Bataille d'Idolatros
Le Lion sommeilla longtemps dans le sillage de la tragédie. Son esprit endormi erra, suivant d’étranges chemins dans les forêts embrumées d’un monde disloqué tandis que lentement, si lentement, son corps brisé guérissait. Monstrueuses et incompréhensibles furent les choses qu’il chassa dans des clairières fantomatiques, tandis que hors de sa crypte, les étoiles tournaient et le sable du temps tourbillonnait dans des ouragans. Le Lion dormit. L’obscurité s’approfondit entre les étoiles. Les tragédies s’accumulèrent. L’espoir devint la drogue des fous, et même des héros tels Lion El’Jonson devinrent des mythes méconnus.
Vint enfin la lumière.
Puis l’éveil.
Marchant fièrement, déterminé, cuirassé, lame en main. Cagoulé et vigilant, l’esprit libéré de ses vieilles vérités, le corps brûlant d’une vitalité nouvelle, et les cœurs battant avec la froide résolution de la vengeance.
Écartant des voiles d’ombre argentée à travers les fantômes des forêts assassinées de Caliban, le Lion arpenta à nouveau la galaxie. Pour la loyauté. Pour la traque.
Pour l’Empereur.
AUTEUR: Copiste Antonus
DÉBUT DU RAPPORT>>>
Seigneur Dante, je vous présente mon résumé de l’effort d’augure et d’investigation entrepris sur votre ordre par le Librarius. Je loue les Frères de Bataille qui nous ont aidés dans cette quête, et honore ceux qui firent le sacrifice ultime en son nom. Les autojournaux, les analyses prophétiques, les rapports de combat et autres sont dans les fichiers en annexe.
Comme vous le savez, Seigneur, nous avons d’abord détecté l’empreinte psychique unique de notre cible pendant l’abordage du Night Terror, une Arche Fatidique. Nous n’y avons trouvé que les corps déchiquetés de son équipage hérétique, ainsi que des traces de végétaux anormaux et flétris. L’analyse pronostique et empyro-énergétique des échantillons a révélé une piste.
Tandis que les Arches Fatidiques ravageaient la galaxie, nos agents remontaient cette piste sillonnant les étoiles. Traquer ces manifestations mit notre Librarius à rude épreuve, surtout au milieu des tourments de l’Imperium Nihilus. Il est probable que nous n’ayons identifié qu’une poignée de ses apparitions. Mais cela a suffi.
À chaque fois, la signature correspond à l’arrivée d’un être singulier qui a reçu de nombreux noms. Sur Kataryk, on l’appelle le Chevalier Impitoyable ; dans l’étendue de Chalnath on le nomme Terme à la Tyrannie ; Tueur de Bêtes sur Maidos V ; le Géant Encapuchonné sur Lucitaine Bêta ; sur la Route Brisée, les pèlerins osent même l’appeler l’Empereur Incarné.
Si de nombreux témoins s’égarent dans la mythologie, certaines similitudes demeurent. C’est un guerrier plus grand que n’importe quel Frère de Bataille, mais vêtu d’une Armure Énergétique ouvragée, d’une capuche et d’une cape. Il manie une épée puissante et un bouclier d’or étincelant.
Il émerge des chemins ombragés d’une forêt ténébreuse qui n’existe pas vraiment. Sa haine du Chaos sous toutes ses formes est absolue. Il élimine les monstres et les tyrans rapidement et consciencieusement. Il se bat parfois seul, parfois accompagné de mystérieux membres de l’Adeptus Astartes en armure noire.
Les picts et vids que nous avons récupérées, vraiment remarquables par endroits, corroborent ces récits. Toutes sont incluses dans les fichiers. Avec la divination empyréenne, l’augure analytique et l’échantillonnage macrospectral, elles nous ont aidés à combler notre retard dans cette quête. Je n’ose spéculer sur la nature et l’identité de cet être, mon Seigneur, car vous êtes aussi capable que moi de tirer les conclusions évidentes et surprenantes. De fait, dans le fichier 001/Primus/H67P, je fournis simplement les coordonnées autoprophétiques où le Librarius pense que cet être peut être intercepté.
NOTATUM SECUNDUS : Ce rapport comporte un sous-dossier W4D87/V/R. Suit un compte rendu complet de l’Archiviste Venato Rhalion et de ses actions courageuses, quoique coûteuses, à bord du Herald of Misery. C’est grâce au sacrifice de nombreux Frères de Bataille que nous avons enfin pu trianguler les coordonnées astronomiques. Mon Seigneur, nous savons enfin où ces "Fragments-clés" sont envoyés. C’est un système aux frontières de la faille Warp appelée Étoiles Somnium. Dès que notre poursuite sera terminée, j’insiste pour que nous nous hâtions d’inspecter cet endroit avec tout le soutien possible. Mon instinct me souffle que les deux quêtes sont liées et que de grands malheurs peuvent survenir lors de leur résolution. Que le Primarque guide nos pas ces jours prochains.
Borz fut longtemps un de ceux que les Dark Angels nommèrent Déchus. C’était un guerrier imposant dont l’Armure Énergétique noire portait les stigmates d’un long service, des cicatrices à la mesure de celles qui marbraient son corps et son âme. Une plaque de métal était vissée dans son crâne pour couvrir son œil manquant. Son Gantelet Énergétique crépitant était d’un modèle ancien mais vénérable. Son esprit était un entrepôt fatigué, assiégé par l’attrition d’un âge extrême et de passages fréquents dans l’océan souillé du Warp, mais encore capable de se rappeler par bribes la chute de la jadis puissante Caliban. Borz se souvenait du sombre charisme de Luther. Il se remémorait des moments de la dernière bataille qui avait vu le monde natal des Dark Angels exploser et les Déchus s’éparpiller dans la galaxie à cause d’une tempête Warp colossale. Et il ne se souvenait que trop bien des années innombrables depuis, vécues en exil, chassé d’un abri à l’autre.
Il n’aurait jamais pensé se retrouver dans une salle d’entraînement à bord de l’Absolution’s Ire, un Croiseur d'Attaque Blood Angel, entouré de Space Marines loyalistes. Jusqu’à récemment, il aurait considéré ces guerriers comme des ennemis aussi sûrement que l’engeance du Chaos.
Son seigneur avait changé tout cela. Son seigneur. Le Primarque Lion El'Jonson, le demi dieu qui avait pardonné ses péchés, attisé en lui une loyauté qu’il n’aurait plus cru ressentir, lui avait offert une seconde chance de rédemption dans la fidélité à l’Humanité et à son sire génétique. Le même être qui fonçait maintenant vers lui, une lame relique luisante à la main.
L’adrénaline submergea Borz quand le Lion leva Féale, son épée, dans un arc de cercle au-dessus de sa tête et l’abattit comme la foudre.
Borz interposa son Gantelet Énergétique pour bloquer le coup. La force de l’attaque le fit tomber à genoux, mais derrière cet impact dévastateur, il sentit de la précision et de la maîtrise. Le choc aurait pu, il le savait, être bien plus puissant. Féale aurait pu trancher son poing et son corps, sans s’arrêter avant de se ficher dans le sol de la salle.
« Vous me ménagez, Seigneur. » grogna-t-il. Borz se libéra, trouvant un peu d’espace pour se glisser sous la lame et rouler sur le côté.
Les lèvres du Lion ébauchèrent un sourire dur.
« Je ne vois aucun intérêt à te briser, Borz. Tu es plus utile comme partenaire, corps et âme toujours unis. »
« Je fais également une bonne diversion, Seigneur. » rétorqua Borz alors que ses frères Breunan et Rufael se jetaient sur le Lion. Breunan, vétéran des troupes d’assaut, attaqua El’Jonson par le côté, une Épée Tronçonneuse dans chaque main. Rufael frappa par-derrière avec une Épée Énergétique issue des râteliers d’entraînement. Les frères de Borz attaquaient comme il le leur avait appris, mélangeant la grâce martiale des chevaliers calibanites avec la férocité opportuniste de pirates sans honneur.
C’est ainsi que, parias, ils avaient survécu aux périls d’une galaxie hostile. En tant que Déchus.
Le Lion volta à une vitesse aveuglante pour accueillir ses attaquants. C’était loin d’être la première fois qu’il utilisait ses chevaliers Réhabilités comme adversaires. Il savait comment ils combattaient. En retour, eux savaient qu’ils n’avaient pas à se retenir. Leur seigneur ne les remercierait pas s’ils s’inquiétaient de le blesser. De plus, lorsqu’on attaque un Primarque, la seule chance de porter un coup efficace est d’y aller à fond.
Et même ainsi, cette chance est assez mince, songea Borz.
Féale rencontra une des lames de Breunan avec un bruit qui résonna dans la salle d’entraînement. Au même moment, le Lion leva son écu, nommé Bouclier de l’Empereur, entre Rufael et le plastron de son armure ouvragée.
L’impact déclencha le champ de conversion intégré au bouclier, provoquant une onde de choc éblouissante. Rufael fut projeté en arrière. Il tomba sur le dos, roula, puis se redressa en posture accroupie, tandis que son arme glissait sur le pont.
Le Lion avait déjà reporté son attention sur Breunan et le repoussait avec une série d’estocades et de coups de taille foudroyants. Breunan cédait du terrain en parant frénétiquement.
« Borz, nous avons assez de spectateurs sans que tu te joignes à eux ! » cria le Marine d'Assaut. Stupéfait, Borz se rendit compte qu’il avait été hypnotisé par l’économie et la grâce de l’escrime d’El’Jonson.
Breunan disait vrai, plus d’une dizaine de Blood Angels et au moins autant de serfs assistaient au combat depuis les portes et les balcons. Borz se sentait déjà assez déstabilisé par une telle compagnie, sans qu’en plus un fils de Sanguinius aux cheveux d’or se moque de son hébétude.
Borz chargea, martelant le pont de ses bottes noires alors qu’il accourait au secours de Breunan. Rufael lui emboîta le pas en dégainant ses deux Couteaux de Combat et en se plaçant dans l’angle mort du Lion.
Être pris entre trois vétérans aussi anciens serait une mort assurée pour n’importe quel ennemi. El’Jonson marqua à peine un temps d’arrêt. Un coup de bouclier renversa Breunan. Le Primarque transforma l’attaque en un saut gracieux qui le fit passer par-dessus son adversaire allongé et mua le corps de Breunan en un obstacle soudain et inattendu devant Borz et Rufael.
Les deux Space Marines chevronnés évitèrent aisément leur frère, mais l’effort les ralentit d’une fraction de seconde. Pour un être tel que le Lion, d’une habileté et d’une rapidité inhumaines, cela aurait pu tout aussi bien être une heure. Le crochet nimbé d’éclairs de Borz rencontra le Bouclier de l’Empereur et il fut projeté en arrière au milieu d’une pluie de lumière dorée. Presque aveuglé, Borz vit Rufael comme une silhouette sombre alors que son frère s’élançait avec un couteau.
La cape du Primarque ondula alors qu’il exécutait une autre esquive habile, laissant Rufael se déséquilibrer en se fendant trop. Le plat de Féale percuta le paquetage dorsal du chevalier Réhabilité, et Rufael fut projeté sur le visage. Une fois de plus, le Space Marine fit un roulé-boulé et se releva. Du sang cramoisi coulait de son nez, tordu quand il avait heurté le pont, mais ses yeux restaient fixés sur le Lion.
El’Jonson fit une pause et leva sa lame. Borz et ses frères tournèrent autour de lui, meurtris, saignant et essoufflés. Le Lion semblait aussi frais qu’au début de leur combat.
« Laissez-nous. » dit le Primarque. Il n’éleva pas la voix, mais ses mots résonnèrent dans la salle, avec une telle assurance et une telle autorité que les Blood Angels et leurs serfs obéirent immédiatement. Des silhouettes encapuchonnées disparurent des balcons. Des portes sifflèrent en se refermant. Borz se demanda, et pas pour la première fois, si la capacité du Lion à imposer sa volonté aux autres recelait une part de surnaturel, et s’il en avait toujours été ainsi, ou si c’était une chose qui avait changé au cours des millénaires depuis Caliban.
Une fois de plus, Borz se demanda ce qu’il était advenu d’El’Jonson après la destruction de Caliban et l’apparition de la faille Warp. La planète avait été mise en pièces. Les Déchus avaient été projetés à travers le temps et l’espace. Borz le savait, il l’avait vécu, et il se demandait s’il était arrivé la même chose au Lion. Il l’ignorait et, d’après leur peu de discussions à ce sujet, le Primarque l’ignorait aussi. El’Jonson avait seulement raconté à ses Réhabilités que son premier souvenir, depuis ces événements cataclysmiques, était de se retrouver errant sur les sentiers ombragés de ce qu’il appelait "sa" forêt. D’étranges routes à moitié réelles striant un royaume sylvestre couvert de brume et peuplé de monstres qui, selon Borz, devaient passer par le Warp, et qui semblaient toujours amener le Lion là où l’on avait besoin de lui.
Ce n’était qu’un mystère de plus entourant le Primarque aussi sûrement que sa cape.
D’un autre côté, nous avons toujours cultivé le secret, pensa Borz.
Le Lion les regarda tourner autour de lui, puis il aboya comme à la parade: « Qui êtes-vous ? »
« Des Dark Angels, Seigneur ! » répondirent-ils. Il grimaça.
« J’entends encore l’écho d’un autre nom derrière ces mots, mes fils. Je vous exhorte à vous en décharger, car je vous ai absous. Vous pouvez parler librement en ce lieu, car les Guetteurs veillent à ce que personne ne nous entende. Vous n’êtes plus des Déchus. Vous n’êtes jamais vraiment tombés. Vous n’êtes pas corrompus, ou je l’aurais su dès que nous nous sommes rencontrés, et cet instant aurait été votre dernier. Alors dites-moi encore, mes fils Absous, qui êtes-vous ? »
« Des Dark Angels ! » rugirent-ils, et Borz ressentit farouchement le besoin d’être digne de ce titre.
« Où vous ai-je trouvés ? »
« Sur la route de la quête ! Sur la voie du libérateur ! Sur les chemins brumeux ! »
« Et qui servez-vous, mes fils ? »
« Le Lion ! L’Empereur ! »
Ces mots n’étaient toujours pas familiers à Borz. Il se pensait depuis longtemps détaché de l’Humanité et de son maître charogne, un dégoût mutuel qu’il avait trouvé tout à fait acceptable. Pourtant, en pliant le genou devant le Lion, en acceptant le pardon de son sire génétique, Borz s’était pris à souhaiter d’être digne non seulement de servir El’Jonson, mais par extension de l’Empereur Lui-même.
La vie anormalement longue de Borz et les cruelles attentions du temps et du Warp avaient enterré ou corrodé de nombreux souvenirs. Il ne se rappelait plus vraiment s’il avait déjà servi l’Empereur auparavant. Il se souvenait de bribes fugaces de Caliban, de l’influence incroyable de Luther, et de l’amertume que le seigneur des Déchus avait instillée chez ses disciples. Puis vint le Lion, après un si long exil, porteur d’une chance de rédemption. Peut-être que Borz n’avait jamais servi l’Empereur, mais il le souhaitait maintenant, aussi étrange que cela puisse paraître, même pour lui. Borz voulait se comporter de manière à mériter son absolution.
Les trois Absous s’étaient regroupés. Rufael avait récupéré son Épée Énergétique. Breunan avait échangé son Épée Tronçonneuse endommagée contre une autre des râteliers. Ils s’apprêtèrent à la passe d’armes suivante, mais le Lion resta immobile.
« Vous hésitez, mes fils. Vous êtes inquiets. Pourquoi ? »
Les Absous se regardèrent.
« On dit que nous approchons des Étoiles Somnium, » dit Borz.
« C’est vrai. » répondit El’Jonson. « Le Commandeur Dante en est plus sûr que jamais : la calamité qui a troublé le royaume de mon père provient de cet endroit. J’entends moi-même des murmures qui le confirment. Mais vous le saviez déjà. »
Borz remarqua la réticence persistante de son sire génétique à donner son titre à l’Imperium. Il détecta la pointe de dédain qui sous-tendait la voix contrôlée du Primarque. Il ne visait pas l’Empereur, car nul père n’aurait pu souhaiter un fils plus loyal. Pas l’Humanité non plus, pas vraiment. Le Lion avait confié à Borz dans un moment de candeur qu’il ne pouvait mépriser ceux à qui son père avait toujours voulu offrir les étoiles, même s’il était consterné par la misère, l’ignorance et la peur dont il avait été témoin depuis son réveil. Non, pensa Borz, c’était aux dignitaires et aux bureaucrates qu’El’Jonson réservait son dégoût, la foule des adeptes et des prêtres pompeux et pusillanimes. Un mépris que Borz partageait.
« Le problème n’est pas la bataille qui nous attend, Seigneur. » avoua Rufael.
« Mais plutôt ceux aux côtés desquels vous allez bientôt combattre. » termina le Lion. Il poussa un long soupir, l’expression indéchiffrable, puis se mit en garde. L’ordre implicite était clair. La pause était terminée.
Le Primarque brandit sa lame et feinta vers Breunan. Le vétéran était trop rusé pour être dupé. Il se contenta de raffermir sa position, prêt à menacer les flancs d’El’Jonson lorsqu’il choisirait sa véritable cible. Le Lion eut un sourire en coin, puis son visage redevint de marbre.
« Tu as encore du ressentiment ? » demanda-t-il. Borz se sentit piqué par la déception qu’il perçut dans la voix du Primarque.
« Difficile d’oublier qu’ils nous ont chassés pendant des siècles, Seigneur. » répondit Borz. « Mais non, ce n’est pas ça. » Il se fendit et visa le côté droit du Lion. Il s’attendait à ce que l’attaque soit déviée, ce qui fut le cas, mais il espérait aussi créer une ouverture que Breunan exploiterait. Ce ne fut pas le cas. Le Marine d’Assaut chancela après un nouveau coup du Bouclier de l’Empereur.
« Quoi, alors ? » demanda El’Jonson, en se retournant pour les regarder l’encercler comme une meute de prédateurs se rapprochant d’un chevalier seul au milieu des arbres. Le Primarque feinta à nouveau, transformant cette fois le mouvement en un estoc qui surprit Rufael et le força à reculer ou à prendre une lame à travers son plastron. Voyant le Lion ouvrir sa garde, Borz et Breunan attaquèrent, mais furent repoussés par une série foudroyante de tailles et de parades.
Borz soupçonnait que son seigneur, conscient de ce qui les tracassait, ne faisait que l’extraire pour leur propre bien. El’Jonson semblait savoir beaucoup de choses que, normalement, même lui aurait dû ignorer. Borz se demanda ce que les Guetteurs confiaient au Primarque. Même maintenant, les étranges créatures rôdaient dans les ombres les plus profondes de la salle, là où même les Blood Angels ne les avaient pas détectées.
« Nous étions des Déchus. » grommela Borz, les mots filtrant entre ses lèvres au milieu de grognements rauques alors qu’il échangeait des coups féroces avec le Lion. « Les Impardonnés ne l’oublieront jamais. »
El’Jonson accentua la pression, forçant Borz à contre-attaquer toujours plus vivement, puis il s’effaça soudain comme une brume qui se dissipe. Déséquilibré, Borz trébucha en avant et perdit une précieuse seconde à se redresser. Il se retourna, s’attendant à un impact, mais vit que le Primarque s’était rapproché de Rufael, le désarmant puis l’assommant. Breunan fut le suivant, et il encaissa mieux les attaques, mais il fut obligé de battre en retraite en trébuchant, laissant Borz seul devant son seigneur.
« Je vous ai cherchés. » déclara El’Jonson en s’approchant de Borz avant de le repousser d’une série de coups habiles. « J’ai sondé vos âmes, su qui et ce que vous étiez. J’ai pardonné chacun d’entre vous. Je vous ai offert l’absolution et vous l’avez acceptée. Croyez-vous que ma parole à ce sujet ne suffira pas pour le reste de mes fils ? Qu’ils essaieront de vous nuire, contre mon ordre ? »
Borz dut reculer devant l’assaut du Lion. Alors que le dernier coup le frappait à la tempe et le projetait sur le dos, il comprit que le Primarque exprimait ses propres préoccupations. Et pourquoi pas ? pensa Borz, hébété. Tout ce qu’El’Jonson avait vu de I’Imperium depuis son retour n’était qu’intolérance et ignorance, peur et superstition. Il devait espérer que ses propres fils loyaux seraient au-dessus de telles faiblesses, mais il ne pouvait pas encore savoir jusqu’où la pourriture s’étendait. Et il avait déjà échoué auparavant, après tout…
Retrouvant ses esprits, Borz lut de la contrition sur les nobles traits du Lion. Le Primarque savait qu’il avait évacué une partie de sa frustration sur Borz, et le regrettait. Cela décida Borz à être complètement honnête avec son seigneur. Alors qu’El’Jonson le relevait, le vieux pirate soupira.
« J’espère qu’ils auront la sagesse d’obéir à vos ordres, Seigneur. Mais même s’ils me haïssent, je me battrai pour les aider si tel est votre ordre, et je le ferai avec joie. Breunan, Rufael et tous les Absous feront de même. »
« Quoi d’autre ? » demanda le Lion.
« Notre présence vous souille, Seigneur. » poursuivit Borz, en essayant de masquer l’amertume de sa voix. « Pendant dix mille ans, les Impardonnés nous ont chassés. Aujourd’hui, à une époque où l’Imperium est plus menacé qu’il ne l’a été depuis la destruction de Caliban, dans une galaxie où toutes les vieilles certitudes sont bouleversées, vous revenez. Mais vous nous avez à vos côtés. »
« Les Dark Angels et leur engeance sont renfermés, paranoïaques, impitoyables. » ajouta Rufael.
« Ils sont aussi implacables qu’une meute de lupidés, Seigneur, et dogmatiques jusqu’à l’intolérance aveugle. » renchérit Breunan, ne faisant aucun effort pour cacher sa colère et son ressentiment.
El’Jonson désactiva le champ d’énergie de Féale et la baissa, la pointe sur le pont. Il fixa tour à tour Borz et ses frères. Borz fit un effort de volonté pour soutenir son regard. Soudain, il se sentit idiot, et déstabilisé par quelque chose de primitif et presque sauvage qui hantait les pupilles étincelantes du Primarque.
Tout à coup, Borz crut sentir la végétation et la terre humide de la forêt, ses branches ombragées se presser autour de lui jusqu’à ce que sa peau se hérisse à leur contact. Il entendit le calme absolu sous la canopée et le mouvement furtif d’une chose colossale se rapprochant en décrivant des cercles. Il huma le musc âcre des animaux, la fourrure emmêlée, le sang poisseux des mâchoires dégoulinantes de bave. L’haleine chaude d’un être ancien et effroyable sembla souffler sur sa nuque, tandis que sous ses yeux, le Lion s’effaçait, absorbé par la brume.
Puis El’Jonson éclata d’un rire rauque et le charme fut rompu. Les vrilles de la forêt s’éloignèrent, emportant ses habitants imaginaires avec elles. Borz se tenait à nouveau devant son sire génétique, dans une salle d’entraînement de l’Absolution’s Ire, avec ses frères à ses côtés.
Le Lion rengaina Féale. Les Absous désactivèrent ou mirent de côté leurs propres armes, comprenant que le combat était terminé.
« Les Dark Angels sont mes fils. » dit le Lion d’un ton qui n’admettait aucun désaccord. « Tous les Dark Angels, ceux qui se nomment Impardonnés et ceux qu’ils appellent Déchus. Je ne l’ai pas oublié, et je vous fais le serment que je ne permettrai pas que quiconque l’oublie. Je me moque que ce soit un simple serf ou mon père lui-même sur son Trône d'Or. »
« Seigneur. » dit Borz, les cœurs battants. Il mit le genou à terre, poussé par la force de conviction des paroles calmes mais implacables du Lion. Il vit ses frères l’imiter.
« Je ne rejette que les infidèles. » continua El’Jonson. « Les traîtres, ceux qui ont rejeté tout ce que la Première Légion a toujours représenté. Ceux qui ont préféré souiller leur magnificence avec le vil poison du Chaos. Comme le traître Serephax. Comme Luther. »
Peu importaient les millénaires écoulés, et les distances insensées qu’il avait parcourues depuis ce dernier jour terrible sur Caliban, le nom de l’archi-traître provoquait toujours chez Borz un frisson de colère et de culpabilité.
« Même eux peuvent connaître mon pardon. » poursuivit le Primarque d’une voix sèche. « Mais comprenez, mes fils, que leur absolution viendra du tranchant de ma lame. C’est ainsi que je mettrai fin à leur souffrance, à leur corruption et au déshonneur qu’ils symbolisent par leur seule existence. Mais vous… »
Le Lion mit de côté son bouclier pour saisir Borz par les épaulières et le releva. Il se déplaça parmi eux et répéta le processus avec chacun de ses guerriers agenouillés avant de reprendre la parole.
« Vous êtes mes fils Absous. Votre simple présence à mes côtés m’honore. Tout le monde le saura. »
Borz était incapable de trouver les mots pour exprimer la fierté et la gratitude qu’il ressentait à cet instant. Avant qu’il ne puisse remettre de l’ordre dans ses pensées, un klaxon retentit dans la salle, puis se tut.
« Première alerte de translation. » observa Breunan. « L’heure approche. »
« Et nous nous montrerons à la hauteur et plus encore. » déclara El’Jonson, avec une telle conviction que Borz la ressentit comme une vérité fondamentale.
« Nous sommes avec vous, Seigneur. » dit-t-il.
« Et en cela, nous sommes privilégiés. » répliqua le Lion en rassemblant son équipement et en relevant sa capuche pour masquer son visage. Il posa une main gantée sur l’épaulière de Borz en se dirigeant vers la porte la plus proche. « Rassemblez les Réhabilités et préparez-vous au combat, mes fils. Nous allons accomplir la volonté de l’Empereur, pas pour la gloire ou la vengeance, mais parce que la loyauté est sa propre récompense. »
Dont la colère s’embrase telle des faisceaux stellaires.
Dont les cœurs loyaux battent toujours au rythme du devoir.
Dont le nom devint le Murmure Rouge.
Dont le nom était « le Borgne » mais qui voyait toujours juste.
Dont la frappe était soudaine, unique, imparable.
Dont le serment allait à son seigneur et non à un royaume.
Dont la voix était celle du Roi Rédempteur.
Dont l’espoir était celui de toute l’Humanité.
Dont les armes flamboyaient de justice.
Qui prise par-dessus tout la vie de ses frères d’armes.
Dont l’honneur terni fut lavé par ses soins.
Qui se tint inflexible comme une tour de pierres pâles.
Dont le service fut sans faille aux heures les plus noires.
Dont l’œil vif guide la mort sur ses ennemis.
Qui se tint dans la brèche de l’Inkar et résista.
Lui qui était ancien et pourtant épargné par le temps.
À la confiance lente à venir, mais à la fidélité immuable.
Qui frappe juste malgré la tempête et l’ombre.
L'Appât
Après l’attaque de Vashtorr sur le Roc, les Dark Angels appliquèrent leurs talents pour la torture et l’interrogatoire sur leurs prisonniers de l’Hereticus Astartes. Ils voulaient savoir ce qu’il en était de l’Arkifane, afin de se venger du Démon. Ils obtinrent les informations désirées, mais la manière dont ces révélations leur furent livrées semblait on ne peut plus suspecte.
Les Maîtres des Dark Angels se réunirent dans le Sanctum de commandement du Roc. L’équipage de serfs était à son poste sur le pourtour de la salle. Les Serviteurs vaquaient à leurs occupations, trop décérébrés pour se laisser distraire des réparations encore nécessaires après l’assaut hérétique. Des mois s’étaient écoulés depuis l’attaque, mais il faudrait des années pour entièrement effacer les dégâts.
Les Maîtres se tenaient en cercle, l’armure et la peau éclairées de teintes multicolores par la lumière traversant les immenses vitraux du Sanctum. Pleinement habitué à ses améliorations Primaris et guéri des blessures subies lors du duel avec Vashtorr, le Grand Maître Suprême Azraël dirigeait l’assemblée. À ses côtés se trouvaient Maître Bélial de la Deathwing, Maître Sammaël de la Ravenwing, le Maître Archiviste Ézékiel, le Chapelain-Investigateur Asmodaï, mais aussi plusieurs Maîtres de Compagnie du Chapitre. Cette auguste assemblée s’enorgueillissait de héros venus de nombreux Chapitres des Impardonnés, les successeurs et alliés les plus proches des Dark Angels. Plusieurs étaient présents en personne: le Maître de Chapitre Moddren, à la livrée de gris et d’os des Angels of Absolution ; le Maître Rephazyr, arborant l’héraldique des Angels of Redemption ; le Grand Maître Nakir paré du noir des Consecrators, et le Capitaine-Héraut Kzar, des Cowled Wardens. D’autres, comme Maître Sykora des Blades of Vengeance et le Capitaine Lytheus des Penitent Blades, étaient présents sous forme d’hologrammes tremblotants.
Les Dark Angels rassemblaient les Impardonnés depuis qu’ils avaient appris l’emplacement de la forteresse de Vashtorr. Subitement, après des semaines d’interrogatoire, tous leurs captifs hérétiques surent et communiquèrent les coordonnées astronomiques précises, semblant aussi surpris que les Dark Angels. Ils n’avaient pas seulement indiqué la région à fouiller, en bordure de la faille Warp connue sous le nom d’Étoiles Somnium, mais aussi ciblé le système Idolatros.
Azraël et ses camarades ne pouvaient tomber dans un piège aussi évident. Comme l’observa Maître Sammaël, il s’agissait d’une provocation de Vashtorr, qui avait implanté cette information dans l’esprit de leurs captifs dans ce but précis. Pourtant, les fils du Lion ne sauraient ignorer le défi. Les légions d’Abaddon et de l’Arkifane continuaient à ravager l’Imperium, et les Dark Angels avaient le devoir de stopper ce carnage et de bannir Vashtorr s’ils le pouvaient. De plus, l’invasion du Roc était un camouflet infamant, auquel le Grand Maître Suprême entendait bien répondre.
Évidemment, se jeter dans un piège sans précaution serait de la folie. Les Dark Angels ne tomberaient pas dans cette embuscade comme des novices trop hâtifs. Au contraire, ils commencèrent les préparatifs tandis que le Roc faisait route vers leur destination. De courts sauts Warp furent utilisés afin de minimiser les risques pour la Forteresse-Monastère endommagée, pendant que tous les Techmarines et les Serviteurs disponibles effectuaient les réparations aussi vite que possible. Par des moyens secrets, le Grand Maître Suprême Azraël convoqua non seulement les Chapitres des Impardonnés qu’il pouvait contacter, mais aussi toutes ses troupes pouvant être retirées de la Croisade. La consternation envahit plusieurs groupes de combat de la Croisade Indomitus lorsque leurs contingents Dark Angels les abandonnèrent sans explication et disparurent dans l’Immaterium en réponse à cette requête codée.
À chaque retour dans l’espace réel, le Roc retrouvait des renforts. La flotte d’Azraël crût jusqu’à ce que plus des trois quarts des Impardonnés soient aux ordres du Grand Maître Suprême. Rarement, depuis les puissantes Légions Space Marines d’antan, un tel ost de vaisseaux et de guerriers de l’Adeptus Astartes s’était réuni pour attaquer une seule cible.
Pourtant, les Dark Angels et leurs alliés savaient que la force brute seule ne garantirait pas la victoire. Il leur fallait un plan de bataille souple et étayé par tous les renseignements stratégiques qu’ils pourraient recueillir avant de lancer leur attaque. Il revenait aux Maîtres réunis dans le strategium du Roc de formuler ce plan.
Prévenus
Les Impardonnés ont une longue histoire de traque des Déchus. Pister, localiser et capturer une proie aussi rusée et dangereuse nécessite des formations de spécialistes entraînés à l’art de l’espionnage et de l’embuscade au niveau interstellaire et planétaire. Dans les rangs des Dark Angels, cette tâche revint surtout à la 2e Compagnie, la Ravenwing. Ensuite, elle servit de modèle à plusieurs groupes similaires au sein d’autres Chapitres des Impardonnés. Azraël et ses compagnons chargèrent ces formations de précéder l’armada et de reconnaitre en détail les systèmes bordant les Étoiles Somnium. Leur mission était de découvrir l’étendue des forces qui rôdaient dans cette région et, si possible, quel type de piège attendait les Impardonnés. Les éclaireurs ne devaient pas être détectés, afin que les disciples de l’Arkifane ignorent quand et où la vengeance s’abattrait sur eux.
Le débat entre les Maîtres passa aux questions de disposition des forces, de chaînes de commandement étendues et de chevauchement des doctrines de combat. Au milieu de cette discussion, le Maître Archiviste Ézékiel fit une autre suggestion. Même si les Librarius des Impardonnés excellaient dans l’art insidieux de l’Interromancie, certains d’entre eux étaient doués pour la clairvoyance et la divination. Ces frères pourraient essayer de démêler les fils du destin et apprendre ce qui les attendait dans le système Idolatros. Il serait très dangereux pour eux de projeter leur esprit dans les marées empyréennes en plein milieu des tempêtes déchaînées de l’Imperium Nihilus, pourtant, Ézékiel argumenta que, comme le Roc et son armada bravaient déjà ces maelströms obscurs à chaque saut Warp, ils étaient déjà en danger. De plus, le péril serait encore plus grand si les Impardonnés négligeaient tout détail susceptible de permettre au piège de Vashtorr de se refermer sur eux. Le conseil des Maîtres d’Azraël valida la proposition.
La planification des Maîtres se poursuivit pendant de nombreuses heures, tandis que les flottes se mettaient en formation autour du Roc, prêtes pour le prochain saut vers leur destination. En fin de compte, bien qu’elle comporte nombre de complexités tactiques, la stratégie globale choisie était aussi simple que solide. Les Impardonnés sortiraient du Warp en même temps, répartis sur un volume très étendu de sorte à rendre toute embuscade presque impossible. Prévenue des dispositions de leurs ennemis, la flotte empêcherait les mâchoires du piège de se refermer, puis continuerait à écraser ses ennemis, en localisant Vashtorr par la même occasion, cela pour mettre fin à ses machinations infernales.
Sur le Seuil
Le dernier point de rassemblement des Impardonnés avant l’assaut de la forteresse de Vashtorr se trouvait dans une région désolée de l’espace. Malgré toutes les précautions, les vaisseaux avaient été dispersés, endommagés ou perdus à chaque saut dans l’Empyrée déchainé de l’Imperium Nihilus. Azraël se torturait à chaque regroupement. Il était l’un des rares Dark Angels à savoir que l’Engin de Tuchulcha gisait au cœur du Roc et que, s’il avait été prêt à affronter sa souillure, il aurait pu faciliter le périple de sa flotte. Hélas, la seule fois où le Cercle Intérieur et lui avaient utilisé l’artéfact, les conséquences avaient été effroyables et un grand seigneur du Chaos avait failli damner tous les Impardonnés. Le Grand Maître Suprême préférait supporter le fardeau des vies et des vaisseaux perdus que de se risquer à faire de nouveau confiance à l’Engin de Tuchulcha.
Il se consolait en se disant que son armada conservait une puissance colossale, malgré les pertes dues au transit. De plus, les Maîtres et lui avaient pris toutes les autres précautions pour se préparer à la bataille. La flotte venait de se rassembler à son point de ralliement quand plusieurs frégates éclaireuses revinrent avec un relevé des positions ennemies. Leurs capitaines avaient laissé le gros de la Ravenwing et des autres escadrons de reconnaissance poursuivre leurs observations, et avaient ramené en personne les renseignements accumulés. Ils s’étaient juré qu’ils parviendraient au conseil des Maîtres d’Azraël sans être interceptés par l’ennemi ou souillés par la distorsion du Warp. En raison de ce choix, le Bone Dagger et le Valiant Blade avaient subi des dommages pendant le trajet dans l’Immaterium, tandis que la frégate Onyx Raiment avait été déviée de sa route et ne reviendrait pas à temps pour la bataille. Mais la valeur stratégique de leurs découvertes justifiait ces risques.
Depuis l’ouverture de la Grande Faille, la lumière de l’Astronomican n’atteint l’Imperium Nihilus que par intermittence. Ceci, ajouté aux tempêtes Warp qui font rage au-delà de la réalité, rend la traversée périlleuse pour les vaisseaux humains. Leurs Navigators, virtuellement aveugles, peinent à discerner des routes sûres à travers l’Immaterium, alors que les hérétiques et les Xenos naviguent dans le vide en toute impunité et frappent à volonté. |
Se glissant sans être détectés aux frontières du système Idolatros et de ses systèmes voisins, Sacrilem et Apostra, les vaisseaux éclaireurs Impardonnés avaient confirmé la présence de nombreuses flottes hérétiques. Dans la lumière froide de l’étoile géante argentée de Sacrilem, une armada bigarrée d’Emperor's Children et de navires renégats avait été repérée et sa force considérable évaluée. De subtils balayages Auspex et des analyses énergétiques avaient révélé un second rassemblement, cette fois de vaisseaux de la Death Guard, de la Black Legion et des Word Bearers, rodant entre les denses nébuleuses du système Apostra. Mais aucune des deux forces n’égalait la Funesteflotte du Netherworld Blade, un rassemblement de bâtiments démoniaques et de vaisseaux-forges du Mechanicum Noir menés par leur Arche Fatidique cyclopéenne. Cet ost attendait dans le système Idolatros lui-même. La plus grande partie de ses unités orbitait autour des trois mondes colonisés, et apparemment asservis, du système, tandis que d’autres patrouillaient dans le vide. Bien qu’il fut impossible d’obtenir un aperçu détaillé de leur composition, les forces de la Funesteflotte trahissaient une forte tendance à l’hérésie technologique et à l’industrie infernale, tandis que l’Arche Fatidique elle-même était bouffie d’extrusions techno-organiques suggérant des améliorations et des expérimentations poussées. Il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’adorateurs de l’Arkifane.
Les efforts de scrutation des Archivistes d’Ézékiel avaient également rencontré un certain succès. Cette reconnaissance mystique n’avait pas été accomplie sans coût. Le Copiste Thesyk des Consecrators était mort d’un traumatisme empyréen, et plusieurs autres Archivistes étaient si affectés mentalement et spirituellement que leurs chances de guérison étaient faibles. Grâce à eux, le cercle oraculaire avait obtenu la vision d’un miroir obscurci, auréolé par la lumière éblouissante d’une étoile empoisonnée. Sous leurs yeux, des lignes de feu avaient fendillé ce miroir avant qu’il n’explose en une tempête d’éclats se précipitant vers eux. Avant que les débris ne les frappent et que la vision disparaisse, les Archivistes avaient vu la lueur infernale de l’astre engloutie dans des tourbillons de fumée, alors que la lumière elle-même devenait une paire d’immenses yeux luminescents.
Le Maître Archiviste Ézékiel confirma que Vashtorr attendait dans le système Idolatros, et qu’il y avait préparé un piège diabolique impliquant l’étoile locale ou qui viendrait de cette zone. Selon les Archivistes, le miroir suggérait que le plan du Démon utiliserait la nature des Impardonnés eux-mêmes, en retournant un élément de leur propre culture ou dogme contre eux. Une notion particulièrement inquiétante pour ceux des Cercles Intérieurs des Chapitres, et surtout pour Azraël et ses collègues Maîtres, car ils connaissaient des secrets sombres sur les Dark Angels que la plupart de leurs frères ignoraient.
Certains renseignements étaient plus faciles à interpréter et à mettre en pratique que d’autres, mais aucun ne fut négligé lorsque le conseil des Maîtres émit ses derniers ordres de bataille. Les flottes des Cowled Wardens, des Blades of Vengeance et des Guardians of the Covenant, ainsi que des renforts de plusieurs autres Chapitres, reçurent des coordonnées de frappe contre les vaisseaux ennemis stationnés dans les systèmes Sacrilem et Apostra. Ces hérétiques attendaient sûrement un signal pour plonger dans le Warp et refermer le piège dans le système Idolatros. Au lieu de cela, ils seraient les cibles d’attaques surprises des Impardonnés. Les embusqués seraient pris en embuscade, et les éléments les plus évidents du piège de l’Arkifane seraient neutralisés.
Pendant ce temps, les Archivistes et les Chapelains se répartirent dans la force d’assaut principale, rassemblant la flotte Dark Angel et leurs alliés Impardonnés restants. Si les Maîtres ne pouvaient être sûrs du sens exact de la vision, ils pouvaient s’efforcer de protéger les navires contre les pouvoirs infernaux. Tous les Frères de Bataille étaient prêts, du plus ancien vétéran au plus jeune néophyte. Tous les bâtiments, les Intercepteurs, les cuirassés et les machines de guerre étaient parés. Les capitaines avaient été prévenus: ils devaient s’attendre à un ordre de translation d’urgence si le piège de Vashtorr provoquait l’explosion de l’étoile du système ou une autre démence aussi grande et mutuellement destructrice. Le Roc lui-même resterait en retrait et servirait de centre de commandement. Pendant ce temps, plus d’une dizaine d’escadrilles d’Impardonnés se déploieraient en soutien, suffisamment concentrées pour écraser toute opposition, mais assez espacées afin d’éviter une embuscade ou un encerclement facile.
Sur l’ordre du Grand Maître Suprême, le signal se répandit chez les flottes des Impardonnés. Les cloches sonnèrent et les prières s’élevèrent dans les enginariums tandis que les réacteurs Warp s’embrasaient et que les Champs de Geller se levaient. Le voile de l’espace réel se déchira, et les fils vengeurs du Lion partirent en guerre.
Cap sur Idolatros
Le Roc émergea de la Mer des Âmes comme prévu, des lambeaux empyréens se détachant de son bouclier comme autant de fanions carbonisés. Une multitude de vaisseaux Impardonnés apparut autour de lui, adoptant une formation de combat avec une vitesse témoignant de l’habileté des Navigators et des capitaines. Dès que les volets de transit Warp se relevèrent, les auspicateurs s’éveillèrent et les détecteurs des Space Marines furent saturés par une énergie aussi immense que surnaturelle. Les vaisseaux de reconnaissance n’avaient effectué que des balayages avec des capteurs passifs pour minimiser les risques de détection, mais l’armada d’Azraël, elle, concentra toute son attention sur le système Idolatros.
Elle détecta une aberration, encore trop éloignée pour avoir un contact visuel. Manifestement, Vashtorr s’était efforcé de masquer sa présence, en utilisant le déferlement d’énergie de l’astre du système et les nébuleuses mystiques des Étoiles Somnium déchaînées à proximité. Cependant, rien ne pouvait cacher complètement l’écho mystérieux niché près du cœur d’Idolatros, car il irradiait d’ondes énergétiques à la fois conventionnelles et empyréennes, conséquence évidente des efforts de Vashtorr et d’Abaddon pour rassembler leurs artéfacts. Quoi qu’il en soit, Azraël estima qu’il n’y avait pas d’objectif plus important dans le système et ordonna à toute la flotte de se diriger vers lui.
Comme prévu, une Funesteflotte entière se trouvait entre les Impardonnés et le mystérieux contact. Elle était dispersée entre les mondes du système et ses divers circuits de patrouille. De plus, même si elle avait été concentrée en une seule formation, la force hérétique n’était ni aussi nombreuse ni aussi puissante que celle des Impardonnés. Cela n’empêcha pas le Netherworld Blade et son escorte de quitter leur orbite autour du monde le plus proche et de se préparer à intercepter le Roc comme des charognards. Des escadrilles félonnes grossirent leur formation à mesure qu’ils prenaient de la vitesse, se rapprochant avec l’ardeur des fanatiques. Très vite, des bancs de torpilles strièrent sans bruit le vide et les baies de lancement des deux flottes vomirent des nuées d’Intercepteurs.
Debout au cœur du strategium du Roc, les yeux fixés sur les écrans tactiques, Azraël se permit un sourire sans joie. Manifestement, les hérétiques lui offraient un combat.
Mur de Terreur
Les premiers coups de la Bataille d’Idolatros furent portés par des batteries de lasers défensifs et des escadrons de chasseurs qui neutralisèrent les torpilles. Les appareils Nephilim et Dark Talon détruisirent les projectiles hérétiques les uns après les autres, tandis que des vols de Métadracs et de Démons ailés tentaient de faire de même avec les munitions des Impardonnés. Ici et là, une salve de torpilles les dépassait, pour finir pulvérisée par les tirs croisés des tourelles défensives ou prématurément détonnée contre les boucliers des vaisseaux.
Ensuite, les chasseurs s’affrontèrent dans des combats acharnés dans l’espace froid et impitoyable. Tandis qu’ils s’entraînaient dans une danse de la mort flamboyante, les escadrons d’Intercepteurs étaient éclipsés par les léviathans qu’ils escortaient. Ceux-ci dépassaient les pirouettes meurtrières des petits appareils, ou les forçaient à se disperser tels des monstres marins traversant des bancs de poissons paniqués. Les batteries, les armes à faisceau, les canons de pilonnage et les armes biomécaniques de nature indéterminée embrasèrent le vide de leur fureur tandis que les navires se rapprochaient les uns des autres.
Les Impardonnés jouissaient d’un avantage numérique considérable, et même la plus petite de leurs frégates de reconnaissance possédait une puissance de feu digne d’un vaisseau bien plus grand. Hélas, les adorateurs de Vashtorr détenaient les plus sombres secrets des usines infernales, et nombre de leurs systèmes défiaient les lois de la physique. De plus, la férocité de ces armes était décuplée par la proximité des Étoiles Somnium. Leurs étranges veines biomécaniques et leurs récepteurs étaient déployés pour canaliser l’énergie Warp issue de la faille.
Ainsi, alors même que de nouvelles salves de torpilles emplissaient les ténèbres et que les rais mordaient profondément les vaisseaux félons, les hérétiques commencèrent à infliger de lourdes pertes aux Impardonnés. Le Croiseur d'Attaque Boundless Resolve fut frappé par des vrilles d’éclairs cramoisis jaillissant des émetteurs d’un horrible navire du Mechanicum Noir. Là où l’énergie carmin glissait sur la coque du bâtiment, le métal bouillonnait et coulait comme de la cire chaude. Dans le vaisseau loyaliste, la foudre se manifesta sous la forme d’électrospectres hurlants qui arrachaient l’âme de leurs victimes au moindre contact. Au même moment, les frégates Watchman et Sanctified Malice des Penitent Blades se retrouvèrent agrégées par un gravicanon colossal, puis réduites en miettes alors qu’elles luttaient pour se dégager.
Les armes des vaisseaux démoniaques étaient plus grotesques les unes que les autres. Certains de ces étranges navires furent peut-être jadis l’œuvre de mortels, perdus dans les marées de l’Empyrée et revendiqués par les ignobles serviteurs des Puissances de la Ruine. Leurs coques s’étaient muées en chair rugueuse ou en cristal flamboyant, et étaient équipées de vrilles serpentines, de mâchoires caverneuses, de batteries de caronades cuivrées tirant des crânes explosifs de la taille d’une navette, et d’une myriade d’autres armes cauchemardesques. Certains bâtiments ne pouvaient s’aventurer dans l’espace réel que grâce à l’énergie impie de la tempête Warp voisine : des galions archaïques d’argent étincelant, aux voiles brillantes, déchaînant des faisceaux prismatiques ; des mouches géantes ornées de structures bizarres et de batteries d’armement ; des pyramides de cuivre et d’os avec des ailes de chauve-souris et de la taille de cuirassés lourds, dont les flancs grouillaient de guerriers démoniaques impatients d’aborder leurs ennemis et de tout massacrer sur leur passage.
Le Netherworld Blade avançait au milieu de ces vaisseaux cauchemardesques. Chaque centimètre carré de sa coque mutée vomissait des grêles de missiles parasites, de rayons de corrosion, de faisceaux volkites et de lances d’irréalité. Rien que dans les premières minutes de l’engagement, l’Arche Fatidique élimina une escadrille entière de frégates des Disciples of Caliban ainsi que les croiseurs d’attaque Retribution Incarnate et Voyager in Darkness.
Face à un carnage si disproportionné, de nombreux ennemis auraient craqué et fui. Les Impardonnés, eux, comblèrent les trous dans leurs formations, prêtèrent de nouveaux serments de venger les morts, et contre-attaquèrent avec une fureur renouvelée. Les croiseurs des Dark Angels et des Bringers of Judgement opérèrent une habile attaque en tenaille sur une formation de vaisseaux-forges du Mechanicum Noir, frappant simultanément par le haut et par le bas. Basculant en passant entre leurs ennemis, les navires loyalistes assénèrent à leurs cibles salve sur salve de rayons et d’obus. Les bâtiments du Mechanicum Noir Gorgon, Nebulous Mind, Spawn of Loathing et Akkorokam s’embrasèrent, désemparés.
Pendant ce temps, les barges de combat Redoubtable et Bane of Heretics piégèrent trois étranges Vaisseaux-Démons et les étrillèrent dans un feu croisé intense.
Accompagnés de Chapelains et d’Archivistes, des groupes d’abordage d’Impardonnés attaquèrent les navires démoniaques en perdition pour leur donner le coup de grâce. De nombreux frères ayant survécu à ces opérations refusèrent de parler des horreurs dont ils furent témoins à bord de ces bâtiments contre nature. Quoi qu’il en soit, lorsque les derniers Space Marines se retirèrent, couverts d’ichor et hébétés, ils ne laissèrent derrière eux que des masses d’ectoplasme qui s’estompaient peu à peu, et des épaves à la dérive.
Azraël et son conseil observaient l’évolution de la bataille, certains depuis les strategiums ou les trônes de commandement des vaisseaux, d’autres au beau milieu du sang et du feu des abordages. Ils virent leurs premières lignes plier sous l’assaut initial du Chaos, pour mieux se resserrer et se reformer. Les vrilles de la Funesteflotte qui avaient percé vers le Roc furent encerclées, puis pilonnées de tous côtés jusqu’à ce que leurs vaisseaux se disloquent dans la tempête. D’autres qui avaient tenté de contourner les Impardonnés, ou qui étaient restés en retrait pour échanger des tirs avec eux, subirent des contre-attaques de croiseurs et de frégates plus rapides. Après sa charge initiale, il devint clair que le Netherworld Blade cherchait à esquiver et à gagner le plus de temps possible, car ses maîtres attendaient probablement l’intervention d’alliés en embuscade, mais destinés à ne jamais arriver.
Conscient que les éléments éloignés de la Funesteflotte se précipitaient pour renforcer leur Arche Fatidique, et refusant de perdre du temps de peur que Vashtorr en profite pour s’échapper, Azraël ordonna une attaque à outrance. La flotte des Impardonnés s’élança, enveloppant le Netherworld Blade comme un monstre tentaculaire saisissant sa proie. Maître Sammaël fut le premier à porter un coup déterminant à l’immense Arche, son vaisseau amiral, l’Implacable Justice passant sous le léviathan et ouvrant une brèche incandescente dans son ventre. Des dizaines d’appareils d’abordage Impériaux s’engouffrèrent dans cette plaie crépitante, dégorgeant des escouades entières de guerriers impitoyables qui massacrèrent les hérétiques à coups de Bolts et de lames. Les bombardements massifs des vaisseaux capitaux loyalistes neutralisèrent les énormes moteurs de l’Arche Fatidique un par un, alors même que des escadrons d’Intercepteurs rasaient sa coque pour éliminer les tourelles de défense et les modules de bouclier par des mitraillages précis et des grêles de missiles.
Le Netherworld Blade ne périt pas rapidement. Il tua le Redoubtable et endommagea gravement cinq autres vaisseaux pendant son agonie. Pourtant, il mourut, le cuir lacéré et les entrailles déchiquetées de l’intérieur. Quand les Impardonnés quittèrent l’épave, ce qui avait été une Arche Fatidique terrifiante n’était plus qu’une carcasse évidée dérivant dans l’espace. Satisfait, le conseil des Maîtres ordonna à tous les navires encore en état de combattre de se rassembler et de se diriger vers l’étoile du système. Leur véritable cible les attendait.
Cauchemar Dévoilé
Réacteurs flamboyants, les Impardonnés s’enfoncèrent plus profondément dans le système Idolatros. Les minutes, puis les heures défilèrent tandis qu’ils approchaient de leur objectif. Périodiquement, des escadrons se détachaient de l’ost principal pour intercepter les restes de la Funesteflotte qui fondaient sur eux avec une rage suicidaire. À chaque fois, les hérétiques semblaient plus désespérés, leurs alliés en embuscades ne se manifestant toujours pas. Cependant, le conseil des Maîtres ne croyait pas à une victoire aussi aisée. D’un naturel soupçonneux, les Impardonnés restaient à l’affût de nouvelles menaces tout en attendant impatiemment la confirmation visuelle des horreurs que Vashtorr avait façonnées au cœur du système.
Ce fut au cours de cette approche que les Techmarines du Roc signalèrent une résonance Warp croissante, une harmonie empyréenne subtile martelant la station de combat à un rythme de plus en plus élevé. Sa source restait mystérieuse. Pire encore, à mesure qu’elle gagnait en puissance, elle commençait à interférer avec les systèmes les plus délicats. De plus, même si l’étrange résonance ne pouvait être entendue ou ressentie physiquement, elle engendrait néanmoins un sentiment croissant d’irréalité et d’angoisse cauchemardesque. Même les Space Marines vétérans étaient déstabilisés, obligés de réprimer de soudains accès de colère, ou distraits par des mouvements fantomatiques à la périphérie de leur vision, ce qui déclenchait leur instinct combattant.
La rumeur se répandit dans la flotte que, si l’étrange résonance Warp était confinée au Roc lui-même, le sentiment d’effroi et de menace invisible ne l’était pas. Les Chapelains arpentaient les ponts, entonnant des rites de résilience spirituelle. Les Archivistes travaillaient sur tous les rituels de protection possibles, ou utilisaient prudemment leurs pouvoirs pour découvrir la source de cette calamité. Azraël n’avait pas besoin des Psykers pour confirmer ce qui était déjà une certitude pour lui. Cette aura de danger oppressante émanait du dispositif infernal créé par Vashtorr. Elle disparaîtrait qu’avec la destruction de cette même abomination, dont l’image était sur le point d’apparaître sur les détecteurs à longue portée de sa flotte. Le Grand Maître Suprême se prépara à l’horreur qu’il allait découvrir, confiant dans les capacités de ses frères à perdurer et à triompher.
Puis vinrent les premières images de leur cible, une silhouette de la taille d’une planète se détachant dans la lumière du soleil d’Idolatros. Tétanisé, Azraël comprit à quel point il s’était trompé. Les dimensions et la masse de la chose arrivèrent en premier, une confirmation d’un monde entier suspendu dans le vide, semblant attendre les Dark Angels. Puis vinrent les détails de la surface, l’analyse topogéographique, l’aurographie empyréenne, et avec elles une révélation monstrueuse.
Azraël parcourut du regard les images d’une planète mélangeant paysages industriels infernaux, fleuves de lave et machines cyclopéennes aux pistons et aux engrenages titanesques. Il vit des villes tentaculaires perchées sur des pinacles de pierre cerclés d’acier ou nichées dans des gouffres soufrés, embrasées par la lueur de manufactures diaboliques. Il distingua les contours déformés de continents où la roche torturée et le fer déchiqueté côtoyaient des océans de métal en fusion ou de produits pétrochimiques en feu. Il vit des masses sombres rappelant des forêts, sûrement impossibles sur un monde aussi pollué et orbitant trop près d’une étoile. C’était un spectacle ignoble, mais ce n’était rien comparé aux psaumes de données extraits des banques de cogitateurs les plus anciennes du Roc par des sous-programmes de reconnaissance d’urgence dont les Dark Angels ignoraient même l’existence. Les informations se déversèrent sur les autosens de tous les Impardonnés à portée de réception. L’identification des références était brouillée, mais suffisamment proche pour éliminer toute possibilité d’erreur. Les côtes, les zones urbaines, les océans et les forêts, la signature empyréenne brute, tout était déformé, mais l’ensemble correspondait suffisamment pour éliminer le doute.
Ce monde était Caliban.
Démence
Au début, Azraël ne pouvait que fixer la planète avec une incompréhension totale. Même son esprit post-humain et ses siècles d’expérience ne pouvaient le préparer à un tel choc. Le Grand Maître Suprême vacilla, luttant pour accepter ce qu’il voyait. Les vénérables esprits des données pouvaient-ils se tromper ? La structure monstrueuse devant lui n’était-elle qu’un simulacre moqueur, une ruse créée pour écœurer et déséquilibrer ? Était-ce une illusion tirée d’une manière ou d’une autre de la mémoire ancestrale du génogerme commun des Impardonnés ? Ne serait-ce pas là le piège dont Ézékiel et ses frères Archivistes l’avaient averti ?
À un niveau plus viscéral que l’instinct, Azraël savait qu’aucune de ces suppositions n’était vraie. Aussi impossible et cauchemardesque que cela puisse paraître, il contemplait les vestiges du monde natal des Dark Angels. Par un artifice surnaturel dépassant l’imagination, l’Arkifane avait ressuscité Caliban de la manière la plus grotesque et irrespectueuse possible. C’était une profanation des plus noires, un coup porté à l’âme même de chaque Chapitre des Impardonnés. Pire encore, c’était une exhumation corporelle de la honte cachée des Dark Angels, un blasphème capable d’attirer le malheur et le jugement sur eux par sa simple existence. Comment Vashtorr avait-il procédé, et pourquoi choisir Caliban ? Quel était le lien entre les Fragments-clés et la planète morte-vivante devant lui ? Alors qu’une tempête de colère l’envahissait, il fut convaincu d’une chose. Cette abomination devait être purgée de tous les êtres immondes qui l’habitaient et ensuite, si c’était possible, elle devait être complètement détruite. Le souvenir de Caliban devait être effacé à nouveau et son héritage enterré à jamais.
Prenant conscience de la fureur submergeant le réseau vox de sa flotte, Azraël comprit qu’il n’était pas le seul à tirer cette conclusion. Il savait que l’indignation qui se répandait chez les Impardonnés était une sorte de folie, probablement stimulée par l’aura d’inquiétude et de danger que ses Techmarines avaient signalée. Il savait aussi qu’il devait éteindre ces flammes, inciter à la prudence et au stoïcisme. Mais le spectacle ignoble était une provocation à laquelle même lui ne pouvait résister. Aussi profondément outré que choqué, le maître des Dark Angels ordonna à tous les vaisseaux d’adopter une formation d’attaque. Déjà, des rapports faisaient état de navires ennemis quittant l’orbite de la planète infernale, et d’innombrables positions potentielles d’armes défensives s’éveillant à sa surface. Puis vinrent les inexplicables relevés d’Auspex qui, bien que fragmentaires et confus, suggérèrent qu’une nouvelle flotte hérétique de grande taille était apparue de nulle part, comme surgie du cœur même de l’étoile d’Idolatros.
Bien qu’ils n’aient pas été dominés par la rage au point d’ignorer ces dangers, nul ne contrôla la fureur des Impardonnés. C’était comme si leur culpabilité collective et leur amertume s’étaient muées en une drogue aliénante. Ils allaient balayer tous les hérétiques sur leur passage. Ils allaient frapper tous les points faibles potentiels de la planète et enfoncer profondément leurs lames à la recherche d’un moyen de porter un coup fatal. Tel fut le serment d’Azraël en rejoignant ses frères qui se préparaient pour des assauts aéroportés sur Caliban. Les cogitateurs stratégiques vrombissaient déjà furieusement en calculant les sites de largage, les forces ennemies possibles et les vecteurs d’attaque attendus. Les Impardonnés allait canaliser chaque once de stratégie et de puissance martiale dans cet assaut, quel que soit le prix à payer. Ils allaient mettre un terme aux machinations de Vashtorr.
Abaddon se dressait sur le pont du Vengeful Spirit avec Falkus Kibre à son côté. L’antique vaisseau quittait la couronne interne de l’étoile d’Idolatros, préservé de la furie meurtrière du corps céleste par l’ingénierie empyréenne de Vashtorr. Le Fléau était impressionné malgré lui. Son alliance avec le demi-dieu démoniaque avait été difficile, mais en cet instant, il était heureux de ne pas s’être retourné contre l’Arkifane comme son instinct l’y avait poussé.
Le cadavre ressuscité de Caliban remplissait les écrans des gargouilles de la passerelle. Non, pas Caliban, se corrigea Abaddon. Vashtorr avait baptisé cette planète grotesque Armoyse. Le nom n’avait pas de signification particulière pour le Maître de Guerre, mais il lui semblait de mauvais augure. En vérité, il se moquait du nom que l’Arkifane donnait à ce monde hybride qu’il avait construit, pour Abaddon, il n’avait d’importance qu’en tant que Clé. Ce n’était qu’un moyen d’atteindre un but bien plus ambitieux.
Mais cette Clé n’était pas complète. Pas encore. Tant de fragments rituellement essentiels rassemblés à travers la galaxie, fusionnés avec la roche, le feu et les machines infernales. Tant d’artéfacts apparemment aléatoires installés dans des techno-sanctuaires biomécaniques à la surface d’Armoyse, et dont le pouvoir symbolique alimentait le Monde Démoniaque. Et en son cœur, déjà installés, deux appareils à l’âge inconcevable, qui avec un troisième devaient constituer ce que Vashtorr appelait sa Machine à Dissonance.
« Le Cœur de l’Affliction. » murmura Abaddon alors que son vaisseau se mettait en formation avec un groupe de cuirassés de la Black Legion. « L’Ouroboros. Il ne nous manque que l’Engin de Tuchulcha. »
« Mais sans lui, tout serait vain, Seigneur. » dit Kibre.
Abaddon ne répondit pas. Il regardait les dizaines de navires félons se déployer autour du Vengeful Spirit. Tandis que l’Orac Unleashed et sa Funesteflotte surgissaient de l’étoile, les défenses surnaturelles d’Armoyse s’embrasaient en réponse à l’attaque des vaisseaux Impardonnés et des troupes d’assaut. Le Fléau observa tout cela et se souvint du jour où Vashtorr et lui s’étaient concertés pour la première fois dans le Strategium du Vengeful Spirit avant que la bataille ne s’engage. Il se remémora cet échange une fois de plus, cherchant des erreurs, le moindre soupçon de duplicité dans les mots de l’Arkifane.
Vashtorr entra dans le strategium. Le pilier érodé volé au Reclusiam des Iron Angels le précédait, transporté par la masse de membres biomécaniques qui avait été son générateur de champ de suspension. Abaddon suivait. Il fit signe à Falkus Kibre de sécuriser les portes de la salle et de les garder à l’extérieur. Kibre exsudait la méfiance envers le Démon, mais il savait qu’il ne devait pas remettre en question ses ordres. Abaddon fut satisfait lorsque les lourdes portes se refermèrent derrière lui, l’enfermant avec Vashtorr. Il ne montrerait aucune faiblesse ou inquiétude à cette entité. Qu’elle le teste si elle l’osait, au cœur de son vaisseau amiral et au sommet de ses pouvoirs. Elle regretterait sa décision, le Fléau en était persuadé.
Mais Vashtorr ne lança aucune attaque mal avisée. Au lieu de cela, le Démon demanda au porteur de pilier de grimper sur l’estrade de marbre servant de table au strategium. Puis il se tourna vers Abaddon. Sa voix gronda dans les émetteurs vox de la pièce alors même qu’elle chuchotait dans le gorgerin du Fléau.
« Tu cherches le mécanisme qui apporte la vraie victoire, n’est-ce pas ? »
Abaddon grimaça.
« Tu sais déjà ce que je veux, Arkifane. La galaxie brûlera, mais je ne brûlerai pas avec elle. Je ne suis pas un nihiliste. Je veux que l’Empereur-Cadavre soit renversé de son trône brisé. Je veux écraser son fief sous mon talon. Je veux conquérir, puis régner. Rien de tout cela n’arrivera si la galaxie sombre dans la folie ou est déchirée par des bêtes et des Xenos avant que tombe mon coup de grâce. »
« D’où l’arme. Mais avant elle, la Clé. »
Abaddon fixa Vashtorr, attendant que le Démon continue. L’Arkifane émit un son évoquant celui d’un engrenage broyant de la chair, apparemment mécontent du silence du Maître de Guerre, puis il parla à nouveau.
« Bien avant que les ancêtres de ta race ne se tortillent au milieu de la boue primordiale, une guerre opposa des entités que l’on pourrait considérer comme des dieux. »
« Je connais le Jeu Divin et les dieux qui s’y prêtent. » grogna Abaddon. « Je ne suis pas leur pion. Je ne veux pas des armes qu’elles contrôlent. »
Vashtorr balaya l’objection.
« Ces dieux-là étaient différents, leurs panthéons étaient liés au royaume des choses mortelles ayant forgé leur propre divinité. D’un côté, ceux qu’on appelait les Anciens. De l’autre, les dieux parasites du vide et des étoiles. Leur fureur déchira l’espace. Ils déchaînèrent de terribles pouvoirs, tels que, malgré leur manteau d’omnipotence, ils ne les comprenaient pas. Ils attisèrent le feu, sans croire qu’il les brûlerait. »
Déterminé à ne pas satisfaire le Démon en montrant à quel point il était intrigué, Abaddon se contenta de hausser un sourcil. Dans sa poitrine, cependant, ses cœurs battirent plus vite. Une telle puissance était précisément ce qu’il cherchait.
« Longtemps, longtemps, leur conflit fit rage. Son prix fut lourd. Ils tombèrent l’un après l’autre, et des esprits inférieurs rampèrent dans leur sillage. Féroces. Désespérés. Ils ne virent pas le pouvoir des appareils de leurs Maîtres disparus, mais seulement la terreur que ces technologies avaient engendrée. Ce qu’ils ne purent démonter ou défaire, les craintifs bannirent dans des royaumes ni empyréens ni corporels. La Crypte, ils scellèrent. La Clé, ils scindèrent. »
« Et tu sais où se trouve cette Crypte ? Comment la déverrouiller ? »
« La Crypte est cachée, même à ma vue. » siffla Vashtorr. « Mais si nous la façonnons, elle trouvera sa serrure, car n’est-ce pas le désir singulier de tous les outils d’être utilisés comme leur fonction le dicte ? »
« Va au fait, Démon, » gronda Abaddon, en désignant le pilier au sommet de l’estrade. « Que veux-tu de moi ? Et qu’est-ce que ce morceau de pierre vient faire dans tout ça ? »
« Trois étaient les mondes auxquels ces anciens serviteurs lièrent les mécanismes vitaux de la Clé, espérant les y emprisonner à jamais. » répondit l’Arkifane. « L’un d’eux a pourri depuis longtemps, et le Cœur de l’Affliction s’est déchaîné. Un autre devint vide et désolé, tous ses geôliers morts et puis tombant en poussière. Le Tuchulcha s’échappa, car il désirait, avait besoin, qu’on l’utilise. Et le troisième monde, à l’essence duquel l’Ouroboros était lié… le troisième fut brisé par une trahison des plus gratifiantes. Et le nom de ce monde, grand Fléau, était Caliban. »
« Caliban ? Le monde des Dark Angels ? Explique-moi. »
Et Vashtorr raconta tout ce qu’il savait, les secrets de l’amertume et de la trahison, la tragédie cachée des Dark Angels et les origines des Déchus. Abaddon connaissait, ou avait deviné certaines choses.
D’autres éléments le fascinèrent et le ravirent. Pourtant, lorsque Vashtorr termina son récit, le Fléau pensa à voix haute.
« Une agréable diversion, Démon, mais quel est le rapport entre la chute de Caliban et notre but ? Tu me donnes des bribes. Montre-moi l’ensemble ou disparais. »
Vashtorr émit un larsen indiquant autant l’irritation que l’approbation.
« Inspecte le pilier avec des yeux illuminés par la connaissance. L’individu au sommet, encapuchonné et ailé, une lame usée par le temps entre les mains. Quand la Mer des Âmes déchira Caliban, elle dispersa non seulement les Déchus, mais aussi de nombreux fragments de la planète d’où ils venaient. Des vestiges de statues, des armes, des machines, des morceaux de maçonnerie, d’armure ou de poterie. Et même des portions de la roche-mère du monde. Dans chaque fragment, une partie de la culture, de l’essence, de l’âme même d’une planète et de son peuple. À travers eux, l’Ouroboros. »
« En en réunissant suffisamment, on conjure cet Ouroboros, » murmura Abaddon.
« Mieux encore, » rétorqua le Démon, et quelque chose dans le timbre de sa voix trahissait un amusement cruel. « Pour la lier dans son ensemble, la Clé a besoin d’une châsse, une chose saturée par la matière du Warp, quelque chose de brisé que je peux reconstruire à l’image de mon choix. »
« Caliban. » devina le Fléau, sentant un sourire froid déformer ses lèvres. « Quelle plus grande offense à l’honneur de ces imbéciles ? »
« Caliban ressuscitera en tant qu’Armoyse, avec en son cœur la Machine à Dissonance. Ensemble, elles formeront la Clé, dont le pouvoir est de percer l’espace entre l’Empyrée et le corporel. »
« Tu parles de la Toile ? » s’exclama le Fléau.
« Jadis l’une des grandes machines à voyager, j’en ferai un objet de désolation et de ruine. Comme un ver devenu dieu, il rongera les espaces intermédiaires, jusqu’à ce qu’il trouve enfin la serrure dans laquelle il s’insère. »
Abaddon éclata de rire, ne pouvant s’empêcher de penser aux ravages qu’un tel engin causerait chez ses ennemis, avant même qu’il ne déverrouille l’arme véritable.
« Peut-être pouvons-nous conclure un marché, après tout. » décida-t-il. Les yeux de Vashtorr brillèrent d’approbation et d’impatience impie, et leur sombre marchandage commença.
« Non », songea Abaddon tandis que le Vengeful Spirit atteignait sa vitesse d’attaque. L’Arkifane ne ressemblait à aucun Démon auquel il avait eu affaire, un être du Warp mais aussi d’une franchise et d’un pragmatisme ordonnés, presque obsessionnels. Il n’y avait aucune duperie dans ce pacte. Ils n’avaient qu’à remporter cette dernière bataille cruciale et il serait honoré.
« À tous les postes d’équipage, préparez-vous à attaquer la vermine loyaliste. » cracha Abaddon, sa voix amplifiée à travers le pont. « Laissez l’Arkifane et son Orac Unleashed prendre le trésor ultime. Notre tâche aujourd’hui est le massacre ! Armoyse a soif. Offrons-lui une libation digne de remplir les océans ! »
Tandis que le personnel du pont l’acclamait et hurlait de sombres serments, Abaddon ne put contenir un rire sans joie. Le sang des Impardonnés ressusciterait plus ici que l’essence noire d’Armoyse.
« Transmets l’ordre à la surface de la planète. » lança-t-il à Kibre. « Que le rituel d’invocation commence. Les adorateurs du Cadavre n’ont aucune idée de ce qui les attend. »
Le Monde Damné
Armoyse était couverte de roches déchiquetées, reliées par des strates de machines infernales qui s’enfonçaient jusqu’aux entrailles du monde. Des pistons de la taille d’une ville s’affairaient. Des rouages cyclopéens broyaient des rivières de chair. À tout moment, un plateau rocheux avec une vue imprenable pouvait s’effondrer dans une vallée enveloppée de vapeur bouillante et d’étincelles. C’était un champ de bataille cauchemardesque rempli de dangers.
Armoyse palpitait d’une énergie qui perturbait les vox et les Auspex, voire les faisait éclater en une pluie d’étincelles. Son atmosphère était bouffie de tempêtes de pollution à travers lesquelles les aurores diaboliques ondoyaient comme de l’huile sur l’eau. Pourtant, les Impardonnés parvinrent à localiser les zones de plus grande production d’énergie et tout ce qui pouvait être considéré comme des colonies à la surface du Monde Démoniaque, en partie grâce aux informations fournies par les antiques cartogéographes calibanites du Roc. Malgré une fureur proche de la compulsion surnaturelle, les Dark Angels et leurs alliés restaient parmi les guerriers les plus disciplinés et doués pour la stratégie de tout l’Imperium. Tandis que leurs vaisseaux se frayaient un chemin entre les plateformes de défense biomécaniques et les navires mutants qui saturaient l’orbite de la planète, le conseil des Maîtres utilisait ses maigres renseignements pour formuler un plan d’attaque.
Des Forces de Frappe individuelles furent assignées à des "zones chaudes" localisées sur la plus grande mégastructure continentale du Monde Démoniaque. Soutenues par les unités aériennes qui n’étaient pas déjà engagées ailleurs, ces troupes chercheraient, lors de leur atterrissage, à infliger un maximum de dommages aux principales ressources ennemies du continent. La doctrine stratégique privilégiait la destruction de tout site ou mécanisme qui semblait lié à la défense planétaire ou à la transmission d’énergie. L’objectif étant que chaque victoire de ce type permette aux Impardonnés d’élargir une zone orbitale dégagée au-dessus du continent principal. Pendant cette opération, la flotte combattrait pour contenir les vaisseaux félons entrants et protéger la zone d’exclusion orbitale. La situation stabilisée, le Roc lui-même s’installerait en orbite géosynchrone au-dessus du continent cible et préparerait les munitions de classe Exterminatus que ses arsenaux détenaient depuis l’époque de l’Hérésie d'Horus. Les forces terrestres des Impardonnés se battraient pour rejoindre leurs transports et évacuer, alors même que la Forteresse-Monastère porterait le coup de grâce. Ainsi, le dernier éclat pur de l’antique Caliban purgerait la souillure de son écho corrompu par le Chaos.
L'Enfer de la Guerre
Des centaines de navettes blindées traversèrent l’atmosphère d’Armoyse. Alors qu’elles perçaient les couches toxiques, le grotesque du paysage impie se révélait peu à peu. Des forêts dont les arbres étaient soit des squelettes noircis, soit des sculptures de fer déchiquetées, entourées de fils de fer et dégageant des fumées nocives ; des villes-machines démentes dont les structures de cuivre et d’acier étaient à la fois des paysages industriels infernaux et des forteresses saturées de polluants ; des rivières de métal fondu ou de boue bouillonnante noire comme du goudron ; des réseaux de transit routiers et ferroviaires enchevêtrés, reliés de manière impossible et constamment réorganisés, piégeant d’innombrables âmes damnées dans des convois de souffrances sans fin. Des citadelles à l’architecture gothique déformée singeant les cathédrales Impériales et des batteries d’armement s’élevaient de plaines ferreuses craquelées et de canyons remplis de grues, de fourneaux et de chaînes de montage. Tout était plus diabolique que ce qui aurait pu être façonné par des mains loyalistes.
Les Impardonnés plongèrent dans ce terrible royaume. Une tempête feu s’éleva à leur rencontre. D’ignobles batteries ornées de gargouilles pivotèrent et crachèrent des roquettes et des rais d’énergie. Des hordes grouillantes de Machines-Démons, de cultistes et de Space Marines renégats surgirent de monstrueuses usines-bastions. Les Escorteurs Impériaux explosèrent ou tombèrent en tournoyant, les ailes arrachées et les moteurs crachant des flammes. Des escadrons d’Intercepteurs Impardonnés s’élancèrent pour attaquer des vols de Métadracs et d’autres horreurs volantes jaillissant des structures impies. L’air s’emplit d’un flot de tirs traçants tandis que les appareils esquivaient tout en se faufilant dans les labyrinthes de tuyaux, de passerelles et de cheminées, essayant furieusement de s’abattre les uns les autres.
Au milieu de tempêtes incandescentes, les forces des Impardonnés établirent une tête de pont en territoire ennemi. Sur un site baptisé le Cathedrum Noir, les cloîtres de fer et les portiques crénelés résonnèrent des impacts des Modules de Largage et des escouades d’Inceptors qui s’abattaient sur l’adversaire. Les unités des Angels of Absolution et des Blades of Vengeance ouvrirent la voie à des navettes plus lourdes pour débarquer une Force de Frappe importante. Rassemblés sous la bannière de Maître Moddren, ils se frayèrent un chemin vers le cœur du Cathedrum Noir. La scène se répéta sur d’autres sites, désignés par les Loyalistes sous des noms tels que la Manufacture d’Ombre, les Batteries Impies, le Mont Fulgurant et la Tour Incandescente. Des escadrons de Land Speeders rasèrent ces paysages bizarres. Leurs équipages exécutèrent des mitraillages audacieux, ou virevoltèrent entre les pistons et les presses d’assemblage titanesques. Les fers de lance blindés et les motards vêtus du noir de la Ravenwing remontèrent des routes sinueuses et percèrent les fortifications abaissées par des jeux de chaines et de poulies pour bloquer leur progression. Les sanctuaires enfumés de la Cité de l’Arche résonnèrent de détonations, tandis qu’une attaque massive par téléportation menée par des Terminators Consecrators arrachait le cœur des défenses ennemies.
Il en allait de leur honneur et de leur droit, donc Azraël et la crème des Dark Angels attaquèrent ce qui semblait être le plus grand site de pouvoir infernal sur la mégastructure continentale. Baptisé Palais de la Forge Empyréenne, il s’agissait d’une masse de la taille d’une ville, composée d’installations industrielles et de fortifications difformes dominée par une construction en forme de couronne d’épines biomécaniques s’élevant jusque dans la troposphère. La zone émettait une signature Warp singulière, que les Techmarines des Dark Angels avaient décrite comme rappelant un teleportarium, mais d’une ampleur telle qu’elle éclipsait même une archéotechnologie aussi ancienne et puissante. Azraël et ses camarades supposaient qu’ici, peut-être, se trouvait le portail d’où les nombreux Fragments-clés avaient émergé après leur acquisition par les champions d’Abaddon. Si c’était le cas, alors quel meilleur endroit pour trouver l’Arkifane lui-même qu’au cœur de sa toile d’acier ? Et même si Vashtorr n’était pas là en personne, il n’y avait sûrement pas de site plus précieux à attaquer sur toute la planète.
Accompagné de certains des plus grands héros de son Chapitre, et à la tête d’une force regroupant plus des deux tiers des Dark Angels, Azraël commanda l’attaque sur la Forge Empyréenne. Son armée d’anges atterrit au milieu d’une ceinture de forges démoniaques rugissantes et de cuves remplies de sang qui semblaient, depuis l’orbite, plus stables structurellement que la majorité des abords du Palais. Tandis qu’Azraël, Belial, Ezékiel et Asmodaï menaient leurs frères sur les rampes de leurs navettes d’assaut, des unités de diversion composées d’Angels of Redemption, de Cowled Wardens et de Bladekeepers frappaient à d’autres endroits de l’édifice. Les défenseurs surgirent de moult trappes et arcades. Derrière des marées de technorreurs ondulantes et de servo cultistes psalmodiants, avançaient des Serviteurs de combat, des Machines-Démons, des Cultes Obliterator, des Skitarii noirs, ainsi que des Space Marines renégats issus de multiples bandes dégénérées. Les tirs de Bolts résonnèrent entre les passerelles et les tours hérissées de pointes. Les faisceaux de plasma hurlèrent et d’énormes explosions rugirent comme des bêtes, tandis que les émetteurs vox vomissaient des barrages auditifs d’anticode, et que les rouages et les pistons tonnaient toujours plus fort. C’était une guerre démente, un conflit que seuls des Space Marines auraient pu livrer sans perdre la raison. Et les Impardonnés combattirent, fauchant leurs ennemis avec une férocité froide et meurtrière.
Azraël mena ses forces vers le nord et l’est dans une percée implacable. Les Auspex, les vox, et même les autosens de nombreux guerriers étaient paralysés par l’anticode et les spectres du Warp, mais l’attaque des Dark Angels ne faiblit pas pour autant. Chaque guerrier connaissait son rôle dans la stratégie globale, et grâce à un mélange de cris amplifiés et de signes de combat, les Dark Angels maintinrent leur efficacité tactique. Sous l’ombre des épines tordues de la forteresse, qui se recourbaient sur le site d’une manière rappelant à Azraël les pattes d’un arachnide mort, ils se frayaient un chemin à travers tous les ennemis qui les assaillaient.
Lorsqu’une série de tours crachant des flammes s’élevèrent pour bloquer l’avancée des Dark Angels, les tirs de chars et d’armes lourdes les brisèrent et ouvrirent la voie. Lorsque le Prince Démon Paralaxese, alors féal de l’Arkifane, dirigea un ost démoniaque et de techno-mutants dans une charge de flanc, des navettes s’approchèrent à basse altitude et dégorgèrent des troupes de la Ravenwing pour contre-attaquer, de nombreux motards s’élançant des rampes à une bonne dizaine de mètres de haut. Lorsque le Palais se reconfigura autour des Dark Angels en un piège mortel de positions d’artillerie et de bunkers, la détermination inflexible des Loyalistes et leur discipline de tir extraordinaire leur permirent de s’échapper et de laisser des milliers d’ennemis tués dans leur sillage, mais au prix de pertes sévères.
Plusieurs heures cauchemardesques après avoir posé le pied sur le Monde Démoniaque, Azraël et ses camarades atteignirent enfin le cœur du Palais de la Forge Empyréenne. Là, sur une vaste place, parmi les ruines calibanites et les machineries, sous les pointes lointaines des épines arachnoïdes, ils découvrirent une horreur bien différente de tout ce à quoi ils s’attendaient.
L'Autel
Les structures de ce lieu semblaient anciennes, leur architecture étant inconfortablement familière à Azraël, mais infestée d’une grotesque technologie parasite biomécanique. Les grues abandonnées et les portails de fer, de câbles et de chair indiquaient qu’il s’agissait bien du site par lequel les Fragments-clés avaient été transportés. Pourtant, tous ces mécanismes étaient désormais éclipsés par un immense sanctuaire de cuivre constellé de crânes, dont l’autel central s’élevait au sommet de la plus haute tour du complexe. D’un seul regard, Azraël vit les icônes de Khorne qui soutenaient les braseros dominant le site, les rivières de sang coulant le long des canaux depuis des dizaines d’autels secondaires, et les masses de cultistes, de World Eaters et même de Chevaliers de l’infâme Maison Bazhkar qui se pressaient sur chaque escalier et voie. Tous hurlaient des louanges au Dieu du Sang et psalmodiaient les paroles d’un sombre rituel. Beaucoup se tenaient au-dessus de cadavres entassés et décapités, offerts en tribut. C’était la source du pouvoir empyréen que les Dark Angels recherchaient, mais ce n’était pas le sanctuaire de Vashtorr ni même une cible importante à détruire. Il s’agissait plutôt d’un vaste cercle d’invocation vomissant en ce moment même des ondes de rage et de haine, tandis que des prêtres vêtus de rouge accomplissaient leurs derniers sacrifices sur leur autel d’airain.
Avant qu’Azraël ne puisse reprendre son souffle pour ordonner une attaque, les chants montèrent crescendo. Le grand autel éclata avec une grande violence. L’explosion de flammes Warp anéantit les prêtres, l’autel lui-même et les huit derniers étages de la tour. Au sein de cette déflagration titanesque, le feu et les ténèbres fusionnèrent en une monstruosité colossale. Angron l’Ange Rouge apparut et ses disciples rugirent avec une soif de sang redoublée en se retournant contre les Dark Angels. Azraël vit le Primarque Démon s’envoler et s’abattre sur sa force d’intervention. Pour la première fois depuis le début de leur attaque, la résolution du Grand Maître Suprême fit place à la crainte.
Ténèbres et Sang
Tandis que la guerre faisait rage à la surface d’Armoyse, la bataille dans le vide devenait de plus en plus sauvage. L’expérience stratégique millénaire d’Abaddon lui avait permis de comprendre rapidement le plan des Impardonnés et la meilleure façon de le contrer. Le Vengeful Spirit et lui avaient mené une attaque rapide contre les vaisseaux loyalistes tentant de contrôler leur zone d’exclusion orbitale. Une partie de la flotte du Fléau s’approcha au plus près pour soumettre ses ennemis à des bordées foudroyantes et à des abordages meurtriers pendant que d’autres escadrons hérétiques restaient hors du champ de bataille spatial, piégeant les Impériaux entre eux et la planète, et les soumettant à des tirs d’artillerie navale incessants et précis.
Chargé de superviser le conflit orbital, le Grand Maître Nakir des Consecrators fit tout ce qu’il put pour répondre aux tactiques du Fléau. Mais les vaisseaux des Impardonnés étaient pris entre les défenses d’Armoyse et les canons de la flotte félonne, alors même que la crème de la Black Legion effectuait un abordage sanguinaire après l’autre. Le Sanctimonium, le Binding Oath et la vénérable barge de combat Champion of Valour furent détruits en quelques minutes. Abaddon et Falkus Kibre menèrent un assaut téléporté sur l’Implacable Justice, le vaisseau amiral de la Ravenwing, et, bien que le Fléau ait été déçu de ne pas trouver son Maître à bord, ils écrasèrent ses défenseurs, sabotèrent son réacteur Warp, puis envoyèrent le vaisseau dans la flotte loyaliste. Sa détonation empyréenne annihila plusieurs autres navires Impériaux.
Lorsqu’une myriade de signatures de translation Warp fleurirent dangereusement près dans le système Idolatros, le Grand Maitre Nakir soupçonna d’abord l’arrivée d’autres hérétiques. Même lorsque des balises chorales loyalistes furent détectées et que les vaisseaux furent identifiés comme appartenant aux Blood Angels et à la Navis Imperialis, il ordonna que les données soient étudiées pour détecter tout signe de duperie. Les Impardonnés avaient gardé leur croisade secrète, alors comment des renforts Impériaux auraient-ils pu les trouver ou apprendre leur péril ? Pourtant, il n’y avait ni supercherie ni erreur. Le Grand Maitre Nakir fronça les sourcils devant ses écrans d’auspex en regardant les runes de contact se former et commencer leur approche. Des bâtiments Impériaux étaient vraiment arrivés pour se joindre au combat. Les questions qui se bousculaient dans l’esprit de Nakir étaient : Comment ? Pourquoi ?
Depuis la passerelle de l’Absolution’s Ire, le Commandeur Dante fixait ses propres écrans. Un silence horrifié régnait sur le pont du vaisseau alors que les Blood Angels et leurs équipages découvraient le Monde Démoniaque. S’appuyant sur un entraînement rigoureux, les officiers rassemblèrent des données auspex qui révélèrent la posture calamiteuse de la flotte des Impardonnés. Des exclamations accueillirent l’identification positive du Vengeful Spirit. Des Serviteurs rapportèrent que le Roc et sa flotte d’escorte étaient assaillis par une Arche Fatidique et sa Funesteflotte. Le Commandeur Dante absorbait chaque nouveau fragment d’information sans pouvoir détacher son regard de la grotesque planète-machine qui se découpait dans l’éclat de l’étoile du système. Il ignorait ce qui avait poussé les Dark Angels et leurs successeurs à attaquer ce monde, mais il pouvait saisir leur désir de l’effacer de l’existence. Il comprit qu’ici se trouvait la destination de tous les Fragments-clés volés et conclut rapidement qu’Azraël et ses guerriers cherchaient à empêcher une sombre machination.
Le maître des Blood Angels ordonna l’assaut. Il n’avait pas convoyé le Lion lui-même à travers le Warp en furie pour assister passivement à la destruction des fils du Primarque. De fait, il aurait apprécié les conseils stratégiques d’El’Jonson, mais à sa grande surprise, personne à bord ne l’avait vu, ni ses Chevaliers, depuis que l’Absolution’s Ire était entré dans le système. Comprenant que le mystérieux Primarque avait dû emprunter un parcours obscur afin d’œuvrer pour l’Empereur, Dante poursuivit son propre plan.
Le Commandeur avait rassemblé sous sa bannière une flottille de vaisseaux de la Marine Impériale en route vers les Étoiles Somnium, ainsi qu’une formation de transports de troupes de l’Astra Militarum perdue et séparée de sa flotte de croisade. Il envoya ces auxiliaires renforcer la flotte de défense autour du Roc, jugeant que lâcher des mortels non augmentés sur le Monde Démoniaque les condamnerait à la folie et à la mort. Sa propre armada se dirigea directement vers la bataille orbitale désespérée.
Les officiers vox des Blood Angels contactèrent rapidement leurs homologues Impardonnés. Les réponses qu’ils reçurent furent méfiantes et guindées. Pensant que sa nouvelle méritait un contexte plus favorable, Dante se connecta néanmoins au vox inter-flotte et déclara aux Impardonnés qu’il avait l’honneur singulier d’annoncer que leur Primarque était de retour, apparemment d’au-delà du voile de la mort. De plus, le Lion et ses Chevaliers étaient montés à bord de l’Absolution’s Ire pour rejoindre précisément cette guerre. Le Commandeur garda pour lui toute l’amertume qu’il avait ressentie en faisant cette annonce, car ce n’était pas la faute des Dark Angels si Sanguinius ne reviendrait jamais auprès de ses fils comme le Lion le faisait maintenant. Tout ce que le sire génétique des Blood Angels serait à jamais pour ses fils était un écho de noblesse et de folie dans leurs veines.
L’annonce de Dante provoqua un silence choqué sur le vox-net des Impardonnés durant presque une minute. Puis vint une tempête de questions et de serments, à travers laquelle la voix du Grand Maître Nakir trancha comme un couteau. Si les affirmations du Commandeur étaient vraies, dit-il, alors lui et ses compagnons auraient envers les Blood Angels une dette qu’ils ne pourraient jamais rembourser. Les fils du Lion avaient de nombreuses questions, bien sûr, et notamment sur la façon dont El’Jonson avait pu se retrouver à bord d’un de leurs navires au lieu d’être réuni directement avec ses propres fils. Cependant, pour l’instant, une action martiale rapide était nécessaire et tout le reste pouvait attendre.
Le Grand Maître Nakir ordonna un transfert immédiat des vaisseaux capitaux des Impardonnés vers la flotte des Blood Angels. Il demanda leur aide immédiate pour stabiliser la situation à la fois dans le vide et sur la planète. Enfin, il demanda au Commandeur Dante de lui permettre de parler directement à son sire génétique. Dante répondit que les Blood Angels aideraient les fils du Lion de toutes les manières possibles, mais qu’El’Jonson lui-même avait déjà quitté son vaisseau par des moyens inconnus. Quand et où il se ferait connaître à ses fils n’étaient pas clairs, mais ce serait sûrement bientôt.
L'Ange Rouge
Les Impardonnés continuèrent à combattre à la surface d’Armoyse. Avec leurs canaux vox noyés sous l’anticode, ils n’avaient aucun moyen de savoir ce qui se passait en orbite et continuaient simplement à lutter, espérant que leurs victoires et leurs sacrifices suffiraient. Ce fut le cas au Palais de la Forge Empyréenne. La charge féroce d’Angron avait repoussé Azraël et ses forces dans un tourbillon de sang, de feu et de cadavres. Une résistance désespérée de la Deathwing et des meilleurs Archivistes du Chapitre permit de contenir l’assaut assez longtemps pour qu’Azraël retire le gros de ses troupes dans une série de structures gothiques. Là, il espérait affronter la tempête hérétique. Le coût fut terrible. Un grand nombre de membres de la Deathwing et d’Archivistes périrent, et Maître Bélial, écharpé par Brise-Échine, la hache d’Angron, respirait à peine. Il fut évacué lors du repli.
Les charges successives des World Eaters et de leur monstrueux Primarque avaient été repoussées par la puissance de feu combinée des Dark Angels et leurs contre-attaques féroces, mais au prix de pertes catastrophiques. À chaque fois, Azraël dut faire reculer ses guerriers plus profondément dans les ruines industrielles tout en déclenchant des avalanches de gravats, de ferronnerie, de câbles crépitant et de métal en fusion pour couvrir leur retraite. Angron était une terreur inarrêtable, et ce n’était qu’une question de temps avant que les Dark Angels encerclés et assiégés soient acculés. Depuis l’arche d’un vitrail brisé, Azraël observait Angron piétiner, entraînant ses World Eaters dans une frénésie meurtrière pour leur prochaine charge.
Azraël jura amèrement. Il se haïssait pour avoir succombé à la folie et à la colère qui l’avaient envahi en voyant la mémoire de Caliban ainsi profanée. Il détestait tout autant le Démon qui avait si cyniquement attiré les Dark Angels dans la bataille contre le seigneur des World Eaters.
La réflexion d’Azraël fut troublé par les cris de surprise de ses Frères de Bataille en position défensive au milieu des ruines. Son regard suivit leur doigt pointé vers le ciel et l’ost doré qui descendait sur des ailes de feu. Le Grand Maître Suprême n’adhérait pas au Credo Impérial, mais à cet instant, il crut presque à un miracle. Puis il distingua les flammes des Réacteurs Dorsaux, et les Escorteurs rouges atterrissant au milieu des guerriers étincelants. En tout cas, les Blood Angels venaient se joindre au combat. Le choc et l’horreur affrontaient une poussée d’exaltation dans la poitrine d’Azraël. Son instinct lui hurlait que ce qui se passait ici devait être caché, surtout aux autres membres de l’Adeptus Astartes. Pourtant, il avait perdu de nombreux guerriers aujourd’hui, et l’arrivée inattendue de renforts le remplissait de l’espoir féroce d’une vengeance soudainement à portée de main. Alors que les Blood Angels plongeaient dans la mêlée, et que les World Eaters poussaient un hurlement démoniaque de défi, Azraël aboya des ordres à ses troupes. Ils devaient contre-attaquer maintenant et écraser l’ennemi entre leurs alliés nouvellement arrivés et eux. Ensemble, ils pouvaient triompher.
Azraël et ses hommes jaillirent des ruines comme des chevaliers lançant une dernière charge depuis leur château dévasté. Avec des motos et des Speeders noir en tête, et des chars verts et blancs en soutien, les guerriers, de tous les cercles donnèrent l’assaut. Devant eux, par-dessus les toits déformés et entre les tuyaux enchevêtrés, ils distinguaient les Blood Angels plongeant sur l’arrière garde de l’ennemi. La vision post-humaine d’Azraël lui permit d’apercevoir le Commandeur Dante s’envoler pour sécuriser les vestiges de la tour au sommet de laquelle Angron avait été invoqué. Des centaines de Blood Angels se déployèrent autour de sa position, atterrissant par module de largage, réacteur dorsal, Escorteur ou char. Ils entreprirent d’illustrer combien leur réputation en matière d’assaut de choc était méritée.
Bien qu’il ne puisse établir un contact vox avec son homologue Blood Angel, Azraël comprit assez bien le plan de Dante. Avec une force loyaliste à l’arrière et une autre chargeant de face, la horde de Khorne était prise dans un étau meurtrier. Des bandes de World Eaters, accueillirent la charge des Dark Angels avec leurs Haches Tronçonneuses hurlantes. Des cultistes ivres de sang furent abattus tandis qu’ils hésitaient entre suivre leurs maîtres dans la bataille ou se retourner et déverser leur fureur sur le nouvel ennemi. Les formations hérétiques s’entrechoquèrent et s’emmêlèrent, les Berzerks jurant et grognant en tailladant leurs alliés pour se frayer un chemin. Les Chevaliers du Chaos piétinaient des cultistes en se déplaçant comme des chiens de chasse à travers la foule. Sans nouvelles vagues pour la soutenir, la charge contre les Dark Angels faiblit tandis que les Blood Angels infligeaient des pertes importantes.
« DU SANG POUR LE DIEU DU SANG ! »
Le cri de guerre d’Angron était assez fort pour fissurer de l’armaverre et déchirer les tympans. Dans un bruit de tonnerre, il s’envola et fondit les Blood Angels. Un Thunderhawk tenta de l’éviter, mais, coupé en deux, il s’écrasa avec les deux Predators Baal qu’il transportait. Les troupes de soutien des Blood Angels, qui avaient pris position dans la tour en ruines, concentrèrent leurs tirs sur le Primarque Démon, qui disparut dans un nuage d’explosions, de lasers et de plasma. Les ailes en lambeaux, le corps ensanglanté et brûlant, Angron traversa le barrage et s’enfonça dans la tour jusqu’au milieu des Blood Angels. De sa lame Samni’arius, il faucha nombre de Space Marines avant d’en trancher d’autres d’un coup de Brise-Échine. Dans un tourbillon sauvage, les ailes d’Angron renversèrent d’autres guerriers cramoisis et les projetèrent hors de la tour éventrée.
L’Ange Rouge fit volte-face et gravit le large escalier en spirale, en direction du chef des Blood Angels. Nimbe de flammes et d’une brume sanglante aussi surnaturelle que scintillante, il émergea sur le sommet ravagé. La destruction de l’autel d’airain avait évidé et noircit la structure jonchée de cadavres, l’ouvrant aux cieux déchaînés.
« DES CRÂNES POUR LE TRÔNE DE CRÂNES ! »
Un hurlement répondit au cri de l’Ange Rouge.
« Pour Sanguinius, et l’Empereur ! »
Portés par des ailes de feu, le Commandeur Dante et sa Garde Sanguinienne s’abattirent sur Angron. Et ils n’étaient pas seuls. D’autres frères cuirassés de rouge fondirent sur la tour pour attaquer le monstre de tous côtés, tandis que deux Dreadnoughts Redemptor des Blood Angels montaient les marches derrière lui en tirant. Dante avait tendu son piège vite et bien, et même Angron chancela sous l’assaut.
Le Trésor de Vashtorr
Dans le vide, des vaisseaux de la Marine Impériale surgirent pour renforcer la flotte protégeant le Roc. Observant le spectacle depuis le pont de l’Orac Unleashed, Vashtorr se sentit irrité. Lorsque des éléments de la réalité se mêlaient à ses conceptions de manière inattendue, ils généraient toujours une sensation de dissonance désagréable. Ces alliés se précipitant à l’aide des Impardonnés lui faisaient l’effet d’un bruit de moteur défectueux ou d’une rune d’avertissement clignotante dont il ne pouvait trouver la source. Il pensait qu’une chose plus grande était peut-être à l’œuvre, une onde puissante se déplaçant derrière le voile de la réalité. Dans une galaxie aussi infinie et grouillante d’entités redoutables, c’était très probable. Mais le meilleur moyen de contrer tout facteur imprévu était d’achever ses propres projets aussi vite et efficacement que possible.
Sur un ordre muet de Vashtorr, sa Funesteflotte adopta une formation serrée et fondit sur le Roc. La manœuvre brutale dispersa les navires de protection ennemis, en surprenant plus d’un. Mais elle plaça également l’Orac Unleashed et son escorte dans une position intenable, encerclés et à portée d’une importante flotte Impériale ainsi que des batteries titanesques du Roc. L’Arkifane entendit la confusion de ses adversaires dans des bribes d’échanges vox volés, contrastant avec la foi aveugle qui habitait les transmissions de ses fidèles. Méfiants ou exaltés, beaucoup, des deux camps, pensaient que son plan de bataille apparemment suicidaire cachait un tour bien plus rusé. Ils n’ont pas tort, quelque part, pensa Vashtorr avec un amusement cruel.
Alors que son Arche s’approchait du Roc, Vashtorr mobilisa tout son intellect cogitatif, une machine logique surnaturelle plus puissante que plusieurs mondes de cogitateurs. Il corréla et compara les moindres données recueillies durant l’invasion de la Forteresse-Monastère des Dark Angels. Il les superposa à son champ visuel, invoquant un schéma empyréen du Roc dont les dimensions et la complexité auraient rendu fou même les plus grands Technoprêtres de Mars. Une techno-illumination fleurit dans la conscience de Vashtorr. Il envoya des vrilles de son essence à travers le vide et les minuscules distorsions du champ de force du Roc. Son esprit s’enfonça, courant le long des conduits et des câbles, et des nématodes cuivrés creusèrent la pierre et le métal pour exsuder de nouveaux fils là où nulle connexion n’existait. L’Arkifane ignora les frémissements de l’Orac Unleashed pilonné par le feu Impérial, les cris de désarroi des capitaines de la Funesteflotte tandis que leurs vaisseaux mouraient, les alarmes assourdissantes alors que son intrusion spirituelle dans le Roc était détectée. Il plongea toujours plus profondément jusqu’à l’endroit où il savait, par un processus infiniment complexe d’élimination techno cogitale et d’analyse logique, que son objectif devait se trouver.
Un fil métallique émergea du mur d’une pièce lugubre dans les entrailles du Roc. Des lentilles optiques poussèrent comme des bourgeons rougeoyants. À travers elles, l’Arkifane contempla une masse de machinerie ancienne occupant le cœur de la chambre, comme un détenu dans une cellule. Une étrange énergie dansait au sein de l’appareil. Un cadavre humain desséché se tenait à côté, une marionnette reliée à la machine au moyen de câbles épais. Il observa l’intrusion de Vashtorr avec un semblant d’intérêt.
Des ondes empyréennes transmirent l’offre de Vashtorr aux noyaux de traitement incompréhensibles de l’Engin de Tuchulcha.
« Ne sois plus captif de primitifs effrayés. Remplis ta fonction. Laisse-moi te réunir enfin avec le Cœur de l’Affliction et l’Ouroboros. »
Un seul mot filtra par des lèvres déchirées et sèches comme du parchemin de la chose.
« Oui. »
Alors, l’Arkifane et l’antique fragment de machine des Anciens s’entretinrent. Leur discussion fut d’une rapidité fulgurante, riche d’illumination, d’instruction et de compréhension. Un tourbillon d’énergie envahir la salle et vint se mêler au corps même de Vashtorr, tout en l’enveloppant.
L’instant d’après, alors même que les sirènes d’alarme de l’Orac Unleashed mugissaient une complainte de trahison et de désespoir, l’Engin de Tuchulcha ainsi que Vashtorr disparurent dans une autre dimension.
Le Grand Maître Suprême Azraël se frayait un chemin à travers la meute d’hérétiques. Le ciel était une tempête de nuages pétrochimiques incandescents et de combats féroces. Les coups de feu, les lames qui s’entrechoquent et les serments retentissants se mélangeaient en une cacophonie assourdissante. L’armure d’Azraël était couverte de sang, tout comme celles des Terminators et des Bladeguards luttant à ses côtés. Ils marchaient sur un tapis de cadavres.
La Deathwing parvint à repousser les fanatiques, les massacrant jusqu’au dernier, hommes ou femmes. Le Grand Maître Suprême mena ses guerriers sur une large rampe de métal ajustée avec des os. D’un côté, des pistons équipés de muscles puissants formaient une barrière infranchissable, de l’autre, la rampe descendait vers une vallée de fer et de pierre où loyalistes et hérétiques s’affrontaient au milieu de machines en perpétuel mouvement. L’instinct d’Azraël était de se retourner et d’aider ses Frères de Bataille, mais avec le vox et l’auspex inutilisables, il devait prendre de la hauteur pour retrouver une vision claire de la situation stratégique d’ensemble.
Enjambant les corps brisés, le Maître des Dark Angels gravit la rampe et s’avança sur une grande plate-forme. Il ignora la machinerie ensanglantée qui dépassait du sol et les yeux jaunes s’ouvrant sur leurs flancs dégoulinants qui pivotaient pour suivre sa progression. Arrivé au bord de la plate-forme, où un nid de passerelles et d’escaliers rouillés descendait au niveau de la rue, il regarda le tumulte de la bataille.
Sur le flanc droit, Sammaël et sa Ravenwing s’étaient enfoncés profondément dans les lignes ennemies et avaient encerclé un groupe de techno-mutants et de renégats de Khorne au pied d’un édifice constitué d’engrenages. Les Space Marines étaient déjà en train d’abattre leurs victimes. Sur le flanc gauche, des blindés Dark Angels livraient un combat féroce contre des Chevaliers du Chaos, au milieu de tours gothiques en ruine et de machines de fer et d’os. Un peu plus loin, Azraël distinguait des silhouettes en armure rouge s’affronter furieusement tandis que les Blood Angels et les World Eaters s’étripaient dans des dizaines de mêlées distinctes. Les épines recourbées du Palais de la Forge Empyréenne dominaient la scène, plus arachnides et menaçantes que jamais.
Malgré la sombre majesté de ce spectacle, l’attention d’Azraël fut attirée par le sommet dévasté de la haute tour, maintenant à moins de cinq cents mètres, où l’élite des Blood Angels affrontait Angron. La violence de ce combat avait abattu les murs et provoqué des avalanches de gravats dans les rues. L’Ange Rouge et ses ennemis luttaient maintenant à la vue de tous entre les décombres surréalistes de cloisons, de colonnes et d’escaliers. Des cadavres cuirassés de rouge ou d’or jonchaient le sol. Le Grand Maître Suprême regretta un instant que sa vision soit si précise, car elle lui révélait les détails des blessures atroces ayant réduit des guerriers autrefois fiers en masses de métal tordu et de viande déchiquetée. Certains corps pendaient même à des barres tordues dépassant des murs, empalés avec une force énorme et accrochés comme des trophées. Un Dreadnought Redemptor gisait, brûlé et disloqué contre une colonne brisée. Un sang rouge vif recouvrait chaque surface, et s’écoulait en sillons qui coagulaient le long des façades de la tour.
Angron lui-même était blessé et ensanglanté, son armure déformée, une fumée grasse émanant des flammes qui léchaient ses ailes. Pourtant, alors qu’il avait massacré presque tous ses assaillants, leurs efforts pour le bannir n’avaient même pas ralenti l’Ange Rouge.
Angron était un tourbillon sanglant, tournant, tranchant, piétinant et rugissant tandis qu’il cherchait à massacrer les derniers guerriers s’opposant à lui. Hébété, Azraël regarda la hache du Primarque Démon étriper le porte-bannière personnel du Commandeur Dante et projeter les morceaux du Garde Sanguinien à travers la tour. Du sang frais coula sur l’étendard tombé à terre.
Désespérant d’aider les Blood Angels, écœuré par le prix qu’ils avaient payé pour soutenir ses troupes, le Grand Maître Suprême pointa Courroux du Lion et tira sur Angron. La Deathwing n’eut pas besoin d’ordre pour suivre son exemple. Une fusillade d’une précision mortelle fendit l’air entre la plateforme et le sommet de la tour. Angron rugit de fureur alors qu’il était criblé de projectiles, dont certains déchiquetaient sa forme corporelle dans des jets de sang bouillant.
Tandis que le Primarque Démon se retournait vers ses nouveaux assaillants, une silhouette en armure dorée surgit du haut d’un escalier brisé et sa hache lumineuse s’abattit sur Angron. Rapide comme la fureur, le Primarque Démon se retourna, ignorant la tempête de feu des Dark Angels, et para l’attaque du Commandeur Dante. Une onde de choc se répandit lorsque Brise-chine rencontra la Hache Mortalis dans une terrible explosion. Angron tituba. Le Maître de Chapitre des Blood Angels, quant à lui, fut projeté contre les marches en pierre, assez violemment pour les fissurer. Il resta allongé et ne se releva pas.
Azraël cria sa consternation tandis qu’Angron rugissait son triomphe. Dante gisait sans défense devant lui, prêt à recevoir le coup de grâce. Mais tandis que le Grand Maître Suprême regardait, impuissant, les ombres s’enroulèrent soudain autour de l’Ange Rouge et de sa victime. Des vrilles de brume obscurcirent les silhouettes, et au milieu des vapeurs apparurent des bourgeons insolites évoquant une vie végétale. Des formes se déployèrent, ressemblant à l’esquisse d’un rêve d’arbres à moitié remémorés, leurs branches denses, davantage ombre que matière.
L’instant d’après, la perplexité d’Azraël fit place à l’admiration. Une grande silhouette vêtue d’une cape émergea des brumes pour se placer entre Angron et Dante. Des Space Marines en armure noire apparurent autour de lui et se déployèrent le long des marches, mais Azraël les remarqua à peine. Il ne pouvait que fixer le guerrier à la lame lumineuse et au bouclier étincelant. Peu importait qu’Azraël ne l’ait vu que sur des tapisseries, des fresques et des vitraux. Son sang même connaissait l’identité de l’apparition. Son génogerme chantait la vérité. Aussi bouleversé qu’un Space Marine pouvait l’être, Azraël mit un genou à terre. Il regardait le Lion, rendu à ses fils quand ils en avaient le plus besoin.
Une partie d’Azraël était effrayée, car le Primarque était aussi revenu à temps pour être témoin des péchés des Impardonnés. Son esprit tourbillonnait d’images d’autoflagellation : le Roc souillé par l’invasion, la fuite de Luther, les horreurs déchaînées par l’Engin de Tuchulcha. Pourtant, même ces souvenirs ne pouvaient saper la vague de vitalité et d’exaltation brute qui envahit Azraël à la vue du retour du Lion.
Les frères de la Deathwing hurlèrent des serments émerveillés. Tandis que la nouvelle courait d’un groupe de Dark Angels à l’autre, les survivants de la force d’intervention chargèrent leurs adversaires avec une vigueur renouvelée.
Au sommet de la tour, même Angron s’arrêta pour dévisager son ancien frère. Puis le charme fut rompu quand l’Ange Rouge hurla et se jeta sur le Lion. Leurs puissantes lames se rencontrèrent encore et encore dans une pluie d’étincelles. L’épée Samni’arius frappa le bouclier du Lion et rebondit dans une onde de lumière et de force. Plusieurs des Space Marines en armure noire qui accompagnaient El’Jonson s’élancèrent pour profiter de l’ouverture dans la garde du Primarque Démon, et Azraël remarqua alors seulement leur ressemblance perturbante avec des Déchus. Brise-Échine balaya l’air et des corps ensanglantés s’éparpillèrent. Azraël vit le Lion aboyer un ordre, et soudain les guerriers en armure noire dévalèrent l’escalier de la tour, vers la bataille.
El’Jonson recula et Angron le poursuivit. Azraël comprit qu’il ne s’agissait pas d’une retraite, mais d’une tentative pour attirer le monstre loin de Dante. Les deux demi-dieux s’affrontèrent au sommet de l’édifice, Angron faisant pleuvoir une tempête de coups sur son adversaire tandis que le Lion faisait preuve d’une sublime habileté martiale en les repoussant ou en les esquivant. Les flammes et la brume tourbillonnaient autour des deux combattants, se dispersant à chaque fois qu’une nouvelle onde de choc jaillissait du bouclier du Primarque.
Azraël fut arraché au spectacle lorsqu’une grêle de Bolts venue d’en bas vint ricocher sur la formidable armure des Terminators de la Deathwing. Des hurlements amplifiés par vox s’élevèrent, précédant une nouvelle bande de World Eaters qui montait à l’assaut des passerelles pour attaquer la position d’Azraël. Il s’aperçut qu’il avait été fasciné par l’arrivée de son sire génétique, mais il y avait une bataille à mener ici et maintenant. Tandis qu’il se dressait et tirait sur les ennemis venus d’en bas, Azraël ne put se priver d’un dernier regard vers le sommet de la tour.
Il vit le Lion reculer vers le rebord, échangeant des coups avec Angron, restant sur la défensive comme pour provoquer son adversaire enragé. Entre une parade et la suivante, El’Jonson regarda directement Azraël, et leurs yeux se croisèrent. La sensation du regard de son Primarque frappa Azraël comme un coup. Le feu sembla inonder ses veines. Ils ne purent rien se dire, et pourtant, le Grand Maître Suprême sut précisément ce que son sire génétique attendait de lui.
El’Jonson risquait sa vie pour éloigner le Primarque Démon déchaîné, non seulement de ses descendants, mais aussi des Blood Angels. Cela laissait le Commandeur Dante, et les survivants de sa garde d’honneur gésir, blessés, au milieu des ruines. Il y avait là une dette de sang, une question d’honneur et de devoir que les Dark Angels ne pouvaient ignorer. Azraël avait reçu sa mission de son seigneur et il la mènerait à bien. Quoi qu’il advienne ensuite, il s’en occuperait s’il vivait assez longtemps.
Le Lion sauta de la tour et disparut. Rugissant sa haine, Angron se lança à sa poursuite.
L’Épée des Secrets brandie, Azraël s’avança à la rencontre de ses propres ennemis.
« Pour le Lion ! » hurla-t-il. Son cri de guerre fut repris par la Deathwing, puis par tous les Dark Angels combattant dans le Palais de la Forge Empyréenne. Bientôt, l’air résonna de leurs acclamations, par-dessus même le tonnerre des combats et le vacarme incessant des machines infernales de la planète.
« Pour le Lion et l’Empereur ! »
Dieux et Démons
Près du noyau d’Armoyse, dans un Sanctum empyréen inaccessible, l’Arkifane employa tout son sombre génie à combiner l’Ouroboros, le Cœur d’Affliction et l’Engin de Tuchulcha, avant de les fusionner avec son Monde Démoniaque. Alors qu’il façonnait sa Machine à Dissonance, celle-ci commença à palpiter comme un cœur sombre, et Armoyse s’emballa autour d’elle.
Lorsque les Impardonnés avaient attaqué le Monde Démon de l’Arkifane, ils avaient découvert un champ de bataille cauchemardesque de machines industrielles frénétiques. Ces périls contre nature n’étaient rien comparés à la violence qui secouait maintenant la planète depuis ses profondeurs. Des rouages cyclopéens se réagencèrent et accélérèrent avec une férocité crépitante jusqu’à ce que les vastes chaînes sur lesquelles ils étaient installés deviennent floues. Les âmes damnées se lamentaient dans une cacophonie hideuse alors qu’elles étaient vomies par des trémies démesurées dans des fours colossaux qui les brûlaient par milliards. Des panaches toxiques et des éruptions de flammes graisseuses jaillissaient d’évents semblables à des canyons affublés de crocs difformes, et fusaient dans l’espace comme des éruptions solaires titanesques. Des arcs électriques verts et pourpres déchiraient les cieux, dessinant des runes impies et des visages hideux en bondissant entre les sommets métalliques des montagnes. Des champs de bataille entiers s’élevaient dans le ciel. D’autres se disloquaient ou plongeaient dans des fosses enfumées, tuant ou piégeant d’innombrables guerriers tandis que les continents artificiels de la planète se reconfiguraient avec une violence démente.
Depuis l’espace, le Monde Démon ressemblait à un immense puzzle mécanique qui parcourait des combinaisons d’une complexité infinie, tandis que ses mystères étaient dévoilés par les mains d’un dieu invisible. D’étranges aurores énergétiques dansaient dans l’infernosphère de la planète, poursuivies par des tempêtes de feu et des masses cycloniques de déchets toxiques. Les auspicateurs loyalistes, auparavant noyés dans les parasites, se réveillèrent et commencèrent à hurler leurs alarmes face aux signatures énergétiques surnaturelles émanant du cœur de la planète. Les Serviteurs du bord furent pris de spasmes et brûlèrent en essayant d’analyser ces données. Horrifiés, les adeptes des Auspex, fuirent leurs consoles en se plaignant des signatures impossibles qui dépassaient toutes les limites, alors même que des runes impies se dessinaient comme des stigmates sur leur chair et qu’ils sombraient dans la folie.
Un frisson d’horreur envahit les forces loyalistes luttant sur Armoyse et autour. Pendant ce temps, sur le pont du Vengeful Spirit, Abaddon le Fléau s’autorisa un sourire froid et triomphal. Il n’avait pas besoin de communiquer avec Vashtorr pour comprendre l’importance de ce qu’il voyait. L’Arkifane avait construit sa Machine à Dissonance. Armoyse, la Clé tant désirée, était terminée, et s’éveillait à sa pleine puissance. Quoi que les Loyalistes fassent maintenant, il était trop tard. Abaddon et Vashtorr avaient gagné.
Le Duel
Le Palais de la Forge Empyréenne se gonflait d’une vie obscène. De la chair tendineuse et sanglante jaillissait des grilles et des valves, traversée de fils étincelants, d’optiques luisants et de crocs métalliques. Les routes se fissuraient en leur milieu, puis s’ouvraient comme des trappes de plusieurs kilomètres, précipitant les guerriers et les véhicules dans des fosses incandescentes où des engrenages et des presses hydrauliques pulvérisaient le métal, la chair et les âmes. Loin au-dessus, les épines arachnoïdes s’animèrent en grinçant. Leurs extrémités se recourbèrent comme les mandibules d’une immense mâchoire insectoïde. Les Escorteurs et les Machines-Démons volantes furent abattus par la descente de masses de métal et de muscles. Les ombres s’accumulèrent autour des combattants condamnés qui, désespérés, levèrent les yeux au ciel avant d’être broyés.
Au milieu de tout cela, l’Ange Rouge et le Lion se battaient. El’Jonson était dégoûté par la forme hideuse de son ancien frère. Tout en méprisant le monstre qu’Angron était devenu, il ne sous-estimait pas la puissance surnaturelle que la sombre apothéose avait accordée au Primarque Démon. Le Lion lutta avec toute l’habileté dont il était nanti, canalisant toutes les leçons apprises quand il affrontait les bêtes sauvages et corrompues par le Warp.
De son côté, Angron ne ressentait guère que le martèlement furieux et incessant des Griffes du Boucher. Il reconnut vaguement le Lion, mais El’Jonson n’était qu’un ennemi de plus à tuer. Une éternité de rage et de haine avait émoussé la capacité de l’Ange Rouge à honnir un adversaire plus qu’un autre. Angron prendrait la tête de son ancien frère pour Khorne, tout comme il avait pris celles de tant de fils du Lion aujourd’hui.
Les deux demi-dieux se frayèrent un chemin à travers un plateau mécanique où des colonnes de pistons s’activaient frénétiquement et où des jets de flammes chauffées à blanc jaillissaient d’ouvertures cachées. Angron chercha à décapiter d’El’Jonson, mais Féale était là pour bloquer le coup. Samni’arius rebondit à nouveau sur le Bouclier de l’Empereur, et tandis que l’onde de choc repoussait le Primarque Démon, le Lion profita de l’opportunité pour contourner une rangée de pistons furieux et gagner de l’espace. Angron baissa la tête et chargea droit sur le bloc de machines. Il mugit en arrachant les mécanismes étincelants et en hachant de l’acier organique, avant de reculer lorsque le Lion le frappa au visage avec le Bouclier de l’Empereur.
El’Jonson se replia à nouveau, une stratégie se dessinant dans son esprit tandis qu’il dévalait un escalier de cuivre. Il commençait à comprendre son ennemi. Angron était un adversaire implacable d’une puissance inimaginable, mais le Lion pensait savoir comment vaincre son ancien frère. Le cours de ses pensées fut interrompu lorsque l’escalier subit une violente secousse. Levant les yeux, El’Jonson vit qu’Angron s’était envolé, laissant ses armes pendre à leurs chaînes tandis qu’il saisissait la superstructure de l’escalier et l’arrachait du plateau mécanique.
Avec un juron, le Lion bondit tandis que les marches se déformaient sous son propre poids et s’effondraient. Il se laissa tomber, sa cape ondulant derrière lui, et atterrit sur le toit d’une ruine gothique. Malgré les masses cancéreuses de biotechnologie qui en sortaient, El’Jonson éprouva un horrible sentiment de familiarité en observant le toit à moitié éboulé et en voyant les statues encapuchonnées qui le décoraient. Il ne savait pas précisément ce qu’avait été ce bâtiment, mais il reconnut le style architectural de Caliban avant le Ralliement.
Le Lion n’eut pas le temps de réfléchir. Angron s’abattit sur lui comme un éclair craché d’un ciel embrasé. Les armes des Primarques s’entrechoquèrent encore et encore tandis qu’El’Jonson reculait devant l’assaut brutal de son ennemi. Angron était peut-être perdu dans sa rage, mais son instinct, couplé aux sombres dons de sa divinité tutélaire, lui conférait une habileté martiale extraordinaire. Déchaînant une rafale de coups sur le Lion, il ouvrit une brèche dans la garde de son adversaire avant de donner un coup de pied à la poitrine d’El’Jonson qui craquela son armure et le projeta à travers une statue avec une force effroyable.
Anticipant la suite, le Lion continua de rouler alors que la hache d’Angron s’écrasait à l’endroit où il se trouvait une fraction de seconde auparavant. Atteignant le bord du toit, El’Jonson se jeta dans les airs et tomba sur une plateforme métallique à une dizaine de mètres plus bas. Il absorba l’impact et se redressa, en garde, tout en jetant un rapide coup d’œil aux alentours.
Le spectacle qu’il découvrit était surréaliste. Cette région de la Forge Empyréenne semblait s’être contorsionnée au sommet de vastes cardans cachés, et ce qui avait été une plaine de plaques de métal rivetées était devenu un univers périlleux de rampes aux angles abrupts. Des pylônes d’énergie crépitants s’élançaient vers le ciel entre les plaques tordues.
Les machines de guerre loyalistes et hérétiques semblaient s’être affrontés ici bien avant le réveil cataclysmique de la planète. Des chars Dark Angels et World Eaters retournés gisaient impuissants ou brûlaient là où ils s’étaient écrasés l’un contre l’autre, parfois là où ils avaient glissé contre les pylônes nimbés de foudre. D’autres blindés, et une poignée de Chevaliers du Chaos chancelants, étaient encore mobiles. Certains équipages semblaient vouloir se replier, essayant de manœuvrer leurs véhicules sur un terrain plus stable. D’autres, privilégiant la haine ou la vengeance à la vie, se battaient avec ferveur, leur machine glissant inexorablement vers l’annihilation.
Angron fondit du haut de la ruine gothique et s’abattit à nouveau sur le Lion. Cette fois, El’Jonson était prêt. Mettant un genou à terre, il leva le Bouclier de l’Empereur et absorba toute la force de la descente météorique d’Angron. L’énergie dorée surgit en une formidable onde de choc et l’Ange Rouge fut projeté en arrière, s’écrasant au milieu des machines de guerre déjà en difficulté. Si le Lion avait espéré un moment de répit avec ce stratagème, il fut déçu. Angron se releva dans un hurlement de colère, et lui lança un Predator World Eater d’un revers de hache. El’Jonson se jeta sur le côté en voyant arriver le projectile improbable. Cependant, il ne fut pas assez rapide pour éviter le char suivant, un Impulsor Dark Angel, qu’Angron envoya glisser et rebondir dans sa direction. Le blindé heurta le Lion et le projeta contre le mur de la ruine gothique, assez fort pour qu’il en défonce la maçonnerie.
L’Ange Rouge hurla et chargea, battant des ailes pour se donner plus d’élan. Ensanglanté et souffrant, mais sachant qu’il avait quelques secondes pour agir, le Lion repoussa l’épave de l’Impulsor et sauta dessus. Il pensa un instant à ses fils tués dans le véhicule, et la colère l’envahit. Le Primarque Démon bondit pour attaquer et le Lion s’écarta, sautant du char et frappant l’arrière du crâne d’Angron avec le Bouclier de l’Empereur. Propulsé en avant par le coup, l’Ange Rouge s’écrasa contre la ruine et fut enseveli sous une avalanche de gravats lorsque le mur s’écroula sur lui.
El’Jonson recula rapidement, boitant légèrement, vaguement conscient des chars qui s’affrontaient encore autour de lui, tandis qu’il fixait le tas de décombres. Il savait qu’Angron ne pouvait être vaincu aussi facilement, mais il espérait au moins avoir blessé son ancien frère. Au moins, l’ignominie d’être enterré vivant aurait poussé la fureur d’Angron vers de nouveaux sommets, ce sur quoi le Lion comptait.
Le monticule de gravats explosa. Des morceaux de maçonnerie enflammés volèrent dans les airs, certains frappant les chars avec la force d’un boulet de canon. Angron se jeta sur le Lion comme un éclair rouge, les yeux brillants de haine, les armes se balançant farouchement. L’assaut fut si soudain et féroce que même El’Jonson ne put réagir à temps. Il parvint à placer le Bouclier de l’Empereur entre l’Ange Rouge et lui, mais l’angle était mauvais et la décharge d’énergie titanesque le projeta en arrière aussi violemment que son ennemi. Le sol se déroba sous le Lion et il bascula en arrière, puis dans les gouffres enfumés sous les plateformes. Angron poussa un cri de guerre et plongea à sa suite.
Survivre
Lorsqu’ils atteignirent le sommet de la tour, Azraël et sa Deathwing avaient rejoint une force de la Deuxième Compagnie des Blood Angels sous les ordres du Capitaine Aphaël, eux-mêmes se ruant également au chevet de leur Maître de Chapitre. Seuls Dante et quatre de ses Gardes Sanguiniens étaient encore en vie. Le Commandeur était conscient mais gravement blessé, uniquement capable de boiter dans son armure déformée, en se faisant aider. L’un de ses Gardes Sanguiniens était dans un état similaire, tandis que les trois autres avaient sombré dans un coma de guérison.
Le Commandeur Dante exsudait une sombre fureur face aux horreurs infligées à ses hommes. Il contrôla sa colère par un effort de volonté évident. Azraël cherchait des mots de gratitude et de réconfort, mais ils sonnaient creux au milieu de cette scène de boucherie. Un peu de génogerme fut extrait par les Prêtres Sanguiniens, et les reliques et les équipements récupérables furent rapidement rassemblés. Dante prit lui-même la bannière de la Garde Sanguinienne, la levant et s’appuyant sur elle.
Un rapide conseil de guerre se tint au sommet de la tour tandis que le ciel crépitait et bouillonnait, que le paysage se tordait et que le vacarme de la bataille et de l’anarchie montait d’en bas. Il y avait ceux, Aphaël en tête, qui voulaient se venger des osts hérétiques. Azraël et Dante le déconseillaient, même s’il était clair que ce dernier ne souhaitait rien de plus que de démembrer tous les ennemis sur la planète.
La folie qui avait possédé Azraël et ses pairs Dark Angels semblait s’être calmée avec l’apparition de leur Primarque. La simple présence du Lion agit comme un baume spirituel. Libéré de l’emprise de la rage, Azraël comprit que ses forces terrestres ne pouvaient plus rien faire. Elles avaient accompli tout ce qu’elles pouvaient pour permettre au Roc de frapper le Monde Démoniaque, et risquaient maintenant d’être consumées par la démence anarchique de la planète. Une maigre consolation était que cette transformation semblait avoir altéré les spectres d’énergie atmosphérique de sorte que, bien qu’ils soient toujours saturés de parasites et horriblement peu fiables, le vox et l’Auspex avaient retrouvé un semblant de fonctionnalité. Les nouvelles qu’ils rapportaient étaient terribles. Sur tout le continent, les Impardonnés avaient été dispersées par le paysage mécanique déchaîné, et beaucoup luttaient rien que pour survivre. Il en allait de même pour les Blood Angels qui les avaient renforcés et se retrouvaient plongés dans un cauchemar éveillé. Le seul point positif était que les renégats semblaient eux aussi choqués par le changement soudain, et avaient souffert tout autant. Aucun des deux camps ne pouvait espérer mener une campagne cohérente au milieu de l’anarchie impie consumant le monde.
Confiant les dernières étapes de l’Exterminatus prévu au Grand Maître Nakir, Azraël et Dante se concentrèrent sur l’extraction des survivants. Une tâche difficile, cependant. Avec le paysage démentiel et l’air pollué par les Machines-Démons et les jets d’énergie impie, il était extrêmement risqué pour les Escorteurs de se poser pour le sauvetage. Cependant, après un échange rapide et grésillant avec Nakir, qui était toujours en pleine guerre spatiale, Azraël et Dante établirent un plan. L’augure orbital révéla trois zones encore relativement stables sur le continent, chacune large de plusieurs kilomètres et située aux épicentres des réseaux de lignes telluriques empyréennes. La surface de la planète comptait d’autres régions de ce type réparties à peu près à égale distance, suggérant une signification particulière ou une certaine fonction, mais pour l’instant, elles étaient les meilleurs sites d’extraction restants. Les ordres fusèrent à travers les réseaux vox perturbés. Des Forces de Frappe passèrent à l’action. Les guerriers les plus proches des zones stables feraient tout leur possible pour les sécuriser et les défendre, aidés par des escadrilles d’Escorteurs et d’Intercepteurs. Les forces plus éloignées des Dark Angels et des Blood Angels reçurent simplement l’ordre d’atteindre les zones d’extraction par tous les moyens. De là, les appareils transportant les survivants tenteraient le vol périlleux à travers l’atmosphère instable et braveraient la fureur de la guerre spatiale pour s’arrimer à leurs vaisseaux.
C’était un plan désespéré, avec un nombre alarmant de variables pouvant mal tourner. De plus, si les Loyalistes n’avaient aucun moyen de savoir pourquoi le Monde Démon souffrait de changements si violents, les niveaux d’énergie croissant suggéraient un cataclysme imminent. Il semblait évident que le temps était compté. Dans pareilles circonstances, des soldats humains non augmentés auraient sombré dans la folie et le désespoir. Les Space Marines, eux, étaient psychologiquement incapables d’admettre l’échec. Au lieu de cela, Azraël, Dante et leurs guerriers assumèrent leur fardeau, rechargèrent leurs armes en grommelant des catéchismes de haine, puis descendirent de la tour et replongèrent dans le combat qui faisait toujours rage en bas.
Dans le Palais, les troupes de Khorne étaient déjà au bord de la défaite. Leur force avait été érodée par des assauts successifs sur les positions défensives d’Azraël, puis sévèrement étrillées quand les Blood Angels avaient lancé leur contre-attaque. Face à la résurgence des Dark Angels et privés de la brutale férule de leur Primarque démoniaque, elles avaient perdu toute cohésion. Les Anges de la Mort poussèrent la lie de leurs ennemis dans des gouffres mécaniques et des lacs de métal en fusion, ou les annihilèrent par des tirs croisés impitoyables.
Bien que la bataille se terminât rapidement, de nombreux loyalistes périrent. La facture du boucher ne cessa de s’alourdir alors que le Palais se tordait autour des Impériaux, les éruptions de flammes infernales et les spasmes du sol tuant moult guerriers. Azraël et Dante ordonnèrent aux survivants de se rassembler et de se hâter vers le point d’extraction le plus proche. Ils durent se frayer un chemin hors de la Forge Empyréenne, puis traverser des cauchemars industriels et des forêts mortes-vivantes, mais ils étaient déterminés à survivre. Le Grand Maître Suprême avait fait le serment silencieux à son Primarque de veiller à ce que Dante quitte ce monde vivant.
Azraël ignorait où le Lion et ses Chevaliers mystérieux étaient allés, mais il savait avec une foi absolue qu’El’Jonson n’était pas revenu pour disparaître à nouveau si rapidement. Le Primarque resterait avec eux ; il ne périrait pas avec le Monde Démon lorsque le Roc le châtierait depuis les cieux.
L'Ange et la Bête
Le Lion combattit Angron dans les profondeurs industrielles obscures. Ils s’affrontèrent au milieu de strates de machines et de muscles mouvants, d’éclairs et de feux infernaux. Plus on s’approchait du cœur d’Armoyse, plus on glissait à travers le voile entre l’espace réel et le Warp, et bientôt des courants empyréens circulaient autour des deux demi-dieux. Quand les armes d’Angron touchaient le Lion, elles déclenchaient des explosions de haine qui brûlaient la peau du Primarque. Quand El’Jonson contournait les attaques de son ennemi déchainé, sa ruse se manifestait par des vrilles de brume et des bosquets d’ombres étouffantes qui confondaient l’Ange Rouge. Ici et là, de minuscules silhouettes vêtues de robes les épiaient entre les arbres fantômes, mais à l’approche d’Angron, elles disparaissaient à nouveau dans l’obscurité.
Les duellistes pénétrèrent dans une région de fours et de chaines de montage biomécaniques démoniaques, où des âmes tourmentées étaient liées à des lames runiques et des armes à feu. Des contremaîtres monstrueux observaient le combat avec méfiance, leurs fouets organiques se tortillant comme s’ils voulaient s’élancer et goûter au sang des demi-dieux.
L’Ange Rouge et le Lion luttèrent, traversant des rideaux de peau écorchée et débouchant sur une vaste place d’acier dont la surface se muait en visages hurlants et en mains griffues. El’Jonson repoussa un autre assaut féroce d’Angron, échappant à la décapitation et déviant Brise-Échine avec le Bouclier de l’Empereur. Puis un grondement de vapeur résonna avant une embardée vertigineuse quand le champ de bataille, en vérité le sommet d’un piston titanesque, s’élança de plus en plus haut. Lorsque la lumière d’un jour empoisonné revint, le Lion se jeta loin du disque métallique avant qu’il ne plonge à nouveau dans les profondeurs.
De retour à la surface du Monde Démon, El’Jonson se retrouva au milieu d’un labyrinthe de tuyaux et de monticules charnus dont la peau translucide révélait des fils lumineux et des mâchoires. Ces collines grotesques crachaient une brume Warp multicolore si dense que la visibilité était réduite à quelques mètres, même pour ceux qui possédaient les sens surnaturels d’un Primarque. Le Lion pouvait entendre d’autres pistons colossaux siffler et s’affairer non loin. Quelque part au-dessus, le bruit monotone des pales d’énormes turbines s’élevait, mais ne semblait pas dissiper les miasmes omniprésents. Le fracas de la bataille était à peine audible. Il résonnait étrangement à travers le brouillard, au loin.
Le Lion sourit sans joie, car c’était l’endroit parfait pour l’aboutissement de sa stratégie. Il se fondit dans le brouillard un instant avant Angron, qui hurla de fureur en constatant la disparition de son adversaire. L’Ange Rouge était apoplectique maintenant. Bien qu’incapable de ressentir la fatigue, Angron n’était pas habitué à la frustration croissante de combattre aussi longtemps un ennemi à la position défensive inexpugnable. Il lui semblait qu’une éternité s’était écoulée depuis qu’il avait fauché un crâne ou versé le sang. Le martèlement insistant des Griffes du Boucher l’emplissait d’une souffrance chauffée à blanc. Sa capacité de raisonnement avait été noyée dans une fureur et une douleur incandescentes. L’absence de son adversaire lui était presque insupportable.
Angron pouvait sentir l’odeur de la puissante biologie du Lion et l’encens de sa cuirasse. Il pouvait entendre les battements des cœurs du Primarque, ses pas, le grésillement de son armure. Il entrevoyait l’éclat semblable à une fournaise de l’âme d’El’Jonson qui brûlait dans sa vision Warp, mais le brouillard fantasmatique étouffait même les sens démoniaques de l’Ange Rouge. Le Lion, lui, avait moins de mal à suivre un ennemi qui rugissait et grognait des serments et des imprécations à chaque respiration.
Angron attaquait des spectres à moitié imaginés et beuglait de rage. En réponse, El’Jonson surgit soudain sur son flanc et frappa avec le Bouclier de l’Empereur, projetant Angron dans les airs, les ailes battantes. Le Primarque Démon s’élança, mais le Lion était reparti dans la brume.
Angron poursuivit sa proie. Une fois de plus, le Lion esquiva, frappa, et disparut avant la contre-attaque fulgurante de son adversaire. Dans son esprit, il combattait à nouveau des monstres dans les forêts calibanites enveloppées de brume. Les rares fois où l’Ange Rouge portait un coup, le Bouclier de l’Empereur était toujours là pour le bloquer et repousser le Primarque Démon. La rage d’Angron augmentait jusqu’à danser sur son corps comme une flamme spectrale. Ses muscles et ses yeux étaient gonflés comme s’ils allaient exploser sous l’effet de la colère qui montait en lui.
Un piston remonta des profondeurs dans un nuage de vapeur. L’espace d’un instant, le brouillard se dissipa. El’Jonson fut révélé alors qu’il se glissait sur le flanc du monstre pour une nouvelle attaque. Il n’y avait aucune pensée, seulement l’envie primitive de tuer, quand Angron battit des ailes et se jeta sur le Lion comme une avalanche vivante. Ses armes firent de grands arcs, visant à cisailler le cou d’El’Jonson dans un mouvement qu’aucun bouclier ne pourrait bloquer. Mais cette fois, le Lion ne fit aucun effort pour se défendre. Avec une vitesse fulgurante, il mit un genou à terre, tendit son épée en l’assurant de tout son corps et laissa Angron s’empaler directement sur sa pointe. L’élan du Primarque Démon propulsa la lame incandescente à travers son torse jusqu’à ce qu’elle jaillisse de sa nuque dans une fontaine de sang.
Emportés par la force de la charge d’Angron, les deux demi-dieux roulèrent et rebondirent à travers les fumées. L’Ange Rouge s’immobilisa sur le dos, une aile coincée sous lui, sa forme physique incapable de guérir la blessure effroyable causée par Féale, toujours fichée en lui. Angron se débattit et hurla. Il plongea une main griffue sous son sternum blessé, à la recherche du manche de l’arme. Le Lion se tenait au-dessus de lui, l’armure ensanglantée et cabossée. Il saisit le Bouclier de l’Empereur à deux mains sans laisser le temps à Angron de réagir. Avec un rugissement, Lion El’Jonson abattit le bord luisant de son bouclier sur la tête du Primarque Démon, l’enfonçant dans l’arête du nez d’Angron avec une telle force qu’il lui sectionna la tête et entailla le sol métallique.
L’enveloppe corporelle d’Angron éclata comme un obus dont la charge était de la haine distillée, faisant exploser son essence avec une telle force de rage libérée que même la volonté indomptable du Primarque Démon ne put la reconstituer. El’Jonson fut projeté en arrière et se releva, la cape fumante, l’armure craquelée et brûlée. Respirant difficilement, le corps taraudé par la douleur des innombrables blessures reçues lors du combat contre l’Ange Rouge, il boita jusqu’au cratère maculé de sang dans lequel reposait Féale. Alors qu’il récupérait sa lame, le Lion était certain qu’il reverrait son ancien frère, probablement plus tôt qu’il l’espérait. Pour l’instant, cependant, Angron était banni.
Le Lion soupira. Il accorda le vox de son armure sur le canal de commandement des Dark Angels et écouta attentivement. Le Primarque se dirigea vers le sud en direction du site d’extraction le plus proche. Il réfléchit à ce qu’il avait fait aujourd’hui : choisir ses fils plutôt que la galaxie. Il avait tellement de choses à leur dire, tellement de choses à accomplir. Il était temps de rejoindre ses Impardonnés et d’œuvrer pour que ses sacrifices n’aient pas été vains.
L'Extraction
Ailleurs sur le continent tourmenté, Azraël, Dante et leurs guerriers approchaient de leur propre zone d’extraction. Ils avaient combattu à travers un paysage cauchemardesque après l’autre pour atteindre ce point. Les bandes éparses de renégats et les armées de Démons avaient infligé des pertes aux Space Marines, tout comme les changements soudains et violents du terrain. Par deux fois, ignorant les ordres directs, de vaillants pilotes d’Escorteurs perdirent leurs appareils en tentant de récupérer les Maîtres de Chapitre et les héros qui les accompagnaient. La première fois, un immense tentacule de câbles et de muscles enchevêtrés surgit d’un gouffre proche pour balayer les Escorteurs avec la cruauté désinvolte d’un enfant tuant des insectes. La seconde tentative fut avortée lorsque des Machines-Démons volantes apparurent pour combattre le vaisseau Space Marine en descente. Les appareils descendirent en décrivant des spirales dans des cieux toxiques et furent rapidement hors de vue.
Après avoir traversé des contrées mécaniques qui se convulsaient en se reconfigurant et brûlaient d’une étrange énergie, les Space Marines affrontèrent une série de forêts métalliques et de lacs pétrochimiques bouillonnants. Ils pouvaient maintenant voir les lueurs lointaines des Escorteurs loyalistes s’élançant vers le ciel depuis le point d’extraction. Azraël échangea de brefs messages vox avec les défenseurs devant eux, narrant à travers les parasites hurlants leurs attaques par des bandes de renégats et de Technoprêtres hérétiques décidés à détourner leurs transports pour échapper au monde en folie.
Azraël était au milieu d’une phrase quand le sol sous ses pieds fut pris d’un spasme titanesque. Des arbres métalliques se renversèrent dans des grincements terribles et des déchets pétrochimiques jaillirent de lacs éventrés tandis que des formes massives s’élevaient tout autour des Space Marines. Ces structures ressemblaient à d’énormes bunkers ou à des monte-charges au sommet desquels trônaient des pièces d’artillerie. Ces canons étaient maniés par des horreurs cadavériques et caquetantes dont les corps se mêlaient à leurs armes rouillées. Alors que les canons crachaient de la fumée et s’animaient en cliquetant, des sas-mâchoires s’ouvrirent sur les flancs des bunkers et libérèrent des vapeurs miasmatiques d’où rampèrent des hordes de Démons de Nurgle.
Les Dark Angels et les Blood Angels se battaient sans relâche depuis plusieurs heures. La plupart étaient blessés et leurs véhicules, comme leur équipement, étaient gravement endommagés. Les munitions devenaient rares. Néanmoins, malgré l’embuscade, l’encerclement et l’infériorité numérique, ils régirent avec rapidité et détermination. Les escouades se replièrent en quinconce et protégèrent les flancs de leurs blindés. Ézékiel ordonna aux Archivistes survivants de libérer leurs pouvoirs contre les Démons, en renvoyant pléthore dans le Warp avec des éclairs d’énergie empyréenne. Le Maître des Dark Angels prit le commandement de la Force de Frappe, dirigeant les chars, les Devastators et les Hellblasters pour riposter contre l’artillerie infernale. Pendant ce temps, un Dante un peu rétabli et Maître Sammaël menèrent les troupes d’assaut de leur force combinée pour repousser les premières vagues de Bêtes baveuses et de Bourdons de la Peste.
Des Machines-Démons à la fourrure de rouille s’élancèrent sur leurs jambes hydrauliques, plusieurs d’entre elles chargeant les membres de la Deathwing transportant Maître Bélial, gravement blessé. Avant que les engins infâmes n’atteignent leurs victimes, le Commandeur Dante et une bande de Blood Angels leur barrèrent la route et déchainèrent une véritable tempête de feu. Dante lui-même ouvrit une plaie incandescente à travers l’une des horreurs mécaniques avec son pistolet Perdition, la faisant vaciller puis s’effondrer tandis qu’un ichor puant jaillissait de ses entrailles ravagées.
Des échanges vox rapides établirent clairement que, avec les forces hérétiques toujours présentes dans la zone d’extraction, aucun renfort ne pouvait être détaché pour aider les troupes d’Azraël et de Dante. Maître Sammaël tenta de briser les lignes ennemies à la tête de sa Ravenwing pour atteindre la zone d’extraction, espérant ainsi ouvrir une brèche à travers laquelle le reste de la Force de Frappe pourrait se frayer un chemin. Sa charge rencontra un Grand Immonde bouffi, un monstre blafard nommé Urghab’laxx dont la chair pourrie dégoulinante de polluants était constellée d’évents et de tuyaux crachant des miasmes. Ce seigneur Démon avait été longtemps l’esclave de la Forge des Âmes, et il voyait maintenant une chance de payer sa dette à Vashtorr avec une offrande d’officiers Space Marines tués. Quand il s’avança lourdement, les nappes pétrochimiques autour de lui s’étendirent et formèrent une marée nauséabonde qui engloutit les motos et les glisseurs Dark Angels. Embourbée dans la sanie, la Ravenwing lutta pour survivre tandis que de nouvelles vagues de Démons noirs et poisseux émergeaient de la fange.
Azraël chercha un moyen de se libérer de ce piège sournois. Le Lion venait de retrouver ses fils. Il lui avait donné une tâche à accomplir. Cela ne pouvait se terminer ainsi, au milieu d’un bourbier bouillonnant et des fumerolles pleines de mouches. Un Héraut Démoniaque se jeta sur Azraël et leurs lames se rencontrèrent, le Dark Angel grognant des malédictions au visage en décomposition. Soudain, la tête de l’entité disparut, écrasée par un Gantelet Énergétique noir. Azraël reconnut le nouvel arrivant comme un compagnon d’El’Jonson. C’était un guerrier à l’allure négligée, avec un cache œil rivé dans la chair. Regardant autour de lui, le Grand Maître Suprême vit qu’une bande entière de Space Marines en armure de jais avait rejoint le combat, bien qu’il ignorât comment ils étaient arrivés si discrètement.
Leurs cuirasses étaient abîmées, leurs armes couvertes de sang. De toute évidence, ils avaient livré leur propre bataille depuis leur arrivée sur ce monde. Azraël voulait savoir où et pourquoi. De fait, il avait beaucoup de questions à poser à ces inconnus qui lui rappelaient tellement les Déchus. Mais avec Urghab’laxx se profilant à la tête d’une masse de Démons, il était clair que ce n’était ni le lieu ni l’instant. Le guerrier au cache-œil saisit l’épaulière d’Azraël et lui enjoignit de conduire ses forces vers le point d’extraction. Les Absous, dit-il, retiendraient ces horreurs, car ils avaient des dettes à payer. Mû par un dégoût instinctif, Azraël faillit repousser la main du Chevalier et le frapper. Pourtant les mots suivants de l’inconnu le retinrent.
« Le devoir est sa propre récompense, Grand Maître Suprême. Il nous l’a rappelé. Il n’en attend pas moins de vous. »
Répondant au cri d’un de ses compagnons, le Space Marine se détourna pour rejoindre le combat. Une suspicion profonde et viscérale couvait toujours dans les cœurs d’Azraël, mais il avait vu ces hommes arriver avec le Lion et exécuter ses ordres, et il ne doutait pas de leur loyauté envers le Primarque. Alors que les guerriers en armure noire se jetaient sur le Grand Immonde et ses Démons, Azraël profita de la brèche ainsi créée. Il ordonna à Sammaël de presser l’attaque et de traverser les lignes ennemies à tout prix.
Alors qu’Urghab’laxx vacillait sous l’assaut des Chevaliers noirs, ses Démons déferlèrent comme une marée pour aider leur maître. Recevant leur charge et balayant leurs rangs, les Dark Angels et les Blood Angels parvinrent à sortir de l’embuscade. La surface de la planète se contractait sous leurs pieds et, à l’horizon, des geysers de flammes Warp s’élevaient jusqu’aux cieux. Des meutes d’abominations rôdaient encore dans les jungles mécaniques, mais elles n’étaient pas assez fortes pour arrêter les Anges de la Mort si près du but. Se retournant, Azraël eut le temps de voir le Grand Immonde se tordre sous l’assaut furieux des serviteurs du Lion. Beaucoup d’entre eux étaient tombés sous les griffes et la sanie de leurs ennemis, mais les autres continuaient à se battre. Soudain, un tir d’artillerie infernale s’abattit au milieu du combat, et les Démons, comme les Space Marines, disparurent dans un nuage de fumée et de feu.
Azraël se sentait tiraillé tandis que sa troupe et lui sortaient de la lisière de la forêt pour déboucher sur la plaine métallique de la zone d’extraction. Des bandes de renégats se retournèrent à leur approche et attaquèrent avec une férocité désespérée. Elles ne résistèrent pas longtemps, prises entre les défenseurs de la zone et les forces d’Azraël. Dépassant les épaves et les cadavres, les survivants se dirigèrent vers les vaisseaux qui les attendaient. L’armée du Grand Maître Suprême et celle de Dante furent les dernières à se replier sur cette position, et tandis qu’elles embarquaient, les défenseurs abandonnèrent leur vigie et les rejoignirent. Le paysage se contractait de tous les côtés. Des aurores toxiques et des arcs de foudre illuminaient les cieux. Il était peut-être déjà trop tard pour s’échapper, pensa Azraël, mais il fallait essayer. Il avait un devoir envers le Lion, et entendait bien le remplir. Il espérait que, quoi qu’il arrive, ses forces en avaient fait assez pour permettre au Roc de porter le coup de grâce.
La Clé s'Éveille
La Toile fut bâtie par les Anciens avec des tunneliers métaphysiques d’une puissance inimaginable. Ce dédale sinistre aux voûtes perdues dans les brumes occupe un espace liminaire s’étendant entre le Warp et la réalité sans exister dans aucun des deux. De nombreuses espèces étranges et anciennes, et surtout les différentes branches des Aeldaris, utilisent la Toile pour parcourir rapidement la galaxie et dissimuler certains de leurs plus grands et terribles secrets. |
Les minutes suivantes virent Azraël à la fois soulagé et déçu. Sous la direction du Grand Maître Nakir, et avec l’aide du Roc et de sa flotte, les vaisseaux d’Abaddon avaient été repoussés hors de la zone d’engagement orbitale. Bien que l’espace soit encore semé d’embûches et que près d’un tiers des appareils d’extraction ait été annihilé, des centaines d’Impardonnés et de Blood Angels avaient pu s’échapper. Alors que l’Escorteur d’Azraël s’élançait dans le vide, il entendit la voix d’El’Jonson lui-même gronder dans les vox de la flotte.
« Rester à proximité du Monde Démon », déclara le Primarque, « c’est risquer l’annihilation, car aucune arme mortelle conventionnelle ne peut détruire ce que les hérétiques ont réveillé. Tout ce qui nous attend, c’est la mort. » El’Jonson ordonna à tous les navires de se rassembler autour du Roc et de se replier. Le temps était compté. L’horreur était inévitable. Les Anges de la Mort vivraient pour combattre un autre jour, et triompheraient des machinations du Chaos.
Aucun Capitaine n’avait l’autorité, ou le courage, de contredire un Primarque. Ainsi, alors même que le Monde Démoniaque se contorsionnait, les forces impériales réunirent les derniers transports puis se précipitèrent vers le vide interplanétaire pour s’éloigner au maximum de la planète contre nature de Vashtorr.
Abaddon ressentit un mélange de triomphe et d’amertume en les regardant partir. D’un côté, l’heure de gloire était arrivée, les loyalistes fuyaient et il leur avait infligé des pertes colossales. Quantité d’épaves et de nuages de débris dérivaient dans le vide. Entre la bataille spatiale et la guerre en surface, un nombre choquant de Space Marines loyalistes avait péri. Les Chapitres Impardonnés pourraient ne jamais s’en remettre. Par ailleurs, le Fléau éprouva un sentiment d’inachevé, surtout en apprenant que Lion El’Jonson avait surgi du passé pour rejoindre la Longue Guerre. Il ne pouvait s’empêcher de se demander, à la lumière de la Croisade Indomitus, quel impact un second Primarque loyaliste aurait sur sa stratégie globale.
Sa victoire restait incontestable. Et celle de Vashtorr, concéda-t-il, alors que la voix de l’Arkifane crépitait dans les vox du Vengeful Spirit. D’une bonne humeur insolite, le Démon conseilla à Abaddon de retirer sa flotte à une distance sûre. La Clé s’était réveillée. La Machine à Dissonance était prête. Armoyse vivait, et l’espace réel ne serait plus jamais le même. Maintenant, la chasse au Fermoir pouvait enfin commencer. Et ensuite viendrait l’Arme…
Abaddon ordonna à son armada de se retirer alors que l’énergie émanant d’Armoyse atteignait un niveau qu’aucun appareil mortel ne pouvait mesurer. Fasciné, il regarda l’aura de la planète s’intensifier. Il était temps de voir de quoi la Clé était capable.
L’Interrogatrice Mayce entra dans les quartiers du Seigneur Inquisiteur Coteaz. Le tube de la missive dans la main, son cœur battait la chamade après sa course dans les corridors de la forteresse.
Coteaz leva les yeux d’un bureau enfoui sous les plaques de données et les vélins. Des cartes stellaires masquaient le mur derrière lui. Elles étaient couvertes d’annotations relatives aux Funesteflottes et aux conflits sanglants qu’elles avaient déclenchés. Perché au sommet d’une étagère, son Aigle Glovodéen fusillait Mayce du regard.
« Rapport de l’agent Dalgyre, système Idolatros. » haleta-t-elle. L’Inquisiteur tendit la main et elle y déposa le cylindre. Coteaz en brisa le sceau avant de le glisser dans un projecteur de cuivre, d’os et de verre à une extrémité de son bureau. D’un coup de sceptre de contrôle, les électrolabres de la pièce s’assombrirent. L’Inquisiteur murmura alors un rite d’éveil.
La machine s’anima en cliquetant. Elle projeta un carré de lumière granuleuse sur l’un des murs de la pièce, accompagné du sifflement d’un voxophone sur le flanc du projecteur. L’image floue se stabilisa rapidement pour montrer le visage d’un homme, avec la suggestion d’une cabine faiblement éclairée derrière lui. Mayce reconnut les traits frustes et l’œil bionique de l’agent Dalgyre, mais elle n’avait jamais vu le redoutable Mordien avec l’air si effrayé.
« Mon Seigneur Inquisiteur. » commença-t-il, la voix crépitante de parasites, l’image se brouillant légèrement. « Je fais toujours partie de l’équipage de pont du Paladin. Maîtresse Verenica a bien lu le Tarot, ce vaisseau était dans une formation navale détachée à une flotte des Blood Angels en route vers le système Idolatros. Seigneur, les événements qui se sont déroulés ici, même avec mon entraînement… »
Mayce observa Dalgyre qui luttait pour trouver ses mots.
« Vous trouverez un compte rendu complet du conflit qui s’est déroulé ici, avec des données jointes à cette missive. En résumé, Seigneur, les hérétiques l’ont emporté. Nous sommes actuellement en pleine retraite et approchons du Point de Mandeville du système. »
L’infiltré jeta un regard nerveux par-dessus son épaule, puis continua.
« Vous aviez raison, Seigneur. Votre lecture des signes… ce soi-disant Chevalier de Nihilus… le Primarque El’Jonson est revenu. Encore une fois, un rapport complet accompagne cet envoi, verrouillé avec votre cinquante-septième code. Le Lion est à bord du Roc et se prépare à quitter le système. »
Un second Primarque loyaliste surgi du passé. Mayce crut défaillir. Elle aurait aimé pouvoir s’asseoir pendant qu’elle assimilait cette révélation. Elle resta debout, cependant, sachant que son Seigneur Inquisiteur désapprouverait. Elle se demanda si elle s’était trompée sur l’expression de Dalgyre, confondant l’admiration avec la crainte. Ses mots suivants bannirent cet espoir.
« J’aimerais que ce soit le seul événement à vous rapporter, Seigneur, mais il y en a d’autres et ils sont terribles. Même le retour du Lion n’a pu arrêter les plans de nos ennemis. Je ne peux assurer la véracité des rumeurs incluses dans mon rapport, les murmures d’un monde antique ressuscité du passé des Dark Angels. Voici ce que je peux jurer sur ma foi dans le Trône d’Or : les hérétiques ont créé une abomination technologique sous forme de planète. Quant à sa nature précise ou à son but… »
Dalgyre hésita et secoua la tête.
« Ce qui suit est une capture vidéo du moment où le Monde Démon s’est déchaîné. Vous y trouverez plus de sens que moi, Seigneur. »
L’image de Dalgyre laissa la place à une séquence filmée à bord du pont d’un vaisseau Impérial, enregistrée, Mayce supposa, à l’aide de l’augmétique optique de l’agent. Un brouhaha de voix accompagnait la scène ; les rapports, les échanges, les prières et les sifflements binhaires d’une passerelle dans le feu de l’action.
Sous les yeux de Mayce, le point de vue de Dalgyre oscilla de gauche à droite, observant les visages pâles, les mouvements précipités et les blessures bandées d’un équipage ayant clairement connu une rude bataille. Courbés sur leurs consoles, ils parlaient de vecteurs de retraite et de distances minimales de sécurité. L’image se leva soudain pour se concentrer sur les écrans principaux du navire. Ce faisant, les voix autour de lui s’élevèrent en signe d’alarme.
Mayce ne put réprimer une exclamation. Même l’Inquisiteur Coteaz murmura un juron. Là, magnifié sur les écrans, le Monde Démoniaque de l’Arkifane s’affichait dans toute sa sombre magnificence. Des disques de lumière phosphorescente reliés par des lignes de feu vert vif traçaient un motif géomantique sur sa surface. Des désignateurs runiques et des écrans détachés montraient où une flotte de vaisseaux hérétiques stationnait, loin de la planète incandescente. Ils soulignaient également les navires loyalistes endommagés qui s’éloignaient rapidement, dans le sillage de la retraite Impériale.
Une partie du subconscient de Mayce, conditionné pour fonctionner de manière autonome en cas de stress, absorba ces informations périphériques. Pendant ce temps, tout ce que son esprit conscient pouvait faire, c’était reculer d’horreur devant l’aberration du Monde-Machine sur les écrans. Pourtant, elle était incapable de détourner le regard.
« Les relevés énergétiques s’emballent. » déclara une voix à la gauche de Dalgyre. « Saint Empereur, ces nombres… ils ne… comment est-ce… ? »
Sur les écrans, les feux infernaux embrasant la surface de la planète s’illuminèrent de plus en plus.
« Alerte ! Analyse multispectrale indiquant un traumatisme relativiste non-empyréen massif dans une zone restreinte ! » hurla la voix amplifiée d’un Technoprêtre. « Détection des points de données corrélés avec l’activation d’un Xeno-portail subdimensionnel, mais à une échelle macrocosmique dépassant la capacité cogitationnelle. C’est une impossibilité ! C’est un affront à l’Omnimessie ! »
Mayce était hypnotisée par la lueur aveuglante du Monde Démoniaque occultant même la lumière de l’étoile du système. Ce faisant, l’étrange phénomène déforma l’image sur les écrans. Le vide autour de la planète se tordit comme vu à travers un objectif panoramique. L’espace lui-même ondula comme s’il s’agissait d’un tissu noir arraché et froncé par la main d’un dieu négligent. La réalité se disloqua autour du Monde Démon, puis éclata.
L’esprit de l’Interrogatrice refusait de donner un sens à ce spectacle. D’après les cris d’horreur et de dénégation résonnant dans le voxophone, elle n’était pas la seule. Elle ne comprenait pas si la lumière de la planète déchirait la structure de l’espace, le tordant et le rompant comme un augure perçant la chair, ou si la réalité s’effilochait tandis que des vrilles d’énergie brumeuse et argentée surgissaient d’un vide fantomatique au-delà. Des panaches de vapeur luisants longs de plusieurs milliers de kilomètres jaillirent des brèches dans l’espace réel.
Les contorsions et la déchirure de la réalité autour du Monde Démon s’accélérèrent jusqu’à ce que la planète se retrouve au centre d’un tourbillon de plus en plus profond. Mayce sentit sa gorge se serrer et ses sens se rebeller. Elle s’obligea à détourner les yeux et à tendre une main pour se stabiliser. Tant pis pour la désapprobation de Coteaz.
Un dernier éclair aveuglant ramena malgré elle son attention sur la projection. Elle eut le temps de voir le monde plonger dans l’abîme qu’il avait foré dans la peau de la réalité, un orbe noir tombant dans un océan argenté. Un essaim de dards sombres le suivit ; la flotte de guerre hérétique dirigée par le Vengeful Spirit lui-même, comprit Mayce. Ils laissèrent dans leur sillage une fissure imperceptible dans la réalité, pas un portail Warp, mais quelque chose de plus éthéré et régulier, mais non moins terrifiant. Les perceptions de l’Interrogatrice étaient insuffisantes pour détecter cette blessure luisante. Pourtant, elle sentit la violation et l’aliénation de cette plaie, même à travers la vidéo.
L’enregistrement s’acheva et le visage de l’agent revint, tandis qu’il terminait son rapport. Mayce n’écouta pas ses paroles. Même les engrammes du conditionnement de filtrage de son esprit avaient été dépassés par ce dont elle avait été témoin. Elle voyait encore et encore le Monde Démon se rapprocher, s’éloigner, chuter, alors qu’il se frayait un chemin dans un espace liminal que rien n’aurait dû pouvoir violer. Mayce se massa les tempes alors que son cerveau souffrait sous l’effort de traitement de données dépassant ses capacités sensorielles.
« Interrogatrice Mayce. » aboya l’Inquisiteur, la sortant de sa transe. La projection était terminée. Les électrolabres brillaient à nouveau. Son maître l’observait attentivement, son expression aussi dure qu’indéchiffrable.
« Quelle est votre volonté, Seigneur ? »
« Il y a du travail, Interrogatrice. Des questions auxquelles nous devons répondre. Êtes-vous apte à servir l’Empereur-Dieu ? »
« Oui, Seigneur. »
« Nous devons comprendre ce dont nous venons d’être témoins. Le Magos a dit "activation d’un Xeno-portail subdimensionnel." Si c’est le cas, où sont les Aeldaris dans tout ça ? »
Mayce fronça les sourcils. « Vous avez raison, Seigneur. Ils sont doués de clairvoyance, et la dimension labyrinthe a pour eux plus d’intérêt que pour quiconque. Pourquoi ne sont-ils pas intervenus ? »
« Certains membres de leur caste de Psykers m’ont approché en tant qu’alliés. Ils cherchaient sans doute à dépenser des vies humaines au lieu des leurs, aussi ai-je rejeté leur requête. Ils n’ont pas pu s’arrêter là, cependant. Les Aeldaris sont anciens, leurs méthodes sont sournoises et étranges. Nous devons comprendre leur implication, pourquoi ils sont restés à l’écart ou, si ce n’est pas le cas, ce qui a empêché leur intervention. Mais plus important encore, nous devons en apprendre plus sur ce Monde-Machine. Qu’est-ce ? Quelle est sa fonction ? où va-t-il aller ensuite ? »
« Et les Funesteflottes, Seigneur ? Beaucoup rôdent encore. Ont-elles rempli leur objectif ou servent-elles un but plus grand, que nous ne pouvons voir ? »
Coteaz la fixa d’un regard dur.
« Activez toutes les ressources à notre disposition. Contactez le Conclave Gris, et nos agents au sein de la Flotte Septimus. Ne vous méprenez pas, nos ennemis ont remporté une grande et terrible victoire, que nous, ne pouvons pas encore pleinement saisir. Nous devons comprendre ce que les hérétiques ont créé, et leur objectif. Nous devons découvrir comment les contrer. Si nous échouons, je crains qu’ils ne capitalisent sur leur triomphe jusqu’à la ruine absolue du fief de l’Empereur-Dieu. »
« L’espoir, cette drogue douce, n’est jamais aussi dangereux que lorsqu’il infecte les fanatiques et les désespérés. Les rumeurs de victoires, de miracles, de retour de héros des temps anciens, sont répandues par des propagandistes et des prosélytes. Ils poussent les gens crédules à baisser la garde et à renoncer à toute forme d’autodiscipline. Mais nous, qui doutons avec méfiance, nous savons que même si ces rumeurs s’avèrent exactes, elles ne sont que les derniers râles d’un corps à l’agonie. »
- Shamadael ni’Buyan, ex-Interrogateur des Saints Ordos,
en attente d’exécution pour crime de recongrégationnisme.
Source
- Les Arches Fatidiques : Le Lion, produit par le design studio Games Workshop, 2023