, parce que s’ils ne suivent pas, je vais me retrouver tout seul face à la grosse bestiole, quelle qu’elle soit, qui est capable de se creuser un passage à travers un mètre de plastacier. J’entends alors des bruits de bottes et je comprends qu’ils me suivent. Les pauvres bougres ont marché.

Je lève les yeux. Le Tyran des Ruches n’est plus là, mais je vois toujours le Colonel faisant des moulinets avec sa grosse épée énergétique. Seul l’Empereur sait comment il a pu réussir ce coup-là, et si je survis à la nuit, j’essaierai de le découvrir. Dans un hurlement de plastacier déchiré, la porte cède et la Chimère est poussée vers nous. Avec un bruit semblable à un char s’écrasant contre un immeuble, le transport de troupes est projeté en l’air, puis s’écrase et son carburant s’embrase, une énorme colonne de feu qui s’élève sur plusieurs dizaines de mètres. Au travers de la fumée et des flammes. je distingue une vision que j’emporterai dans ma tombe, en espérant que ça n’avive pas trop vite.

La lueur rouge illumine une immense créature de plus de trois mètres de haut et d’autant de large. Elle ressemble à une sorte de Carnifex, mais différent de tout ce que j’ai pu voir jusque-là. Elle a quatre bras terminés par des faux, ce qui est assez ordinaire, mais ses plaques osseuses dépassent largement de ses épaules, couronnées de rangées de piques comme s’il s’agissait d’un bélier de siège vivant. Entre ses immenses épaules, sa tête semble avoir fusionné avec son corps, une large gueule hérissée de crocs ouverte sur un rugissement perpétuel. Des morceaux de métal pendent encore de ses piquants alors qu’il avance au travers des flammes, tel un diable sorti de l’enfer. Sans ralentir, il pousse l’épave de la Chimère et je vois avec horreur qu’un morceau du véhicule brûlant est resté accroché à ses plaques. Les flammes courent à présent sur sa carapace, mais il continue d’avancer comme s’il ne ressentait rien.

« Descendez-moi ça ! » Mon cri les réveille tous d’un coup, Breiden ouvre le feu avec son canon laser et un rayon d’énergie assez puissant pour détruire un char d’assaut blesse le Carnifex à la tête. Un sang noir et épais se met à couler sur son exosquelette. Le Bolter Lourd de l’escouade de Franz entre en jeu, criblant les jambes massives du monstre de balles explosives. Mais celui-ci continue d’avancer et le sol tremble sous son pas pesant. Il s’arrête un instant, ses yeux maléfiques se braquent sur nous, illuminés par les flammes. Ses bras s’écartent, sa bouche caverneuse s’ouvre et il pousse un rugissement qu’on peut sûrement entendre depuis l’espace. Il commence à courir, gagnant de l’élan à chaque pas, nos tirs rebondissant sur sa carapace alors qu’il fonce sur nous. Une fois de plus, il ouvre la bouche pour rugir mais Breiden, probablement inspiré par l’Empereur, choisit ce moment pour faire feu, et le rayon du canon laser frappe l’intérieur de sa gueule, réduisant sa tête en bouillie et faisant voler des morceaux de son crâne aux quatre coins de la cour. Pendant un instant, j’ai peur que même ça ne soit pas suffisant car il continue d’avancer vers nous, puis son corps comprend ce qui se passe et il finit par s’effondrer, une mare de fluides visqueux s’étalant autour de son gigantesque cadavre.

Je pousse un soupir de soulagement, content que cette bande d’abrutis ait fini malgré tout par me suivre, sinon, je ne serais sûrement guère plus qu’une tache sur les griffes du monstre. Alors que mon pouls redescend en dessous d’un million de battements par minute, le reste des Tyranides commence à s’engouffrer par l’ouverture, menés par un essaim de Guerriers tirant avec leurs crache-morts et leurs dévoreurs tout en avançant. Les hommes s’écroulent autour de moi et un jet d’acide touche mon bras. La douleur est insupportable et je me penche pour ramasser une poignée de terre et en frotter la blessure. Mon bras droit est engourdi, je lâche mon pistolet laser et serre la garde de mon épée tronçonneuse dans ma main gauche. Les premiers Guerriers Tyranides sont abattus par les canons laser et les bolters lourds, mais de plus en plus de créatures entrent dans la cour. Je jette un œil alentour pour voir comment s’en sort mon peloton et je découvre que nous ne sommes plus qu’une vingtaine. Je croise le regard de Franz et vois son désespoir se muer en une fierté sauvage. Comme si un ordre silencieux avait été donné, nous chargeons tous ensemble la marée de monstres menaçant d’engloutir Délivrance. Mon épée s’abat dans de la chair et je perçois un hurlement inhumain, je ne cherche pas à savoir ce qui se passe, je frappe de haut en bas, de droite et de gauche, taillant aveuglément. La nuée d’extraterrestres est si dense que chacun de mes coups touche quelque chose.

Soudain, une énorme patte griffue, plus grosse encore que celle d’un ours cthelléen, jaillit de l’obscurité et s’abat sur mon visage. Ma tête commence à tourner et j’ai à peine conscience qu’une chose pointue s’enfonce dans ma cuisse. Quelque chose de chaud et humide commence à ruisseler le long de ma jambe, et je baisse les yeux, à moitié inconscient, pour voir mon sang couler dans la poussière. J’essaie d’avancer mais mes forces m’abandonnent. Je tombe à genoux, sentant une chair étrange me frôler puis me dépasser, me laissant pour mort. Une ombre descend sur moi et j’ai l’impression de tomber lentement au fond d’un puits. Des chants parviennent à mes oreilles, un chœur angélique chantant les louanges de l’Empereur. C’est donc ça, mourir. Il y a bien un Empereur, malgré tout, et je vais connaître ma sentence, comme l’ont dit Nathaniel et le Colonel. Mes pensées s’enlisent, mais pour la première fois en dix ans de combats, je me sens fier. Cette fois, je ne me suis pas enfui, j’ai fait face. Je suis mort, mais je suis mort les armes à la main. J’espère que ça aura son importance.


J’entends des voix, des cris, des ordres aboyés. Je suppose donc que je suis vivant et que j’avais deviné juste pour ce qui était des lumières tombant du ciel. J’essaie d’ouvrir les yeux, mais le gauche reste clos. Je lève faiblement un bras, et touche ma tempe gauche. Une douleur instantanée en irradie, j’ai une bosse de la taille d’un gros œuf et mon œil est probablement scellé par une croûte de sang. Mon bras droit est emmailloté et refuse de bouger.

Par mon œil valide, je vois des troupes aller et venir, ainsi qu’un escadron de trois Leman Russ faire chauffer ses moteurs avant de se diriger vers la porte. Je devine qu’on m’a adossé à la redoute, car je sens la pierre rugueuse contre mon dos. Je tourne lentement la tête à gauche et à droite, craignant de me sentir nauséeux, et découvre qu’il y a d’autres blessés comme moi, couverts de pansements sanguinolents. Le Colonel passe devant nous et remarque que j’ai repris conscience. Il vient se planter devant moi, bloquant la vive lumière du soleil. Je ne peux distinguer son visage au milieu de l’ombre, mais je sens qu’il me regarde fixement.

« Encore parmi nous, Kage d’une voix toujours aussi bourrue.

« J’en ai bien peur, mon colonel. C’est dur d’arrêter une fois qu’on a commencé. » J’essaye de sourire, mais mon visage est un masque de douleur.

« On m’a raconté ce qui s’est passé, » dit-il en s’agenouillant de façon à ce que je puisse voir son regard glacial. « Dites-moi franchement, Kage, vous auriez pu vous enfuir : vous en aviez l’occasion et ça vous est déjà arrivé par le passé. Pourquoi êtes-vous resté à vous battre ? »

J’essaie de lui renvoyer un regard aussi ferme que possible avec mon œil unique.

« Eh bien, mon colonel, j’ai vu les lumières qui descendaient et j’ai compris que c’était celles des transporteurs de la Garde Impériale. Les spores mycétiques descendent en piqué, mais celles-là avaient une trajectoire d’atterrissage. Je savais que Délivrance serait sauvée. Hélas, il fallait tenir bon car si les Tyranides entraient dans le fort, ils nous tueraient tous. On ne peut échapper à ces créatures. »

Le Colonel fronce les sourcils.

« Alors pourquoi avoir fait croire à vos hommes que de nouvelles spores arrivaient alors qu’il s’agissait des renforts ? » demande-t-il.

Je lui rétorque : « Vous devez vous en douter, mon colonel, » parce que ça me semble évident, « Si je leur avais dit que les renforts arrivaient, ils auraient perdu le peu de courage qu’ils avaient. Ils auraient pensé qu’ils avaient une chance de s’échapper. Comme je l’ai dit, c’était impossible, aussi j’ai fait la seule chose que je pouvais faire : je les ai privés de ce faux espoir, les laissant sans autre raison de se battre que la survie. Vous voyez, mon Colonel, quand on a plus de raison de lutter, on lutte quand même pour sa vie. Laissez à un gars la chance de reculer et il la saisira sans demander son reste, ne lui laissez rien et il prendra ce qu’il peut des deux mains et s’y accrochera tant qu’il pourra. Il se battra jusqu’au dernier souffle pour pouvoir respirer une dernière fois, pour sentir son cœur battre une fois de plus avant de mourir. Si vous jetez quelqu’un au milieu d’une bataille avec une arme, il se battra de toutes ses forces parce qu’il n’a pas d’autre solution. C’est comme ça que fonctionnent les Têtes Brûlées, mon colonel, et vous le savez parce que c’est précisément la méthode que vous appliquez. On n’a pas d’autre choix que de se battre, et de se battre avec acharnement, sinon on y passe. Aucun de nous ne veut mourir et c’est pour ça qu’on fera tout ce qu’on peut, même vos foutues missions suicides, simplement pour vivre un peu plus longtemps. C’est pour ça que je me bats. C’est pour ça qu’ils se battent tous. »

Il se contente de grogner et se relève. Il tourne sur ses talons et commence à s’éloigner, mais je le rappelle.

« Il y a une autre raison pour laquelle je me bats, mon colonel ! »

Il se retourne et me fixe, un sourcil haussé en signe d’interrogation.

« J’veux pas vous donner la foutue satisfaction d’me voir crever !"

"Délivrance", publiée pour la première fois dans Inferno ! 12, se passe quelques minutes avant le début de "13th Legion", le roman de Gavin Thorpe publié par Black Library

Source

Pensée du Jour : « Ne vous dressez pas entre l’Inquisiteur et l’hérétique. »
  • White Dwarf N°102 (Octobre 2002)